Gustave de Molinari (1819-1912) |
[Created: April, 2001]
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Thoughts on the Future of Liberty (1901-1911). Edited by David M. Hart (The Pittwater Free Press, 2023).http://davidmhart.com/liberty/FrenchClassicalLiberals/Molinari/Articles/FutureLiberty/index.html
,Gustave de Molinari, Thoughts on the Future of Liberty (1901-1911). Edited by David M. Hart (The Pittwater Free Press, 2023).
Gustave de Molinari, "Le XIXe siècle", Journal des Économistes, Janvier 1901, 5e série, T. XLV, pp. 5-19. [facs. PDF]
Gustave de Molinari, "Le XXe siècle", Journal des Économistes, Janvier 1902, 5e série, T. XLIX, pp. 5-14. [facs. PDF]
G. de Molinari, Ultima verba: mon dernier ouvrage (Paris: V. Giard & E. Brière, 1911). The "Préface," pp. i-xvii. [facs. PDF]
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Gustave de Molinari, "Le XIXe siècle", Journal des Économistes, Janvier 1901, 5e série, T. XLV, pp. 5-19.
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Le trait caractéristique du siècle qui vient de finir, ce qui le distingue de tous ceux qui l'ont précédé, c'est le développement extraordinaire de la puissance productive de l'homme. Par la conquête et l'asservissement des forces mécaniques et chimiques, ajoutées ou substituées à sa force physique dans l'œuvre de la production, il a pu augmenter, dans des proportions qui eussent semblé autrefois invraisemblables, les matériaux de la vie. On aura une idée de ce progrès, accompli surtout dans la seconde moitié du siècle, en consultant les tableaux de l'accroissement de la richesse aux Etats-Unis, c'est-à-dire dans le pays où l'industrie est arrivée à son plus haut point de productivité. Tandis qu'en 1850 la richesse de l'Union américaine n'était évaluée qu'à 7 milliards 135 millions de dollars, soit à 308 dollars par tète, elle s'élevait, d'après le dernier recensement de 1900, à 90 milliards, soit à 1. 180 dollars par lote. Dans la dernière décade seule, l'augmentation avait été de 35 milliards, — une somme de richesses plus considérable, au dire du Dr Powers, que celle que le continent américain tout entier avait pu accumuler depuis la découverte de Christophe Colomb jusqu'au commencement de la guerre de la Sécession. Il y a sans doute quelque chose à rabattre dans cette statistique américaine, et nous devons confesser, en toute humilité, que la richesse de l'Europe n'a pas fait depuis un demi-siècle une aussi prodigieuse enjambée; mais nous pouvons conjecturer, d'après les chiffres du rendement des impôts, sans parler d'autres indices, que dans tous les pays où le vieil [6] outillage de la production industrielle et agricole a été transformé et renouvelé, la richesse s'est accrue dans une proportion au moins double de celle de l'augmentation de la population, malgré les charges et les obstacles de tous genres que les vices et l'ignorance des gouvernements aussi bien que ceux des gouvernés opposent à son développement naturel et régulier.
On s'expliquera ce phénomène,si l'on songe à la somme énorme de travail à bon marché que nous ont procurée l'invention et les perfectionnements successifs de la machine à vapeur. On estime au plus bas mot que le travail d'un cheval-vapeur équivaut à celui de 10 hommes. [1] Or, la statistique officielle nous apprend que le nombre des chevaux-vapeur s'est élevé en France de 60.000 en 1840 à 6.300.000 en 1897. C'est donc une somme de travail égal à celle de 63 millions d hommes qui a été mise au service de l'industrie française. Et non seulement ce travail est plus économique de toute la différence du prix de la houille, nourriture de la machine, et de celui de l'alimentation végétale ou animale de l'homme, mais encore il développe une puissance et obtient des résultats qu'aucun déploiement de forces humaines ne pourrait atteindre. On aurait beau accumuler une masse de travail humain décuple de celle de la machine d'un train express, c'est à peine si l'on obtiendrait une vitesse dix fois moindre. Et en supposant que des milliers d'hommes échelonnés à portée de la voix fussent employés à transmettre un message, leur travail serait impuissant à rivaliser de vitesse avec celui du télégraphe, tout en coûtant des milliers de fois plus cher.
Mais l'accroissement de la quantité des produits et des services qui constituent la richesse n'a pas été le seul ni peut-être même le plus important résultat de la transformation de la machinerie de l'industrie; elle en a eu deux autres d'une portée supérieure, en élevant la nature du travail réservé à l'homme dans l'œuvre de la production, et en étendant avec la sphère des échanges celle de la solidarité humaine.
Les machines ne fournissent qu'un travail matériel dont les opérations doivent être dirigées ou tout au moins surveillées par l'intelligence de l'homme. Si elles le dispensent d'un effort physique, [7] elles exigent une application constante de sa force intellectuelle et elles engagent souvent au plus haut degré sa responsabilité morale. Un conducteur de locomotive et un aiguilleur, par exemple, ne dépensent dans leur journée qu'une faible somme de force physique, mais leur attention doit être appliquée sans relâche à l'opération qui leur est confiée. Si leur intelligence n'y est pas suffisamment tendue, s'ils n'ont qu'à un faible degré le sentiment de leur responsabilité, ce défaut d'application à leur devoir peut causer la perte de centaines de vies, sans parler des dommages purement matériels. Mais l'exercice de l'intelligence et de la responsabilité ont pour effet naturel de développer les facultés mises en œuvre, et c'est ainsi que le niveau intellectuel et moral des ouvriers qui dirigent ou surveillent le travail des machines apparaît dans toutes les branches d'industrie que le progrès a touchées comme manifestement supérieur à celui des simples manœuvres qui font l'office de machines.
Le progrès industriel n'a donc pas eu seulement pour effet d'augmenter la quantité des produits, il a élevé, pour ainsi dire, la qualité des producteurs. Il a eu encore un autre effet, non moins bienfaisant, c'est d'étendre et de multiplier les liens de solidarité entre les hommes. Dans les siècles qui ont précédé le nôtre, la sphère de la solidarité ne dépassait guère les frontières des Etats. Les membres de chaque nation formaient une société d'assurance mutuelle contre le risque d'invasion et de pillage, quand ils n'étaient pas eux-mêmes envahisseurs et pillards. S'ils étaient intéressés à la prospérité les uns des autres, ils ne l'étaient point à celle des membres des autres nations. Ils avaient, au contraire, intérêt à la diminution des forces et des ressources des peuples avec lesquels ils étaient continuellement en guerre. Cet état de choses a changé, la solidarité a succédé à l'antagonisme, lorsque les échanges ont associé les intérêts des individus appartenant à des nations différentes. Or, c'est l'accroissement de la productivité de l'industrie qui a provoqué en la nécessitant l'extension de la sphère des échanges. Lorsque le travail, assisté par une machinerie de plus en plus puissante, — et pour emprunter un exemple au rapport de Michel Chevalier sur l'Exposition de 1867, lorsque l'introduction du moteur circulaire a porté de 80 à 480.000 le nombre de mailles qui peuvent être confectionnées en une minute dans la fabrication des tricots, — le marché local a cessé de suffire à cette production exubérante, il a fallu agrandir son débouché, et il en a été ainsi dans toutes les industries où le travail à la machine se substituait au travail à la main. Alors, [8] pour répondre à ce besoin d'extension des marchés s'est produite une demande extraordinaire de progrès des moyens de communication. Les inventeurs, utilisant les découvertes de la science, se sont appliqués à satisfaire à cette demande; la vapeur, puis l'électricité ont été employées à surmonter l'obstacle des distances. 780.000 kilomètres de chemins de fer, 1.800.000 kilomètres de lignes télégraphiques, construits presque en totalité dans la seconde moitié du siècle, des lignes de navigation à vapeur qui établissent des communications régulières entre les parties les plus éloignées du globe ont commencé l'œuvre de l'unification des marchés des produits, des capitaux et du travail.
Malgré les obstacles que cette extention de la sphère des échanges a rencontrés dans les intérêts attachés à l'ancien état des choses, elle se poursuit avec une force d'impulsion irrésistible, et on peut déjà en apprécier la portée finale en comparant l'état de développement des rapports économiques des nations au début et à la fin du siècle.
Nous n'avons que des données partielles et incertaines sur le commerce extérieur des nations civilisées dans les siècles précédents; nous savons seulement que le commerce de l'Angleterre en 1800 n'atteignait pas 2 milliards de francs [2] et que celui des autres nations réunies s'élevait à peine à ce chiffre; en sorte que le commerce du monde civilisé tout entier ne dépassait pas le commerce actuel de la Belgique. M. Levasseur l'évaluait dernièrement à 87 milliards pour la période 1894-95, [3] c'est-à-dire qu'il aurait au moins vingtuplé dans le cours du siècle. Le commerce international des capitaux ne s'est pas moins développé que celui des produits. La statistique ne nous fournit, à la vérité, aucune donnée sur la production du capital dans la période qui a précédé l'avènement de là grande industrie, et elle ne nous renseigne encore que d'une manière approximative sur son importance actuelle. M. Robert Giffen a évalué à 200 millions sterl. — 5 milliards de francs — le montant de l'épargne annuelle du Royaume-Uni, ce qui est peut-être excessif. Mais on peut affirmer avec certitude que la productivité de l'épargne s'est accrue avec celle de l'industrie, et on sait que les pays où la production des capitaux s'est particulièrement développée, l'Angleterre, la France, la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, en fournissent des quantités [9] croissantes au reste du monde. La transformation de l'outillage de la production industrielle et agricole, sans oublier celle du matériel de guerre, maritime et terrestre, en a demandé des quantités énormes, surtout dans !e dernier quart de siècle. Seule, la construction des chemins de fer en a absorbé environ 200 milliards. Mais, non moins que l'exportation des produits, celle des capitaux crée et multiplie les liens de solidarité entre les peuples. Les pays importateurs de capitaux sont intéressés à la prospérité de ceux qui les produisent, afin de les obtenir en abondance et à bon marché, les pays exportateurs le sont plus encore à celle de leurs débiteurs.
Le développement de la production, déterminé par la création d'une machinerie à la fois plus puissante et plus économique, a élargi aussi, quoique dans une proportion moindre, les débouchés du travail. La population s'est accrue dans la mesure de l'extension de son débouché ; elle a doublé en Europe dans le cours du xixe siècle, et elle a fourni, en outre, à l'émigration un contingent qui a dépassé en une seule année celui qu'elle lui fournissait auparavant en un siècle. De 10.000 individus en 1820, l'émigration s'est élevée à 871.000 en 1887 et, en l'espace de quatre-vingts ans, elle n'a pas porté moins de 15 millions d'hommes de race blanche dans les autres parties du globe. Ces émigrants ont fécondé par leur travail et acquis au domaine de la civilisation d'immenses régions, dont les ressources naturelles demeuraient improductives; ils ont fait souche de peuples nouveaux, approvisionné l'Europe de matières premières et de denrées alimentaires, agrandi les débouchés de son industrie et étendu, avec la sphère de l'échange, celle de la solidarité des intérêts.
Telle a été l'œuvre capitale du xixe siècle, et la meilleure part de son actif. A des Etats isolés et politiquement hostiles, il a commencé à substituer des nations économiquement unies par les liens de plus en plus nombreux et serrés de l'échange. Et cette extension de la sphère de l'échange a eu, en même temps, pour résultat d'internationaliser le progrès lui-même. Toutes les nations se trouvant désormais en concurrence, leurs industries sont obligées de s'assimiler tous les progrès réalisés ailleurs, sous peine d'être exclues du marché général, et même de leur propre marché. Au commencement du siècle ces progrès qui multipliaient les produits en abaissa ut les frais de la production étaient,pour ainsi dire, le monopole de l'Angleterre. Après s'être efforcés de se protéger contre eux, par les barrières de la douane, les industriels du continent ont compris la nécessité de les imiter, et c'est ainsi [10] que les produits manufacturés de la France, de la Suisse et, en dernier lieu, de l'Allemagne, ont réussi, grâce au stimulant de la concurrence britannique, à dépasser en quantités croissantes les frontières du marché national.
Aujourd'hui a surgi un nouveau concurrent, l'industrie américaine, armée de machines-outils qui abaissent encore les prix de revient, demain surgira peut-être la concurrence chinoise, dont la bienfaisante influence s'ajoutera à celle de la concurrence américaine pour provoquer en Europe un mouvement de réforme des impedimenta politiques, fiscaux, protectionnistes, qui élèvent artificiellement le prix des matériaux de la vie.
Avons-nous besoin d'ajouter que des siècles se passeront avant que l'humanité soit exposée à produire plus qu'elle ne peut consommer. Malgré l'essor que la conquête d'un contingent colossal de forces naturelles est en train d'imprimer à sa capacité productive, l'humanité est encore pauvre, très pauvre, et il faudra que sa production annuelle soit au moins décuplée pour lui assurer une modeste aisance.
Mais c'est seulement par l'extension de l'organisme de la production et de l'échange que le travail, assisté des forces de la nature, pourra satisfaire avec une abondance de plus en plus grande les besoins, encore aujourd'hui si incomplètement desservis, de la consommation. Or cet organisme est d'une sensibilité extrême, et à mesure qu'il s'étend et solidarise des intérêts plus nombreux dans les différentes parties du globe, les causes de perturbation, telles que les guerres et les autres calamités dues aux vices et à l'ignorance des gouvernements et des individus, qui se manifestent sur un point du marché agrandi des échanges, se répercutent sur tous les autres. Ces causes de désordre et de ruine n'ont pas cessé de se multiplier et même de s'aggraver dans le cours du siècle, et, en regard des progrès qui constituent son actif, elles ont produit un passif qui a absorbé, sinon la totalité, au moins une part trop considérable de cet actif de progrès.
Il semblerait que l'accroissement extraordinaire du commerce international, en développant entre les peuples la solidarité des intérêts et en augmentant, parla même, le besoin de la paix, eût dû rendre les guerres plus rares. On pouvait d'autant plus se bercer de cette espérance que les progrès de l'industrie augmentaient chaque jour le nombre et la richesse de la classe [11] dirigeante de la production et lui valaient une part d'influence plus considérable dans le gouvernement des Etats. Cependant, il n"en a pas été ainsi. Les guerres n'ont pas été moins nombreuses au xixe siècle, et elles ont été bien autrement destructives et coûteuses qu'elles ne l'avaient été au xviiie.
Nous ne possédons pas le compte des vies humaines que la guerre a consommées depuis les dernières années du règne de Louis XIV jusqu'à la Révolution française, mais c'est le porter fort haut que de l'évaluer à un million. Les armées étaient alors peu nombreuses et les difficultés du recrutement obligeaient les généraux à ménager la vie de leurs soldats. La Révolution a changé cet état de choses en mettant à la disposition des chefs des armées républicaines ou impériales un nombre illimité de réquisitionnaires ou de conscrits. Ils ont obtenu ainsi un avantage décisif sur leurs adversaires, accoutumés aux pratiques de l'ancien système, et l'on sait que Moreau qualifiait Napoléon de vainqueur à raison de 10.000 hommes par heure. Le peu de développement du crédit public obligeait de même les gouvernements à limiter leurs armements, et à conclure la paix aussitôt que leur trésor était épuisé. La faible augmentation des dettes publiques dans le cours du xviiie siècle nous fournit à cet égard une indication positive. D'après une statistique dressée par Dudley-Baxter, elles ne se seraient accrues que de 5 milliards dans la période de 1715 à 1793; [4] mais, à dater de cette époque,on voit l'industrie destructive de la guerre prendre un essor plus prodigieux encore 12] que celui des industries productives. Les guerres de la Révolution et de l'Empire consommèrent environ 5 millions d'hommes; et ce compte s'est particulièrement accru dans la seconde moitié du siècle. En additionnant les victimes de la guerre depuis la Révolution, on est arrivé au monstrueux total de 9.840.000, près de 120 millions pour les pays appartenant à notre civilisation. La consommation des capitaux a progressé plus rapidement encore que celle des hommes. En sus des dépenses couvertes annuellement par l'impôt, la guerre et la paix armée, autrement dit la préparation à la guerre, ont participé pour cent milliards, au plus bas mot, à l'augmentation des dettes publiques dans le cours du siècle.
Cependant, ce qui était jadis la raison d'être de la guerre a cessé d'exister. Aussi longtemps que les peuples civilisés ont été menacés de destruction ou tout au moins de dépossession par les invasions des barbares, la guerre a été une nécessité. Car il fallait bien s'assurer contre un péril toujours imminent et inévitable.
Mais grâce aux progrès du matériel et de l'art de la destruction — et ces progrès n'ont pas été, pour le dire en passant, moins utiles que ceux du matériel et des arts de la production — ce péril a disparu. Les peuples civilisés envahissent au contraire et s'approprient les régions occupées par leurs anciens envahisseurs. La guerre ne s'impose plus à eux. Elle dépend de leur volonté.
Il s'agit donc de savoir s'ils ont encore intérêt à la vouloir. Cet intérêt existait sans aucun doute pour les aristocraties qui trouvaient dans la conquête d'un Etat ou d'une province un supplément de serfs ou de sujets qui leur fournissaient, par les corvées, les redevances ou les impôts, un supplément de revenus. Mais que peut bien rapporter la conquête de la province ou de l'Etat le plus riche à une nation qui demande ses moyens de subsistance non plus au pillage ou à l'exploitation du travail de ses esclaves, de ses serfs ou de ses sujets, mais à la culture de son sol et à la pratique honnête de son industrie ? L'expérience de toutes les guerres qui ont ravagé le monde dans le cours de ce siècle n'a-t-elle pas attesté qu'elles ont coûté aux vainqueurs plus qu'elles ne leur ont rapporté ? Comment donc s'expliquer que des êtres pourvus de raison et sachant compter continuent à pratiquer une industrie qui travaille à perte? Ce serait là sans doute un phénomène inexplicable, et une aberration du ressort des médecins aliénistes si les producteurs — chefs d'industrie, capitalistes et ouvriers qui paient les frais de toutes les guerres, possédaient [13] dans le gouvernement des nations une influence prépondérante. Mais, en dépit des révolutions, des unifications et des constitutions politiques qui ont eu pour objet d'affranchir les nations de l'exploitation d'une caste nationale ou étrangère, la forme de leurs gouvernements seule a changé, le fond est demeuré le même. Les intérêts particuliers n'ont pas cessé de se coaliser pour faire la loi à l'intérêt général. Et dans toute l'Europe les intérêts engagés dans la conservation de l'état de guerre, intérêts militaires et politiques, sont demeurés prépondérants. Les armées et les fonctions publiques qui étaient sous l'ancien régime l'unique débouché de la classe gouvernante, n'ont pas cessé d'être considérées comme supérieures aux autres emplois de l'activité humaine. Elles attirent encore de préférence les rejetons de l'ancienne classe dominante avec les parvenus de la nouvelle, et constituent un puissant faisceau d'intérêts, aussi bien dans la plupart des républiques que dans les monarchies. Or, la guerre étant aujourd'hui comme elle l'était jadis une source de profits et d'honneurs pour les militaires professionnels, il est naturel qu'ils y poussent. « Connaissez-vous bien mon armée, disait Napoléon? C est un chancre qui me dévorerait, si je ne lui donnais de la pâture ! » [5]
Cette pâture, les détenteurs du pouvoir, chefs d'Etats et politiciens, sont d'autant plus disposés à la lui donner que la guerre fait taire les oppositions et ajourne, sauf à les aggraver plus tard, les difficultés intérieures. On s'explique donc que la guerre ait survécu aux périls qui menaçaient la civilisation, et il y a grande apparence qu'elle leur survivra aussi longtemps que cette industrie destructive disposera d'une influence politique supérieure à celle des industries productives qui en supportent les frais et les dommages. On s'explique aussi que l'accroissement extraordinaire de la productivité de l'industrie, en augmentant la richesse et la puissance des nations, ait déterminé un développement correspondant des appareils de guerre. Du moment où le risque de guerre subsiste et peut échoir du jour au lendemain, sous la pression d'intérêts qui demandent une pâture, il faut bien s'armer contre ce risque, opposer à l'ennemi une puissance destructive au moins égale à la sienne et, par conséquent, l'augmenter dans la proportion des forces et des ressources que créent et développent les progrès de l'industrie. Cette proportion, le régime de la paix armée l'a certainement atteinte aujourd'hui en Europe, s'il ne l'a point dépassée.
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Ces énormes effectifs que nécessite le régime de la paix armée ne peuvent, d'ailleurs, sous peine de se rouiller, demeurer toujours inactifs. Un chômage trop prolongé détériore les ateliers de la destruction aussi bien que ceux de la production. La guerre est nécessaire à la santé des armées. Aussi ensigne-t-on dans les écoles militaires que chaque génération doit avoir la sienne. Mais les dettes publiques se sont tellement alourdies et le prix de revient d'une guerre entre des nations égales en puissance s'est tellement accru, qu'il est devenu de plus en plus difficile de donner satisfaction aux professionnels de l'art. Qu'a-t-on fait? On a remplacé, dans ce dernier quart de siècle, les guerres, désormais trop coûteuses entre les nations civilisées, par des guerres de conquête, d'exploitation ou de rapine, en dehors du domaine de la civilisation. Les gouvernements européens se sont partagé l'Afrique et ils mettent aujourd'hui la Chine au pillage, sous prétexte d'ouvrir de nouveaux débouchés à l'industrie et de faire participer les nègres, sans oublier les Chinois, aux bienfaits de notre civilisation. Mais il suffit d'additionner et de comparer les frais de conquête et de conservation des colonies, des protectorats et des zones d'influence avec les profits qu'en tirent l'industrie et le commerce, pour être édifié sur la valeur de ce prétexte. La conquête, l'assujettissement, l'exploitation fiscale et protectionniste n'ont pas la vertu d'étendre les débouchés de l'industrie et du commerce. Ils contribuent plutôt à les resserrer en augmentant les charges que les budgets de la guerre, de la marine et des colonies font peser sur toutes les branches de la production. Quant à la civilisation, est-ce bien par le massacre et le pillage qu'on peut en faire apprécier les bienfaits aux « Barbares »?
Aux frais d'armement hors de toute proportion avec les besoins réels de sécurité des peuples civilises, aux guerres engagées pour donner satisfaction à des intérêts de caste, de parti ou de dynastie, il faut ajouter, dans la colonne du passif du xixe siècle, une augmentation continue du prix des services sur lesquels les gouvernements font main basse aux dépens de l'activité privée, et les frais d'un système de prétendue protection de l'industrie qui ne rétribue aucun service.
Les révolutions et les réformes politiques qui ont eu pour objet d'enlever aux oligarchies nobiliaires et cléricales de l'ancien régime le monopole du gouvernement des nations n'ont eu, en fait, d'autres résultats que d'étendre successivement ce monopole, et de conférer ainsi à une classe de plus en plus nombreuse le pouvoir et l'influence naturellement attachés à la possession de [15] l'Etat. Les fonctions qui servaient de débouchés à l'ancienne classe gouvernante n'ont plus suffi à la nouvelle. Il a fallu les multiplier pour satisfaire à l'accroissement de la demande. L'extension des attributions de l'Etat est devenue par conséquent une nécessité politique. En vain, les économistes, gens naïfs et incapables d'apprécier ce genre de nécessité, se sont évertués à démontrer que les produits et les services de l'Etat reviennent plus cher aux consommateurs que ceux de l'industrie privée ; que les fonctionnaires de l'Etat sont plus mal recrutés, moins laborieux et moins serviables que ceux des entreprises particulières, rien n'y a fait. Sous la pression irrésistible des influences électorales et autres, l'Etat a étendu ses attributions et multiplié ses fonctionnaires, et les petits Etats municipaux, départementaux ou provinciaux ont suivi partout l'exemple du grand. Pour ne citer que la France, le nombre des fonctionnaires publics de tout ordre s'y est élevé, dans le cours du siècle, de 60.000 à 400.000, et l'étatisme va, de même, se propageant dans les autres pays, sans excepter l'Angleterre, à mesure que l'extension de la classe gouvernante augmente la demande des places.
Aux bénéfices provenant du monopole des fonctions publiques se joignaient, sous l'ancien régime, ceux des privilèges en matière d'impôts et des redevances féodales. Ces privilèges et ces redevances, après avoir été abolis sous leurs anciennes formes, ont peu à peu reparu, sous d'autres formes adaptées aux intérêts dominants. Les impôts indirects et les monopoles qui pèsent principalement sur les couches politiquement les moins influentes de la population, et qui ne figuraient en France que pour un tiers dans le budget des recettes, ont atteint successivement la proportion des deux tiers. Les droits de douane que le traité de 1786 avait abaissés, sous l'influence des doctrines libérales, propagées en Angleterre par l'école d'Adam Smith, en France par celle de Quesnay et de Turgot, ont été relevés, d'abord à titre d'instruments de guerre, ensuite d'instruments de protection et mis au service des intérêts politiquement influents. Ils ont remplacé, pour les grands propriétaires terriens, les redevances féodales et ont été étendus aux détenteurs de la propriété industrielle coalisés avec eux.
Cette coalition s'est rompue en Angleterre, et les intérêts agrariens réduits à leurs propres forces ont succombé sous l'effort de la Ligue contre les lois céréales. La multitude, exonérée du tribut qu'elle payait aux intérêts privilégiés, a pu augmenter sa consommation des articles de nécessité et de confort, tout en accroissant son épargne, et l'industrie britannique, encouragée par [16] le développement de la consommation et stimulée par la concurrence, a pris un essor merveilleux. [6]
L'exemple de l'Angleterre a été suivi d'abord par les autres nations et on a pu croire, un moment, qu'une nouvelle ère de liberté et de paix allait s'ouvrir pour le monde. Mais l'illusion a été courte. Les intérêts militaristes et protectionnistes n'ont pas tardé [17] à reprendre le dessus. La guerre de la Sécession américaine, en donnant la victoire aux Etats protectionnistes, leur a permis d'élever le tarif au gré de leurs appétits. La guerre franco-allemande, en provoquant, avec une recrudescence du militarisme, l'accroissement général des budgets de la guerre, a obligé les gouvernements à demander à leurs parlements un complément de ressources. La coalition protectionniste a trouvé cette occasion favorable pour se reformer et mettre à prix son concours.
Les tarifs de douane ont été relevés dans le double intérêt de la fiscalité et de la protection. En Allemagne, en Italie, en France les droits sur les articles de première nécessité, le pain et la viande, ont été exhaussés de manière à en élever les prix d'un tiers ou de moitié, dans l'intérêt des propriétaires fonciers, tandis que d'autres exhaussements de tarifs sur les matériaux des vêtements, de l'ameublement, des transports, fournissaient, avec l'adjonction d'un système de primes, la part de leurs alliés, les propriétaires d'industries, aux dépens de la généralité des consommateurs et des contribuables. Aux impôts que ceux-ci doivent à l'Etat s'ajoutent les impôts qu'ils ne doivent pas, et qui ne sont, en réalité, autre chose que les vieilles redevances féodales transformées et modernisées.
On s'explique donc que l'augmentation extraordinaire de la richesse, déterminée par une merveilleuse efflorescence de progrès, n'ait pas accru d'une manière équivalente le bien-être des peuples civilisés. L'incapacité et les vices des gouvernements, le militarisme, l'étatisme, le protectionnisme ont dévoré une forte part de cette plus-value de l'industrie. L'ignorance et l'insuffisance morale des individus émancipés de l'onéreuse tutelle de la servitude, mais encore incapables de supporter tout le poids de la responsabilité attachée à la liberté, en ont détruit ou stérilisé une autre part. Il faut bien le dire. La multitude qui vivait au jour le jour du produit de son travail ne possédait ni la capacité, ni les ressources nécessaires pour mettre en pleine valeur son capital de forces productives. Comme le constatait Adam Smith, l'ouvrier dépourvu d'avances se trouvait vis-à-vis de l'employeur dans une situation inégale, qu'aggravait la défense de remédier à cette inégalité par l'association. D'un autre côté, il avait à faire le difficile apprentissage de la liberté, il devait régler et contenir ses besoins actuels en prévision des nécessités futures, pourvoir aux accidents et aux chômages, remplir toutes ses obligations envers lui-même et envers les êtres dont il était responsable. Doit-on s'étonner s'il n'a point suffi à cette tâche, si, avec un salaire [18] débattu dans des conditions inégales et diminué par les charges des impôts qu'il devait et celles des impôts qu'il ne devait pas, il a trop souvent succombé sous le faix, et si, en même temps que croissait la richesse, se propageaient la misère et la dégradation morale?
Ces maux qui ont accompagné la transformation de l'industrie et l'émancipation des classes ouvrières, les économistes se sont appliqués à les rattacher à leurs véritables causes, et à réclamer les réformes propres à y remédier. Mais ces réformes se heurtent à des intérêts puissants et intraitables, et elles n'ont point d'ailleurs une efficacité immédiate et radicale. Les socialistes ont eu plus de succès en attribuant en bloc les souffrances de la multitude à un pouvoir mystérieux et redoutable qu'ils ont désigné et stigmatisé sous le nom de tyrannie du capital. Cette tyrannie, ils convient les masses ouvrières à la renverser, en employant le procédé expéditif d'une révolution sociale. La révolution faite les socialistes autoritaires, collectivistes ou communistes, se proposent de charger l'Etat de réorganiser la société ; les socialistes anarchistes, au contraire, veulent abolir l'Etat, mais les uns et les autres s'accordent sur un point essentiel : la confiscation du capital.
Et telle est la solution de la question sociale qui tient le record de la popularité à l'aurore du xxe siècle.
Le xixe siècle lègue à son successeur un héritage de milliardaire. Aucun de ses prédécesseurs n'a autant grossi la fortune qu'il avait reçue. Mais s'il a agrandi son domaine et augmenté dans des proportions auparavant inconnues la somme de ses richesses immobilières et de ses valeurs mobilières, il laisse cet énorme héritage fortement grévé de dettes. Il lègue aussi à ses héritiers, sans parler des vices communs à tous les siècles, et dont il ne s'est guère appliqué à se corriger, des habitudes enracinées et aggravées de dissipation et de gaspillage.
Le xxe siècle continuera sans aucun doute à accroître la productivité de l'industrie et à multiplier la richesse. Ses savants, ses inventeurs, ses industriels, ses capitalistes, ses ouvriers ne chômeront point, ils travailleront sans relâche à augmenter la somme des matériaux de la civilisation et du bien-être. Mais il est malheureusement permis de craindre que l'œuvre de ces artisans laborieux de la production ne continue aussi à être contrariée, par [19] l'aveugle égoïsme des intérêts, que ses fruits ne soient, comme d'habitude, détournés de leur destination utile, et employés à des fins nuisibles.
Pendant que la science et l'industrie multiplient la richesse, le militarisme, l'étatisme et le protectionnisme, en attendant le socialisme, s'associent pour la détruire, et en épuiser la source. Les recettes que le travail annuel des nations fournit au budget des gouvernements ne suffisent plus à leurs dépenses. C'est en grévant le travail des générations futures qu'ils rétablissent l'équilibre. Les dettes publiques de l'Europe ont doublé dans la seconde moitié du siècle. En suivant la même progression, elles atteindront pour le moins 400 milliards en l'an 2000. Quels que soient les progrès de la production, ce fardeau ne dépassera-t-il pas les forces des producteurs ? Souhaitons donc — et c'est le vœu le plus utile que nous puissions adresser à notre descendance —, que le xxe siècle n'excelle pas seulement, comme son devancier, à produire de la richesse, mais qu'il apprenne à la mieux employer.
G. DE MOLINARI.
Gustave de Molinari, "Le XXe siècle", Journal des Économistes, Janvier 1902, 5e série, T. XLIX, pp. 5-14.
[5]
Le caractère particulier du xixe siècle, disions-nous dans notre revue de l'année dernière, ce qui le distingue de tous les siècles qui l'ont précédé, c'est une augmentation prodigieuse de la puissance productive de l'homme, en d'autres termes, de sa capacité de créer de la richesse. Mais comme il arrive d'habitude aux nouveaux enrichis, les peuples dont la fortune s'est subitement accrue grâce à une efflorescence extraordinaire de progrès matériels, n'ont pas acquis en même temps la capacité morale nécessaire pour en gouverner honnêtement et utilement l'emploi. Ils ont donné le spectacle des appétits grossiers et des vices des parvenus. Les classes en possession de la machine à faire les lois s'en sont servis pour satisfaire leurs intérêts particuliers au détriment de 1 intérêt général : le militarisme, l'étatisme et le protectionnisme se sont joints pour détourner de leur destination utile, détruire ou stériliser les fruits du progrès. Chose à peine croyable ! à mesure que s'est amoindrie l'utilité des coûteux appareils de guerre que l'ancien régime avait légués au nouveau, on les a renforcés et développés au lieu de les réduire. Tandis que les progrès de la puissance destructive, allant de pair avec ceux de la puissance productive, assuraient d'une manière définitive les nations civilisées contre le risque des invasions des barbares, et que, d'une autre part, la guerre cessait d'être un mode avantageux d'acquisition de la richesse pour devenir une cause d'endettement [6] et de ruine, les armements prenaient des proportions de plus en plus formidables, et la guerre dévorait, dans le cours du xixe siècle, dix fois plus d'hommes et de capitaux que dans aucun des siècles antérieurs. De même, tandis que le développement de l'esprit d'entreprise et d'association permettait d'abandonner désormais à l'initiative libre des individus les travaux et les services d'intérêt public, on a vu l'Etat empiéter chaque jour davantage sur le domaine de l'activité privée, et remplacer l'émulation féconde des industries de concurrence par l'onéreuse routine de ses monopoles. Moins l'intervention de l'Etat est devenue utile, plus s'est étendue la lèpre de l'Etatisme ! Enfin, tandis que la multiplication et le perfectionnement merveilleux des moyens de transport, à l'usage des agents et des matériaux de la production, égalisaient partout les conditions d'existence de l'industrie, et, en mettant en communication constante les marchés de consommation auparavant isolés, enlevaient sa raison d'être originaire au régime de la protection, l'esprit de monopole des classes gouvernantes et légiférantes exhaussait et multipliait les barrières du protectionnisme.
A en juger par ses débuts, le xxe siècle suivra sous ce triple rapport l'exemple de son devancier. Pendant l'année qui vient de finir, les dépenses des gouvernements de l'ensemble des pays civilisés se sont augmentées comme d'habitude,et cette augmentation a porté, comme d'habitude aussi, sur les moins utiles. Nulle part, les services de la justice et de la police qui intéressent la sécurité des individus ne reçoivent une allocation proportionnée aux risques auxquels sont exposées la vie et la propriété de chacun. Aussi ne voit-on nulle part s'abaisser le taux de ces risques et l'industrie des malfaiteurs de toute espèce demeure-t-elle aussi florissante que jamais. Quoique les risques extérieurs qui peuvent menacer la vie et la propriété individuelles, du fait des invasions étrangères, soient devenus à peu près nuls depuis que l'expérience a démontré que toute guerre coûte aujourd'hui plus qu'elle ne rapporte, les budgets de la guerre et de la marine ne cessent point de s'accroître. Ils s'accroissent en raison non de l'augmentation mais de la diminution des risques qu'ils ont pour objet de couvrir. Tous les jours, on met sur les chantiers des cuirassés qui reviennent à une trentaine de millions au bas mot, et qui ne serviront qu'à de fastueuses et vaines parades. A cet égard, l'Espagne a donné un exemple caractéristique. Loin de réduire du montant des frais de garde des colonies qu'elle a perdues les budgets de ses armées de terre et de mer, et de réaliser ainsi une [7] économie indispensable à ses finances délabrées, elle les a augmentés, ses politiciens, — les libéraux aussi bien que les conservateurs, — ayant déclaré « intangibles » ces dépenses désormais inutiles. Quant au budget de la protection qui se superpose au budget de l'Etat, il n'a pas cessé davantage de s'épanouir. En France, la commission des douanes a continué activement à compléter et à perfectionner le tarif Méline, les primes à la marine marchande ont été renouvelées sauf un léger correctif, le régime des admissions temporaires a été modifié dans un sens restrictif etc. etc., en Suède les droits sur les denrées agricoles et la plupart des produits de l'industrie ont été aggravés, en Hollande même, le régime traditionnel de la liberté commerciale est sérieusement menacé par les appétits protectionnistes, en Allemagne, le gouvernement, dominé par une féodalité agrarienne, a présenté au Reichstag un projet de tarif destiné à élever le taux de la rente du sol aux dépens du salaire du travail.
Comment les nations civilisées peuvent-elles consentir à supporter cette politique de gaspillage et de privilège qui a plus que triplé en cinquante ans le chiffre de leurs dettes [7], multiplié et alourdi les impôts qu'elles doivent et ceux qu'elles ne doivent pas? On s'explique ce phénomène, d'ailleurs peu flatteur pour leur moralité et leur intelligence, quand on examine de près leurs éléments constitutifs. Elles se composent au moins pour les neuf dixièmes d'individus, préoccupés uniquement de leurs intérêts particuliers et immédiats, ignorants ou insouciants des intérêts généraux et permanents de la nation, à plus forte raison de [8] l'humanité. Dans les pays tels que la Russie où la multitude des gouvernés est privée des droits politiques qu'elle est, au surplus, incapable d'exercer, le gouvernement se trouve entre les mains d'une classe mi bureaucratique, mi-propriétaire et industrielle qui tire la plus grosse part de ses revenus du budget de l'Etat et du budget de la protection. Dans les pays dits constitutionnels où les gouvernés sont en nombre plus ou moins considérable pourvus du droit électoral, la grande majorité use de ce droit pour en tirer un profit quelconque ou s'abstient d'en user. A la condition de favoriser les intérêts les plus influents, le gouvernement peut impunément sacrifier ou négliger les autres. Or les intérêts les plus influents sont précisément ceux de la classe dans laquelle se recrutent les hauts fonctionnaires civils et militaires qui demandent leurs moyens d'existence au budget de l'Etat, les propriétaires fonciers et les industriels qui se partagent le budget de la protection. Comment donc cette classe budgétivore ne pousserait-elle pas à l'augmentation continue des dépenses dont elle profite, et n'emploierait-elle pas à les multiplier la puissance de l'Etat dont elle dispose?
Et remarquons que la puissance de l'Etat, investie dans l'appareil gouvernemental, s'est singulièrement accrue sous l'influence des progrès des moyens de mobilisation de ses forces et de ses ressources. Cet le puissance est telle qu'elle défie toutes les résistances individuelles et donne aux gouvernements modernes une capacité d'oppression des minorités bien supérieure à celle des gouvernements de l'ancien régime. Quand un souverain d'autrefois entrait en possession d'une province, soit par la guerre, soit par héritage, il se gardait prudemment de loucher aux institutions particulières de ses nouveaux sujets. Il respectait leurs coutumes et leur langue. Lorsque Louis XIV s'empara de l'Alsace, il s'abstint même de changer son régime douanier. L'Alsace demeura une province dite d'étranger effectif et, comme telle, affranchie des charges du tarif protectionniste de Colbert. Il n'en est plus ainsi de nos jours. Les gouvernements usent sans ménagement du droit du plus fort vis-à-vis des populations qui tombent sous leur domination. C'est ainsi que le gouvernement russe, méconnaissant ses engagements formels, a assujetti la Finlande au régime autocratique du reste de l'Empire, et que le gouvernement allemand a interdit aux Danois du Schleswig et aux Polonais de la Posnanie l'usage de leur langue maternelle, en sanctionnant cette prohibition aussi inepte qu'odieuse par l'abus le plus insolent et le plus brutal de la force.
[9]
Malgré la rapidité avec laquelle se développe le budget de l'Etat, il pourrait cependant être bientôt dépassé par le budget de la protection grâce au perfectionnement que l'esprit de monopole a apporté au mécanisme protectionniste par l'invention et la propagation des trusts, des cartels et des syndicats.
Les trusts aux Etats-Unis, les cartels eu Allemagne, les syndicats et les comptoirs de vente en France sont, avec des différences d'organisation, constitués en vue d'un double objet, l'un de diminuer les frais de la production et de l'échange des produits, l'autre, d'élever les prix au niveau des droits protecteurs et de les y maintenir, en supprimant la concurrence intérieure, de manière à procurer aux industries protégées la totalité du bénéfice de la protection. En effet, l'expérience a démontré qu'il ne suffit pas d'exclure du marché intérieur les produits concurrents de l'étranger pour exhausser de tout le montant des droits, les prix au-dessus du taux du marché général; qu'il arrive même, lorsque les droits portés à un taux prohibitif procurent d'emblée des bénéfices extraordinaires aux industries protégées,que l'esprit d'entreprise et les capitaux s'y portent avec surabondance, en déterminant une surproduction cl une baisse qui ramènent les prix au taux du marche général et les l'ont parfois tomber au-dessous. Alors, aux bénéfices plantureux de la première heure succèdent des pertes ruineuses. La chute des entreprises les moins solides dégage,a la vérité, le marché de l'excédent de la production et relève les prix, mais ce relèvement, en attirant de nouveau l'esprit d'entreprise et les capitaux, détermine un retour de la baisse.
Le régime de la protection engendre ainsi un état permanent d'instabilité, dans lequel à une période de hausse provoquée par l'exclusion de la concurrence extérieure succède une série de mouvements alternatifs de rétraction et d'expansion de la concurrence intérieure. Dans les périodes de rétraction les prix peuvent s'élever de tout le montant des droits, et s'il s'agit de denrées de première nécessité, être portés à un taux de famine. Les droits jouent alors entièrement et les producteurs réalisent la totalité des bénéfices possibles de la protection. Dans les périodes d'expansion, au contraire, les droits cessent de jouer, les producteurs vendent à perte et se ruinent. C'est, disons-nous, pour prévenir [10] ces fluctuations désastreuses, élever et stabiliser les prix au niveau des droits protecteurs, que les industriels américains ont entrepris de supprimer la concurrence intérieure, en constituant des trusts qui fusionnent les entreprises concurrentes de la même industrie. Dans quelques cas, ils ont complètement atteint leur but : la Standard Oil Co. et le Sugar trust fournissent la presque totalité du pétrole et du sucre consommés aux Etats-Unis et sont, en fait, maîtres du marché. Le dernier et le plus colossal des trusts, l'United States Steel Co. constitué au mois de mars dernier par la réunion de huit groupes d'entreprises, commande de même le marché des branches principales delà métallurgie. Ce trust monstrueux est formé au capital de 1.100 millions de dollars, et l'ensemble des capitaux des trusts est évalué à 7 milliards de dollars, soit 35 milliards de francs. Les cartels allemands, les syndicats français, syndicat des sucres, comptoir métallurgique à Longwy et autres, sont loin d'avoir atteint le développement des trusts, mais tous, trusts, cartels, syndicats, poursuivent le même objectif, qui est de s'assurer intégralement les bénéfices de la protection en empêchant la concurrence intérieure de troubler le jeu des droits protecteurs.
En Allemagne et en France ces tentatives encore partielles de monopolisation du marché n'ont pas sérieusement ému l'opinion publique. Il en a été autrement aux Etats-Unis. Comme d'habitude, c'est au gouvernement que l'opinion alarmée a eu recours pour défendre les intérêts menacés par la surpression de la concurrence intérieure. Dans la plupart des Etats de l'Union, des lois ont été faites pour empêcher la formation des trusts ou limiter leur pouvoir, mais ces lois, qui avaient pour défaut commun de faire obstacle au développement légitime et utile des entreprises sont demeurées impuissantes contre les manœuvres de l'esprit de monopole : aux combinaisons interdites par les lois, les trusts ont substitué des formes d'association inattaquables. Rien ne serait plus facile cependant que de leur porter un coup mortel : au lieu de faire des lois pour les réglementer, il suffirait de défaire la loi, qui a limité artificiellement la concurrence, en entourant le marché intérieur d'une muraille douanière. Le fondateur du trust des sucres n'a-t-il pas attesté, lui-même, l'efficacité de ce remède en avouant que le tarif est le « père des trusts? »
Mais les tarifs de douane, soit qu'on les considère comme des instruments de fiscalité ou de protection sont défendus par des intérêts puissants. Ils fournissent partout une portion notable des ressources qui alimentent le militarisme et l'étatisme, et la [11] totalité de la dîme que le protectionnisme prélève sur la généralité des consommateurs et des contribuables. L'Angleterre seule a enlevé à son tarif tout caractère protectionniste, mais son exemple n'a été suivi que d'une manière momentanée, et on n'oserait affirmer que la réforme bienfaisante dont elle est redevable aux Cobden, aux Robert Peel, aux Gladstone, soit pleinement assurée contre un retour offensif du protectionnisme allié à l'impérialisme.
Cependant, il serait injuste de rendre les classes gouvernantes responsables de tous les maux qui affligent nos sociétés, ainsi que le font d'habitude les socialistes. Une part de ces maux, et peut-être la plus grosse part, a sa source dans l'incapacité et l'immoralité du gouvernement de l'individu par lui-même. Le budget de la débauche et de l'ivrognerie, par exemple, atteint, s'il ne le dépasse point, dans le plus grand nombre des pays civilisés, le budget du militarisme. Mais, quel que soit le point de partage de la responsabilité des erreurs et des vices du gouvernement de la société et du gouvernement de l'individu, ces erreurs et ces vices causent invariablement une déperdition des richesses qui se répercute sur les classes les moins capables d'en supporter le dommage. De là un malaise et un mécontentement qui semblent, au premier abord, inexplicables, à une époque où des progrès de toute sorte permettent à l'homme d'acquérir les matériaux de la vie en échange d'une somme de plus en plus réduite de travail et de peine.
C'est de ce malaise et de ce mécontentement succédant à des espérances excessives et prématurées qu'est né le socialisme.
A ses débuts, dans la première partie du siècle dernier, le socialisme apparaît sous la forme de simples utopies, conçues par des esprits bienveillants et chimériques. Sans tenir aucun compte des conditions naturelles d'existence de la société, les Saint-Simon, les Fourier et leurs émules rêvent de la reconstruire sur un plan nouveau, mais ils ne songent point à en appeler à la force pour réaliser leurs utopies. Ils sont convaincus qu'il suffira de les propager à la manière des apôtres, pour les faire adopter sans résistance, car ce qu'ils apportent à l'humanité c'est le bonheur universel. D'ailleurs, où trouveraient-ils la force [12] nécessaire pour les imposer? Ils la demanderaient en vain aux classes en possession du pouvoir et de la richesse. Quant à la multitude disséminée en groupes peu nombreux et sans liens dans les ateliers de la petite industrie, cette multitude à l'état amorphe ne pouvait leur fournir aucun point d'appui dans la première moitié du xixe siècle. Privée de tout droit politique, elle ne comptait point dans l'Etat.
Mais dans la seconde moitié du siècle, la situation a changé du tout au tout. La grande industrie a rassemblé dans ses ateliers des milliers de travailleurs, que la transformation et la multiplication des moyens de communication a contribué encore à rapprocher, les lois sur les coalitions ont été abolies et les droits politiques sont descendus dans les couches inférieures de la société : au suffrage restreint qui en conférait le monopole aux classes supérieure et moyenne, a succédé le suffrage universel. Dans ce nouvel état des choses, la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, comme la nommait Saint-Simon, a cessé d'être une poussière sans consistance pour devenir une masse compacte et en voie de s'organiser. Elle a fourni au socialisme le point d'appui qui lui manquait à ses débuts. A son tour, il s'est transformé pour s'adapter à l'état d'esprit de sa clientèle. Cet état d'esprit ne diffère point de celui des classes supérieure et moyenne et comment serait-il plus éclairé et plus moral? Imbue à leur exemple de la doctrine héritée de l'époque où la guerre était le mode le plus lucratif d'acquisition de la richesse, où, par conséquent, le profit de l'un faisait le dommage de l'autre, la démocratie ouvrière est naturellement convaincue qu'elle ne peut s'enrichir qu'en dépouillant les riches. En conséquence, ce qu'elle demande a la loi, c'est de confisquer le capital ou tout au moins de le mettre à la merci du travail. Le collectivisme a répondu à cette demande. En vain, les classes encore en possession du pouvoir défaire la loi s'efforcent aujourd'hui de parer à ce danger, en offrant au cerbère de la démocratie le gâteau des lois dites ouvrières, loi limitative de la durée du travail, en attendant la loi du minimum du salaire, loi reportant sur les employeurs la responsabilité des accidents, naturellement afférente aux employés, loi imposant aux patrons et à l'Etat une part du fardeau des pensions ouvrières, etc., etc., ces offrandes de la peur n'ont pas la vertu de détourner la clientèle du collectivisme, car il lui promet la totalité des biens dont l'Etat bourgeois ne lui offre qu'une part; encore n'est il pas bien certain que cette part ne lui aura point été reprise par la répercussion des lois naturelles qui régissent l'impôt et le salaire.
[13]
Aux deux partis qui se sont disputé pendant le cours du xixe siècle la possession de l'Etat et la confection des lois, l'un, le parti conservateur recruté principalement dans la classe gouvernante de l'ancien régime, l'autre, le parti libéral issu de la bourgeoisie, enrichie par l'industrie, se joint maintenant un troisième parti, représentant la classe ouvrière investie des droits politiques : le parti socialiste. Il semble même que ces trois partis doivent bientôt se réduire à deux. Ne voyons-nous pas le parti libéral se dissoudre partout, et ses éléments constitutifs s'unir suivant l'affinité de leurs intérêts au parti conservateur ou au parti socialiste? On peut donc prévoir que la lutte pour la possession de l'Etat et la confection des lois, qui s'est poursuivie dans le cours du xixe siècle entre le parti conservateur et le parti libéral se poursuivra au xxe entre le parti conservateur et le parti socialiste. On peut prévoir aussi que cette lutte ne sera pas moins ardente, et selon toute apparence moins stérile que ne l'a été sa devancière, et qu'elle engendrera la même série de révolutions, de coups d'état, avec le dérivatif sanglant des guerres étrangères et des expéditions coloniales, qui ont constitué ce qu'on pourrait appeler le passif de la civilisation du xixe siècle.
Si ces prévisions auxquelles conduit, il faut bien le dire, l'enchaînement logique des faits devaient se réaliser, elles justifieraient le pessimisme qui a succédé à l'optimisme des premiers temps du nouveau régime politique et économique. Il est en effet trop évident que la lutte pour la possession du gouvernement ne pourra que croître en violence et que le jour où le parti socialiste aura le pouvoir de faire la loi,il en usera avec moins de discrétion que le parti soi-disant libéral et réformateur dont il est en train de recueillir l'héritage. Il taillera dans le vif de la propriété et de la liberté individuelles. Il brisera ou faussera les ressorts du mécanisme délicat de la production des matériaux de la vie... Mais n'est-il pas permis d'espérer que l'échec inévitable des tentatives de réorganisation artificielle de la société, et le surcroît de misère et de souffrances dont elles seront suivies,feront naître une conception plus saine du rôle de la loi et détermineront la création d'un parti anti-socialiste aussi bien qu'anti-protectionniste. Nous n'ignorons pas que la constitution d'un parti qui n'aurait à offrir à ses officiers et à ses soldats ni « places », ni protections ou subventions, ni bureaux de tabac, pourrait, au premier abord, sembler [14] une entreprise chimérique. On connaît le mot du président Jackson: aux vainqueurs les dépouilles! Pourquoi lutterait-on s'il n'y avait pas de dépouilles, se disent les politiciens de l'école de Jackson ; mais, ne leur en déplaise, il y a encore, il y aura toujours des hommes disposés à servir gratis une bonne cause, et c'est pourquoi nous ne désespérons pas de voir se fonder, au xxe siècle, un parti qui a manqué au xixe : le parti du moindre gouvernement.
G DE MOLINARI.
Gustave de Molinari, Ultima verba: mon dernier ouvrage (Paris: V. Giard & E. Brière, 1911). "Préface," pp. i-xvii.
[i]
Presque arrivé aux limites de la vie humaine — je suis maintenant dans ma 92e année — je vais publier mon dernier ouvrage. Il concerne tout ce qui a rempli ma vie: la liberté des échanges et la paix. Mais quoique la sphère de la paix se soit prodigieusement élargie et que les souverains prodiguent les démonstrations pacifiques, ces idées fondamentales sont partout en baisse. Pourtant il semblait vers le milieu du XIXe siècle qu'elles dussent désormais régir le monde civilisé. Le roi Louis-Philippe ne disait-il pas dans sa réponse à une députation « que la guerre coûtait trop cher et qu'on ne la ferait plus ».
Ces dispositions pacifiques avaient des antécédents: Henri IV endoctriné par Sully avait déclaré qu'il n'y aurait plus de guerre entre les prince chrétiens. Au XVIIIe siècle, l'abbé de Saint-Pierre [ii] s'était fait le bienfaisant propagateur des idées pacifiques et l'abbé Coyer engageait la noblesse à adopter un état plus lucratif quo le métier des armes. Telle était alors la force du mouvement pacifique que Turgot votait sans hésiter le maintien de la paix avec l'Angleterre, en dépit des velléités belliqueuses de la jeune noblesse, qui allait aider à conquérir l'indépendance des possessions anglaises d'Amérique. A la fin des hostilités, sous l'influence des physiocrates, et peut-être d'Adam Smith, le traité de 1786 lia la France et l'Angleterre par une convention qui serait aujourd'hui considérée comme un triomphe libre-échangiste.
***
Mais la Révolution devait bientôt ajourner pour longtemps l'application des principes de paix et de liberté. Après vingt-cinq années de guerre, les puissances européennes célébraient au Congrès de Vienne le retour de la paix générale et réduisaient à deux milliards la somme de leur appareil de guerre. — Elles ne devaient pas tarder à l'augmenter: les dépenses militaires et navales atteignent aujourd'hui, dans l'ensemble des pays civilisés, plus de douze milliards en pleine paix. Le budget de la France, qui à la veille de la [iii] Révolution était d'environ cinq cent millions, dépasse aujourd'hui quatre milliards dont la majeure partie est employée à préparer la guerre ou à solder les dettes laissées par les guerres antérieures. — Mais le milieu du XIXe siècle a vu surgir une recrudescence de l'esprit militaire; les conflits se sont multipliés: on a vu éclater les guerres d'Italie, de Crimée, austro-allemande, de Sécession, répression do la révolte des Sicks aux Indes, guerre franco-allemande, russo-turque, italo-abyssine, turco-grecque, hispano-américaine, russo-japonaise et marocaine qui ont éloigné les grandes espérances que les Congrès et les Ligues contre la guerre avaient fait concevoir. Les manifestations pacifiques dont le souverain de Russie avait pris l'initiative n'ont pas empêché les grandes puissances de décupler leurs armements. Et cependant la sécurité s'est considérablement accrue. I1 n'y a plus guère de peuples qui demandent à la guerre l'augmentation de leurs ressources. Au contraire, les nations victorieuses, aussi bien que les vaincues, voient s'aggraver leur dette. Autrefois la guerre était profitable à ceux qui l'entreprenaient, s'ils étaient vainqueurs, car ils conquéraient des provinces pu des royaumes qui augmentaient d'une manière permanente les bénéfices de la guerre, témoin la conquête de l'Angleterre par les Normands. Mais [iv] cette situation a changé; il n'est aucune guerre qui profite à ceux qui l'entreprennent, même s'ils sont vainqueurs: les profits qu'ils en retirent sont inférieurs à ce que vaudrait l'échange de leurs produits contre ceux d'une contrée réputée ennemie. C'est ainsi qu'il en a coûté à l'Allemagne une somme supérieure aux cinq milliards que lui avait rapporté le conflit avec la France: les armements auxquels l'a entraînée la crainte d'une revanche ont beaucoup dépassé les profits de l'annexion d'une province et de la contribution de guerre. N'oublions pas que les bénéfices en ont été perçus par une classe peu nombreuse de la population, alors que le fardeau de l'impôt a été alourdi pour les autres.
Cependant depuis près d'un demi-siècle les intérêts militaires ont toujours paru prendre une prépondérance de plus en plus grande. C'est une contradiction qui tient à ce que, dans l'ensemble des nations, les gouvernements et la classe sur laquelle ils s'appuient de préférence sont ou se croient intéressés à l'état do guerre. Il est évident que la situation des classes influentes n'a pas été amoindrie par la guerre: même en Amérique la guerre de Sécession qui avait ruiné les provinces vaincues a occasionné aux provinces du Nord et aux industriels dé l'Est vainqueurs une recrudescence de [v] protectionnisme qui a abouti au régime des trusts et engendré les milliardaires. En Allemagne, la classe militaire a vu sa puissance augmenter par l'accroissement des budgets de la guerre et de la marine, et les industriels ont exhaussé leurs bénéfices grâce aux tarifs protecteurs, mais la masse a vu enchérir ses denrées alimentaires et s'accumuler les emprunts dont elle doit, en définitive, payer les frais sans cesse croissants. Aussi les classes dominantes ont-elles intérêt à conserver la propriété des masses gouvernées qui leur fournissent la plupart des revenus militaires ou civils dont elles vivent.
***
Si, à l'encontre de ce que l'on espérait au début de ma carrière, en ces premières années du XXe siècle on peut constater le progrès des sentiments belliqueux dans les classes supérieures, on doit remarquer aussi que, dans ce même intervalle, le protectionnisme s'est étendu sur tout le monde civilisé, à l'exception de l'Angleterre restée jusqu'ici libre-échangiste. Cependant je demeure toujours un ferme partisan de la paix et de la liberté. Ce qui me fait croire à leur triomphe final c'est que des progrès de tout genre ont multiplié les échanges et diminué ainsi le coût de la vie tandis que là guerre a pour résultat de l'enchérir. Il y a ainsi entre la [vi] guerre et la paix une différence fondamentale. On ne peut pas dire que la guerre travaille gratis, même si elle est victorieuse, tandis que l'échange augmente quand même les profits des deux parties. Ce qui redouble mes espérances, c'est que depuis un siècle la face du monde a été modifiée: innombrables inventions, grâce auxquelles la richesse s'est développée et multipliée, ont ajouté à l'agrément de l'existence. La guerre empêche la richesse de s'accroître; elle a pour effet d'augmenter les frais de production tandis que les inventions ont généralement pour but de les abaisser. Cependant les inventions n'ont pas seulement pour résultat de rendre la vie meilleure, au contraire elles ont aussi perfectionné l'art de la guerre: fusils et canons ont augmenté leur portée destructive, on a ajouté aux anciens de nouveaux engins destructifs: torpilles, sous-marins, dirigeables et aéroplanes même, dynamite et autres explosifs. Enfin chaque jour apporte son perfectionnement dans l'art d'anéantir ses semblables et les fruits de leur activité, on sorte que les inventions qui ont pour objet de détruire pourraient bien dépasser celles qui concourent à améliorer le sort de l'humanité; les peuples seront ainsi obligés, s'ils ne se resaisissent promptement, de supporter le coût croissant de la guerre et de ses préparatifs. Le pourront-ils longtemps?
[vii]
Durant une assez longue période après la fin des guerres du premier Empire, le monde avait joui de la paix. On avait donc alors quelque raison de croire que la guerre cesserait de ravager le monde. Les Congrès de la paix commençaient à se multiplier. La liberté des échanges trouvait aussi d'ardents protagonistes. En Angleterre les réformes de M. Huskisson faisaient prévoir la disparition du protectionnisme, celles auxquelles Richard Cobden et Robert Peel ont attaché leur nom annonçaient sa fin prochaine. On pouvait se flatter de l'espoir que la civilisation aurait pour auxiliaire la paix et la liberté et que de cette époque daterait la cessation de l'hostilité des peuples. Les révolutions et les guerres ne tardèrent pas â faire rompre la paix et reparaître le protectionnisme. Les tarifs des douanes ont continué à séparer les nations, et même on peut craindre l'accroissement et l'extension du régime protecteur.
***
Cependant depuis plus d'un demi-siècle une véritable efflorescence a commencé à changer la face du monde. Dans le cours de ma longue existence j'ai vu naître les chemins de fer dont le réseau atteint actuellement un million de kilomètres. Des [viii] vapeurs traversent aujourd'hui les océans. L'électricité transmet les pensées du monde entier. La photographie est devenue l'auxiliaire des relations. Dans mon enfance on n'écrivait qu'avec des plumes d'oie; on ne connaissait pas plus les plumes métalliques que les timbres-postes ou la bougie, le gaz venait à peine de naître. Des milliers d'inventions facilitent la vie. Même les fruits de l'intelligence étaient alors moins nombreux et commençaient seulement à se répandre dans les masses. L'état mental actuel des esprits est à peine comparable à ce qu'il était à la veille du commencement du XIXe siècle. Mais l'état moral de l'humanité est inférieur à celui de son intelligence. De là, la grande crise dans laquelle se débattent aujourd'hui lés sociétés en voie de civilisation. On pourrait presque les comparer à ces gens auxquels les hasards de la loterie procurant soudainement un million ont modifié du jour au lendemain leur existence matérielle sans rien changer à leur état intellectuel: la plupart de ces gagnants ne songent qu'à améliorer leur bien-être matériel, quand ils ne se livrent pas aux pires jouissances, mais leur moralité reste la même, si même elle ne s'abaisse pas. C'est pourquoi l'on peut presque dire que le progrès de la civilisation s'est plutôt ralenti que précipité, car il dépend à la fois de l'intelligence et de là moralité.
[ix]
***
A peu près au même moment que cette efflorescence des inventions est apparu le socialisme.
C'est une tendance devenue universelle de renverser les gouvernements pour leur substituer un régime égalitaire. Le socialisme ne trouve, en somme, une absolue résistance que dans les classes dont il bouleverse les moyens d'existence. Jusqu'à présent il n'a pas découvert un système propre à remplacer l'ancien régime sous lequel l'humanité à vécu, quelques diverses qu'en aient été les formes. Il a suscité des révolutions et des guerres civiles et selon tout apparence il en suscitera encore d'autres.
Mais quel est le régime préconisé par le socialisme? Né de l'ensemble des souffrances que les peuples ont éprouvées du fait de leurs dominateurs, ils en voient le remède dans la propriété d'eux-mêmes. Ils travaillent, en conséquence, à expulser leurs dominateurs et à les remplacer par un gouvernement issu d'eux-mêmes: c'est ainsi qu'est né le gouvernement parlementaire ou constitutionnel. Et dans l'ignorance des lois naturelles par lesquelles la Providence gouverne les hommes en se bornant à en prescrire l'observation, -ils ont institué des lois multiples, plus souvent nuisibles [x] qu'utiles à ceux qu'ils voulaient protéger. C'est pourquoi le socialisme, dans l'ensemble de ses systèmes, en admettant qu'il réussisse à les installer, aboutirait à la ruine des sociétés. Et les chefs d'Etats, monarchistes ou républicains, quels que soient les mobiles auxquels ils obéissent, ont tort de leur céder, même s'ils sont poussés par les sentiments les plus purs et les plus élevés tels que ceux de la philanthropie.
Sans qu'il y paraisse, le régime parlementaire et constitutionnel aboutit au socialisme car de socialisme n'est autre chose que l'appropriation de tous les moyens de se procurer des richesses, y compris la direction de la société. Le régime constitutionnel et parlementaire est demeuré la propriété des classes supérieures qui se sont enrichies et possèdent la plus grande partie des moyens de subsistance. C'est pourquoi elles sont dénommées classe capitaliste et sont plus que jamais l'objet d'une envieuse considération. Mais le socialisme veut s'emparer de la richesse existante. La lutte entre le socialisme et le capitalisme est donc éternelle. Cependant, il est avéré que dès que les socialistes deviennent capitalistes, ils changent d'opinion et deviennent à leur tour les défenseurs du capital. Ils cèdent le moins possible au socialisme et c'est ainsi qu'on a pu dire, en modifiant les [xi] termes, qu'un jacobin ministre n'est pas nécessairement un ministre jacobin.
La direction de l'Etat est l'objet du régime parlementaire auquel presque tous les anciens maîtres des Etats se sont ralliés en considérant les avantages matériels qu'ils y trouvent.
La Révolution a simplement changé l'apparence du régime qui jusque-là avait été dominant. Les monarques étaient jusqu'alors considérés comme les propriétaires de leurs peuples; la Révolution a changé nominalement cet état de choses: les peuples devenus propriétaires d'eux-mêmes sont désormais chargés de se gouverner. Ils ont d'abord élaboré une constitution édictant leurs droits et leurs devoirs. Mais ils sont incapables de se conduire, et, en fait, ce régime n'est autre que la domination d'une classe sur la multitude. Cette domination d'une classe gouvernante peu nombreuse excite l'opposition de la masse exclue du gouvernement. Aussi, bien qu'il n'y ait qu'une classe qui exerce lé pouvoir et une opposition, comme il y a une masse électorale à peu près illimitée, on a vu se multiplier les partis avides de gouverner. Mais, que ce soit monarchie ou république, on peut constater la cherté progressive du gouvernement car la classe bureaucratique qui en dépend s'est prodigieusement accrue. Le gouvernement à bon marché [xii] semble plus que jamais devenir une utopie puisque le régime constitutionnel augmente encore ainsi les frais du gouvernement belliqueux et protectionniste quoiqu'il les reporte souvent, sur les générations futures en les laissant responsables de ses emprunts et de ses dettes.
On s'imagine communément que ce régime est le plus parfait possible, pourtant on remarque de nombreux symptômes de décadence même chez les peuples les plus avancés en civilisation. Nous croyons qu'il sera perfectionné comme l'a été la machine à vapeur et le métier à tisser. Et déjà l'on peut conjecturer ce que seront ces progrès en voyant quelles évolutions ont subies les entreprises financières ou industrielles. Mais si le perfectionnement du régime constitutionnel est possible, il peut aussi être retardé à cause du grand nombre d'individus incapables qui remplissent les devoirs électoraux. Nous ne parlons pas de l'extension aux femmes du droit de vote, que nous ne souhaitons pas, bien que nous soyons tout l'opposé d'un antiféministe, parce que plus il y aura d'électeurs, plus les résultats seront mauvais. Et ce n'est pourtant pas déjà brillant. Si l'on regarde d'un peu près les faits et gestes des représentants du peuple, on aperçoit partout leur inconséquence: En Espagne les uns consentent à [xiii] laisser fusiller Ferrer sous prétexte qu'il enseignait une morale contraire à celle du gouvernement, qui n'en a pas, et les autres sous prétexte de libéralisme, rompent avec le Pape à propos d'associations religieuses qui conviennent à certains partis mais non à tous. En France ils ont confisqué des biens et prononcé le bannissement de religieux et religieuses qui enseignaient une doctrine qui leur déplaisait; pour accomplir ce travail ils se sont adjugé individuellement quinze mille francs par an! En Belgique, nous avons été témoin d'une enquête libérale dirigée contre les pauvres femmes qui faisaient donner à leurs enfants l'enseignement congréganiste, le résultat a été d'amener le parti clérical au pouvoir, où il se maintient depuis vingt-six ans malgré la rancune d'une partie des électeurs mécontents de le voir monopoliser places et faveurs du gouvernement pour ses créatures au détriment de l'industrie et du commerce qui en font les frais. En Allemagne, les représentants du peuple se montrent les humbles serviteurs du gouvernement qui opprime les anciens sujets du Danemark et les Polonais obligés à un service militaire et à des impôts qu'ils ne doivent pas. En Russie, la Douma a accepté le transfert au peuple des charges et emprunts de là guerre avec le Japon et a, en outre, ratifié le despotisme infligé aux Juifs, [xiv] aux Polonais et aux Irlandais. En Amérique, les représentants du peuple ont ratifié la confiscation des intérêts des vaincus des Etats du Sud au profit des industriels protectionnistes du Nord et de l'Est qui en ont profité pour accaparer les industries protégées, d'où découlent les trusts avec les milliardaires, et remplacé l'esclavage par le mépris et le lynchage des noirs. Leurs politiciens sont pour la plupart tellement décriés que les honnêtes gens ne veulent pas les recevoir... et le malheur est qu'en nombre d'autres pays ils commencent aussi à glisser sur cette pente. En Italie ils ont augmenté le fardeau des impôts dans des proportions telles que l'émigration s'y est développée d'une façon intense. En Angleterre des scènes de pugilat se sont produites en plein Parlement de même qu'en Autriche-Hongrie où les antisémites se livrent à leurs fureurs et les diverses nationalités à leurs disputes pour la prééminence dans la direction des affaires de l'Empire, ne retrouvant un peu d'accord que lorsqu'il s'agit de s'emparer du bien d'autrui comme l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, par exemple. En Turquie, ne voit-on pas aussi une petite coterie, sorte de comité directeur, s'efforcer de faire prévaloir les intérêts du « turquisme » au lieu de régir équitablement ceux de toutes les populations qui forment l'ensemble du pays. Tels ont [xv] été quelques-uns des faits et gestes des représentants du peuple sous le régime qualifié de constitutionnel.
Mais on peut se figurer un régime supérieur au régime constitutionnel. Et ce régime, modelé sur là constitution naturelle de l'industrie, sera énormément simplifié. Déjà les compagnies de transport, les institutions financières, les sociétés industrielles et commerciales ont un conseil d'administration dont les opérations sont surveillées par des délégués des actionnaires et aussi par ces derniers qui se réunissent une fois l'an, parfois deux, pour examiner les affaires, prendre les décisions utiles et ratifier les comptes. Ils participent aux travaux de l'assemblée suivant le nombre d'actions qu'ils possèdent. Une partie du conseil d'administration est nommée par le fondateur de l'entreprise, la ratification des autres nominations est réservée aux actionnaires après proposition du président et du Conseil. Les membres de ces conseils sont généralement rééligibles et restent en fonctions leur vie durant. Ils diffèrent peu en cela des ministres de l'ancien régime monarchique, témoin Colbert, tandis que ceux du régime constitutionnel sont devenus d'une mobilité excessive, selon l'état des partis qui se partagent les parlements. — Dans les entreprises privées, les assemblées nomment un [xvi] président qui est le principal directeur des opérations de l'affaire et reçoit des appointements supérieurs à ceux des autres conseillers, sans être cependant excessifs. Ces appointements ne se comptent que par milliers de francs tandis que ceux des monarques constitutionnels, issus dé l'ancien régime, se comptent par millions. Tel est le progrès politique que nous avons en vue et qui sera suivi de tous les autres.
On pourrait objecter que la plupart des assemblées parlementaires travaillent activement et font des lois auxquelles tous les peuples de la monarchie ou de la république sont soumis bien qu'elles soient seulement l'oeuvre d'une partie du parlement. Mais on compte les lois utiles, à peine une seule sur une centaine, et les décrets d'un conseil d'administration seraient plus efficaces quoiqu'ils soient issus de la même source, savoir, de la généralité des actionnaires c'est-à-dire du suffrage universel. L'avènement du socialisme a sensiblement augmenté le nombre des lois car les socialistes ignorent en quoi consistent les lois naturelles; ils sont convaincus que celles qu'ils fabriquent sont supérieurement faites et ils en exigent l'application rigoureuse. Dans ce but leurs ministres multiplient les fonctionnaires. Mais à peu près toutes les lois inspirées par le socialisme sont faites pour une certaine classe [xvii] d'hommes à laquelle elles semblent profiter bien qu'elles leur soient nuisibles. Car tout ce qui change la destination de la fortune de l'ensemble des contribuables est loin d'être toujours favorable à la richesse publique. En faisant passer les ressources dés classes favorisées de la fortuné en des mains moins capables ou plus dispendieuses et en augmentant lès dépenses militaires, le protectionnisme et le fonctionnarisme, la richesse diminuera et les dettes s'accroîtront jusqu'à ce que le pays ne puisse plus en supporter le fardeau. Peut-être est-ce ainsi que, selon toute apparence et malgré le développement progressif de la civilisation, se perdront les Etats les plus florissants. C'est de cette sorte qu'a péri le monde romain, bien autrement civilisé que la nuée des barbares qui l'entourait. Les vices intérieurs et les dépenses excessives écraseront la civilisation actuelle comme les Barbares l'ont écrasée, dans l'antiquité. Ce sera un nouveau mode de destruction non moins certain et aussi complet que le précédent.
[1] L'homme ne peut, dans les meilleures conditions possibles, effectuer en dix heures qu'un travail de 220.000 kilogrammètres. En une heure, une machine de 1 cheval-vapeur fait 270.000 kilogrammètres, soit plus qu'un homme en dix heures. On peut donc avancer qu'il faut, en général, 10 hommes pour faire le travail d'une machine de 1 cheval-vapeur. (Henri De Pahville. Causeries scientifiques).
[2] 30.570.000 liv. st. à l'importation et 43 152.000 liv. st. à l'exportation.
[3] L'influence des voies de communication au xixe siècle, par E. Levasseur, p. 12.
[4] D'après les recherches de M. Dudley-Baxter (dans son ouvrage National Debts), recherches qui sont, il est vrai, en partie conjecturales pour les périodes un peu éloignées de nous, l'ensemble des dettes nationales des pays civilisés montait, en 1715, à 7 milliards 500 millions de francs. En 1793. l'ensemble des dettes publiques des contrées de notre groupe de civilisation y compris les Etats-Unis et l'Inde anglaise, s'élevait à 12 milliards et demi de francs ; l'Angleterre devait à elle seule plus de la moitié de cette somme. De 1793 à 1820, les dettes nationales s'accrurent infiniment plus que dans les quatre-vingts années précédentes : l'ensemble, à la dernière de ces dates, peut être évalué à 38 milliards de francs dont 23 milliards pour la seule dette anglaise. De 1820 à 1848, le monde jouit d'une paix profonde. Aussi les engagements des nations ne s'élevaient-ils, en 1848, qu'à 13 milliards environ. La Révolution de 1848, les guerres du second Empire, etc., ont porté cette somme à 97.774.000.000 de francs en 1870. On peut estimer enfin que l'ensemble des dettes des nations plus ou moins civilisées dépasse actuellement 130 milliards. (Paul Leroy-Beaulieu. Traité de la science des finances, T. II. chap. XIV. Les dettes des grands Etats).
[5] Henri Welschlinger. Journal des Débats, 11 juillet 1900.
[6]Nous empruntons à notre jeune confrère l'Individualiste, le tableau suivant des résultats de la politique du libre-échange en Angleterre:
Or accumulé : De 1858 à 1899 le total des importations nettes d'or s'est élevé a £ 148.000.000 ou 3.700.000.000 de francs. 1 livre sterling ou £ = 2b francs. 1 livre anglaise vaut 497 grammes. (*) Ce dernier chiffre aurait môme été plus fort; mais des changements fiscaux récents ont exempté d'impôts certains petits revenus.
[7] Dans notre chronique du mois de mai dernier, nous avons reproduit une communication de lord Avebury à la Société de statistique sur l'augmentation énorme et continue des dettes publiques. De 42 milliards en 1848 les dettes des Etats civilisés ont monté à 117 milliards en 1873, à 128 milliards en 1888 et à 160 milliards en 1898. La plus forte part, on pourrait dire la presque totalité de ces dettes, a servi à alimenter la guerre ou cette préparation à la guerre qui a pris le nom de paix armée. D'après lord Avebury, les dépenses militaires et navales des grandes puissances européennes se sont augmentées depuis vingt ans dans les proportions suivantes: