[Created: 15 October, 2014]
[Updated: 18 January, 2017] |
Jacques Bonhomme, (Paris: Imprimerie centrale de Napoléon Chaix et Cie, rue Bergère, 8, 11 June - 13 July, 1848). Manager/director: J. Lobet.
Authors (unsigned): Frédéric Bastiat, Gustave de Molinari, Charles Coquelin, Alcide Fonteyraud, and Joseph Garnier.
Contents of Issue 4:
Below are high resolution images of each article in the issue, with a transcription into French and an English translation. Those attributed to Bastiat by Pailloettet and Molinari will be checked against the version provided in his Oeuvres complètes.
Abbreviations used:
For further information, see the main Jacques Bonhomme page.
No. 4. Paraissant le dimanche. - Prix: 5 centimes. Du 9 au 13 juillet 1848. [Issue no.4. Appearing on Sundays. Price: 5 centimes. 20-23 June, 1848.]
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Le gerant, J. Lobet.
Imprimerie centrale de Napoléon Chaix et Cie, rue Bergère, 8.
French Transcription:
Sommaire
Guerre civile et misère. — Sur ce que l’on peut faire pour améliorer la condition
du peuple. — Timbre et Cautionnement. — Ré-organisation du Conseil municipal.
— Si Jacques Bonhomme avait de l’argent ! — En-tente cordiale entre la France
et l’Angleterre. — Jacques Bonhomme à l’Assemblée nationale. — Dissolution
des Ateliers nationaux. — Nouveau plan des Finances. — Nouveau Gouvernement.
— Décrets relatifs aux bons du Trésor et à la Caisse d’épargne, etc.
English Translation:
Summary of Contents
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Title: [Introduction]
Location: Page 1, LC.
Publication: abc
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French transcription
[Introduction]
La plus effroyable guerre civile a ensanglanté Paris pendant trois jours. L’autorité de l’Assemblée nationale, issue du suffrage universel, a été tenue en échec par l’insurrection, répandue dans la moitié la plus populeuse de la ville. Force lui est restée, mais des milliers de citoyens ont payé de leur sang et de leur vie ce douloureux triomphe ; mais des milliers d’insurgés attendent dans les prisons les suites de leur fatale entreprise !
Qu’était-ce que ces hommes qui ont joué le rôle de barbares contre la civilisation ?
Il y avait parmi eux des bandits, ennemis de toute société, qui poussaient au désordre pour se livrer au pillage ; des mécontents, des ambitieux qui voulaient satisfaire leurs mauvaises passions : des agents provocateurs agissant au nom de tous les partis, au nom de tous les ennemis de la France et de la République ; mais la masse était composée d’hommes égarés par les plus dangereux sophismes.
Ces hommes n’ont pas compris qu’il n’y a pas de gouvernement plus légitime que celui qui sort du suffrage universel, et qu’en politique il ne saurait y avoir de crime plus grand que la révolte de quelques-uns contre l’autorité d’une assemblée qui représente le pays.
Ces hommes n’ont pas compris que la misère dont ils souffrent avec la société tout entière, ne peut être efficacement soulagée que par la reprise du travail.
Ils n’ont pas compris que le travail ne peut reprendre que si la confiance se rétablit, si les possesseurs d’un avoir quelconque se rassurent, si les capitaux reprennent le chemin de l’usine, de la manufacture, de l’atelier.
Ils n’ont pas compris qu’une fois l’Assemblée nationale renversée et remplacée par une dictature incapable et impossible, la plus affreuse guerre civile s’étendait sur toute la France, le travail devenait impossible, et la misère plus effroyable que jamais.
Leur défaite leur nuit donc bien moins que leur victoire.
English Translation
[Introduction]
abc
Title: Sur ce que l’on peut faire pour améliorer la condition du peuple.
Location: Page 1, LC, CC.
Publication: abc
French transcription
Sur ce que l’on peut faire pour améliorer la condition du peuple.
On a commis une grave imprudence après Février. On a dit au peuple : Tu es misérable, eh bien ! du jour au lendemain nous allons te rendre heureux. Tu as jusqu’à présent beaucoup travaillé et peu gagné. Eh bien ! à l’avenir, tu travailleras peu et tu gagneras beaucoup.
Ceux qui disaient ces choses au peuple étaient des gens instruits, nous ne disons pas éclairés ; des gens qui avaient passé leur vie à écrire des livres et des journaux. Le peuple les a crus sur parole, et il a d’abord patiemment at-tendu la fin de sa misère.
Mais voici ce qui est arrivé.
Les hommes qui avaient fait au peuple ces promesses somptueuses se sont bientôt aperçus qu’ils ne pourraient les tenir. Ils se sont aperçus que l’on ne pouvait du jour au lendemain enrichir tous les pauvres, soulager tous les souffrants.
Alors qu’ont-ils fait ?
Ils ont dit au peuple que leurs bonnes intentions avaient été traversées par les bourgeois ; ils ont dit que les bourgeois s’opposaient, les uns sourdement, les autres ouvertement, à ce qu’ils fissent le bien du peuple ; ils ont dit qu’il y avait une réaction contre la République égalitaire et fraternelle.
Alors qu’a fait le peuple ?
Le peuple a pensé qu’on voulait lui escamoter la République, et il a voulu la reconquérir.
Déplorable erreur !
Si le peuple avait écouté la raison, au lieu d’écouter les passions, voici ce qu’aurait fait le peuple.
Il se serait dit :
Ceux qui affirment qu’ils peuvent transformer en un jour la pauvreté en richesse, se trompent ou me trompent. Je ne veux point les écouter. Je possède maintenant la république avec le suffrage universel, la liberté d’association et la liberté de la presse : eh bien, avec le suffrage universel, la liberté d’association et la liberté de la presse, je pourrai toujours, aussitôt que je le voudrai, obtenir les améliorations que je croirai justes et nécessaires.
En attendant, je vais me mettre à travailler d’abord, ensuite à étudier sérieusement toutes les questions économiques qui me concernent.
Si le peuple avait tenu cette conduite prudente et sage, il en serait résulté ceci :
Chacun, s’apercevant que la fermentation générale était calmée, aurait repris confiance, et aussitôt la crise commerciale et financière aurait cessé.
Voilà pour le présent.
Maintenant voici pour l’avenir.
En étudiant les questions économiques, le peuple aurait acquis la conviction entière :
En premier lieu, que si des améliorations no-tables dans sa situation sont possibles dans un délai de peu d’années, en revanche, c’est une chimère que de rêver pour lui un pays de Cocagne où l’on gagnera beaucoup en travaillant peu ;
En second lieu, qu’il n’y a qu’un moyen pratique immédiatement réalisable de venir en aide au pauvre peuple, et que ce moyen consiste à diminuer la dépense du budget.
Alors le peuple aurait fait, lui aussi, son plan de finances.
Le peuple aurait dit : Je n’ai pas besoin d’une armée permanente de 350 000 hommes : 150 000 hommes me suffisent.
Ci, une économie de . . . . . . . . 200 millions
Je n’ai pas besoin d’une marine militaire qui me coûte 120 millions ; les États-Unis se con-tentent d’une marine inférieure des deux tiers à la mienne, et cependant les États-Unis se croient, et son, en effet, suffisamment protégés sur mer.
Ci, une autre économie de . . . . 80 millions
Je n’ai pas besoin de payer chaque année plus de 100 millions d’impôts pour l’exécution de travaux publics que je pourrais beaucoup mieux et beaucoup plus économiquement exécuter moi-même, par des associations volontaires de petites sommes de 100, 50, 25 ou 10 fr.
Ci . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 millions
Je n’ai pas besoin non plus de payer une armée de 140 000 employés civils, tandis que les États-Unis sont parfaitement gouvernés avec 12 000 fonctionnaires.
Sur ce chapitre, et sur plusieurs autres dont le détail est inutile, je puis économiser encore au moins 60 millions, ce qui fait en totalité une économie annuelle de 500 millions. Or, la dé-pense totale du budget étant de 1 500 millions, cela le réduirait à 1 milliard.
Maintenant, si le peuple de France n’avait, chaque année, à payer qu’un milliard, au lieu de 1 500 millions, pour ses frais de gouvernement, il pourrait exiger la suppression d’une foule d’impôts onéreux et vexatoires ; il pourrait de-mander et obtenir la suppression de la plupart des impôts qui augmentent le prix de ses objets de consommation, le prix du pain, du vin, de la bière, le prix des meubles, des outils, des mai-sons, en un mot, le PRIX DE LA VIE.
Il pourrait demander et obtenir, en remplacement de la multitude d’impôts qui le grèvent et le vexent, l’établissement d’un impôt unique, proportionnel du revenu de chacun.
Cet impôt, pouvant être établi sans entraver aucunement la liberté, le peuple jouirait alors de tous les avantages de la liberté du travail et du commerce.
Alors aussi la condition du peuple se trouve-rait véritablement et efficacement améliorée.
Alors la République française serait la meilleure des républiques, et le peuple français un des peuples les plus heureux de la terre.
English Translation
title
abc
Title: Timbre et Cautionnement
Location: Page 1, RC.
Publication: abc
French transcription
Timbre et Cautionnement
Quand on exige le timbre des journaux, c’est comme si on disait :
Tu ne liras aucune feuille publique sans payer une amende de 5 centimes par jour, ou 15 francs par an ;
Si tu as une idée à communiquer à tes concitoyens par voie d’affiche, tu ne le feras qu’à la condition de payer une amende de 5 ou 6 francs, suivant que tu feras pour cent ou deux cents affiches de la plus petite dimension.
Quand on exige qu’un journal paye le cautionnement, on agit en vertu de ce principe : qu’il n’y a que ceux qui peuvent laisser chômer un capital de 20, 30 ou 40 000 francs qui ont le droit de publier leurs opinions et d’exercer la profession de publiciste.
Il paraît à Jacques Bonhomme qu’il y a une grande contradiction de la part de ceux qui ont inventé le timbre et le cautionnement, et qui n’ont jamais cessé de dire que la liberté de la presse est la condition indispensable des sociétés modernes les plus avancées.
Le timbre et le cautionnement ne sont sou-tenables que lorsqu’on avoue franchement qu’il faut limiter le plus possible la liberté de penser, d’écrire et de publier ses opinions.
Mais les abus ? mais la licence ? — À cette objection, Jacques Bonhomme a une réponse bien simple.
D’abord, l’expérience a prouvé que les entraves du timbre et du cautionnement n’ont jamais empêché la formation d’un journal dangereux, la publication d’un écrit malveillant ou saugrenu. Nous pourrions citer des centaines d’exemples. L’espèce humaine est ainsi faite, que quand il s’agit de quelque chose de mal, les difficultés servent tout simplement d’excitants.
Ensuite, n’a-t-on pas des lois répressives contre la presse, contre ceux qui font des écrits attentatoires aux mœurs publiques, à la réputation ou à la fortune d’autrui ? Qu’on perfection-ne ces lois, qu’on les multiplie, qu’on les rende autant sévères que possible, mais qu’on laisse faire à ceux qui veulent agir sous leur responsabilité.
Jacques Bonhomme a fait son apparition au milieu d’un déluge d’autres feuilles de toutes les couleurs, et dont les quatre-vingt-dix-neuf centièmes, selon lui, débitaient au public de fort mauvaises réflexions. Ce débordement inévitable, dans les premiers moments de liberté, commençait à se calmer de lui-même, lorsque l’état de siège a été proclamé ; le sens commun se faisait jour dans quelques nouveaux canards, le lecteur se fatiguait de la presse grossièrement épicée qu’on lui débitait ; et finalement, le public s’avançait vers le moment où il aurait joui de tous les avantages de la libre vulgarisation de la pensée, avantages qui l’emportent de beau-coup sur les inconvénients.
Nous ne croyons pas à l’efficacité de la fiscalité préventive. Nous pensons qu’on entend mal les intérêts de la société et de la civilisation en remettant en vigueur des lois illibérales contre la presse. Nous sommes persuadé qu’on prend pour remède une des causes du mal.
English Translation
title
abc
Title: abc
Location: Page ???.
Publication: abc
French transcription
Réorganisation du Conseil municipal
Bonne et excellente mesure, dont il faut sa-voir gré au pouvoir exécutif.
Depuis quatre mois, les affaires de la ville étaient livrées au provisoire,
c’est-à-dire forcément, à l’anarchie et au désordre, malgré la bonne volonté
de beaucoup de ceux qui y prenaient part. On avait eu raison de dissoudre le
conseil municipal le lendemain de la révolution,
pour n’avoir pas à le consulter dans une série de mesures d’urgence ; mais
on avait eu tort de ne pas le rappeler sous une forme ou sous une autre, dès
que son concours était devenu nécessaire, dès que l’Assemblée nationale avait
été réunie, dès que la Commission exécutive avait été chargée de mettre de
l’ordre dans l’ad-ministration du pays.
La nouvelle Commission, d’accord avec le maire de Paris, avait à redresser
toutes les me-sures qui ont été prises, et à pourvoir aux énormes dépenses
nécessitées par la révolution. La besogne ne sera pas facile.
Au nom du peuple français.
Le président du conseil des ministres chargé du pouvoir exécutif,
Vu l’article 1er du décret de l’Assemblée nationale du 3 de ce mois,
Vu le rapport du ministre de l’intérieur ;
Arrête :
Art. 1er. Sont nommés membres de la commission mu-nicipale et départementale, chargés d’exercer provisoire-ment les fonctions attribués au conseil général de la Seine et au conseil municipal de Paris,
Les citoyens :
Arago, ancien membre du conseil municipal de Paris.
Chevalier, id.
Delestre, id.
Dupérieur, id.
Galis, id.
Say (Horace), id.
Thierry, id.
Considérant, id.
Mortimer-Ternaux, id.
Boulay (de la Meurthe), id.
Lanquetin, id.
Riant, id.
Buchez, représentant du peuple
Froussard, id.
Vaulabelle, id.
Ferdinand de Lasteyrie, id.
Vayin, id.
Guinard, id.
Peupin, id.
Garnon, id.
Philippe Lebas, membre de l’Institut.
Littré, id.
Liouville, représentant du peuple.
Outin, manufacturier.
Chevallon, représentant du peuple.
Moreau, ex-maire du 7e arrondissement.
Bourdon.
Ramon de la Croisette, colonel de la 4e légion.
Duvegier, avocat.
Pelouze, membre de l’Institut.
Boissel, représentant du peuple.
Péan, id.
Boulatignier, id., conseiller d’État.
Art. 2. Le ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Fait à Paris, à l’hôtel de la présidence, le 4 juillet 1848.
E. Cavaignac.
Le ministre de l’intérieur, Sénart.
_____________
Si Jacques Bonhomme avait quelques millions à sa disposition, il les partagerait
entre :
1° M. Cabet, s’il s’engageait à emmener quel-que part beaucoup de socialistes communistes pour fonder la communauté icarienne qui doit faire le bonhomme de l’humanité :
2° M. Pierre Leroux, s’il s’engageait à emmener quelque part les socialistes communistes qui ont comme lui foi dans le système de la Triade ;
3° M. Considérant, s’il voulait emmener quelque part les socialistes phalanstériens qui ont comme lui foi dans le système de Fourier ;
4° M. Louis Blanc, s’il voulait se mettre à la tête de tous ceux qui veulent organiser le travail comme lui ;
5° À M. Proudhon, à condition qu’il organiserait sa grande banque d’échange ;
6° À MM. Caussidière, Lagrange, Raspail, Blanqui, Thoré, etc., s’ils voulaient
enrégimenter des hommes de bonne volonté pour fonder quelque part la vraie
République de leur choix.
_____________
Il y a des gens qui prétendent que les désastres de la France profitent à l’Angleterre.
Ces gens-là se trompent. L’Angleterre, au lieu d’exporter plus de marchandises
que de coutume, depuis quatre mois, en exporte moins. Dans le dernier trimestre,
la diminution des recettes de la douane anglaise a été de 500 000 livres sterlings
(12 millions 500 000 francs). Aussi les Anglais ont-ils été très charmés d’avoir
vu le général Cavaignac arriver aux affaires, car ils sont persuadés que la
fin de la crise en France amènera la fin de la crise en Angleterre.
Montaigne disait : Le profit de l’un fait le dommage de l’autre. Montaigne avait tort. Il y a entre les nations une immuable solidarité dans les souffrances aussi bien que dans la prospérité.
Ce qui fait que nous ne devons jamais souhaiter du mal aux autres nations, car ce serait nous en souhaiter à nous-mêmes.
English Translation
title
abc
Title: Chronique politique
Location: page 2, LC, CC, RC
Publication: abc
French transcription
Chronique politique
JACQUES BONHOMME A L’ASSEMBLEE NATIONALE. — Jacques Bonhomme continue à suivre attentivement les séances de l’Assemblée nationale, et de jour en jour il est mieux persuadé des bonnes intentions et du bon esprit des représentants du peuple. S’ils ne font pas tout le bien qu’on attendait d’eux, ce n’est point mauvaise volonté, c’est faute de savoir au juste ce qui est bon à faire. La majorité de l’Assemblée se compose de gens raisonnables qui craignent naturellement de se jeter dans des expériences hasardeuses, où le peuple pourrait fort bien laisser le peu qu’il possède au lieu d’y faire for-tune. Jacques Bonhomme approuve beaucoup la prudence et la circonspection de l’Assemblée nationale à l’endroit des systèmes qui promettent au peuple « plus de beurre que de pain ». Lui aussi se défie grandement des systèmes et de ceux qui les font. Cependant il fait exception pour un seul, pour le système Franklin. Qu’est-ce que le système de Franklin ? Mon Dieu, c’est simple comme bonjour, et cela peut s’exposer en quatre mots. Franklin était, comme le savent la plupart des lecteurs de Jacques Bonhomme, un simple ouvrier imprimeur qui est devenu un des plus grands hommes d’État de la République américaine. Or, Franklin avait remarqué que le meilleur procédé à suivre pour arriver à la fortune, c’est de vivre sobrement et d’économiser sur ses dépenses. Ce procédé-là, dont il avait fait usage pour lui-même, et dont il s’était bien trouvé, il le conseillait aux gouvernements aussi bien qu’aux particuliers. Soyez économes des deniers du peuple, disait-il sans cesse, gouvernez-le à bon marché, car il sera toujours d’au-tant plus riche que vous lui prendrez moins.
Jacques Bonhomme engage les représentants du peuple à avoir toujours présent à l’esprit ce conseil de Franklin, lorsqu’il s’agira de voter de nouvelles dépenses. Jacques Bonhomme est persuadé que la France pourrait être gouvernée moyennant un milliard tout au plus chaque an-née, et il lui en coûte aujourd’hui près du double ! Des économies donc, citoyens représentants, des économies toujours et sur toutes choses !
Jacques Bonhomme ne dira rien de ce qui s’est passé dans la semaine précédente.
À quoi bon revenir sur des évènements funestes ! Il faut tâcher de les oublier
; il faut, comme di-sait le citoyen Caussidière, mettre dans un sac toutes
les discordes, toutes les haines, et le jeter
à l’eau, ce mauvais sac ! Ce ne serait pas, après tout, si difficile, car que
voulons-nous tous ? la République ! Et par République, nous entendons tous
un gouvernement populaire, qui soit le bon gardien des intérêts du peuple,
qui s’occupe constamment des meilleurs moyens à employer pour soulager ceux
qui souffrent. Voilà le gouvernement que nous voulons tous. Eh bien, au lieu
de nous entre-déchirer, au lieu de nous tirer des coups de fusil (ce qui ne
vide aucune question), discutons paisiblement, jus-qu’à ce que nous sachions
au juste comment doit être faite notre République pour donner au peuple le
plus de bien-être possible. Discutons, mais pour Dieu, ne finissons plus nos
discus-sions avec des coups de fusils et des pavés !
Cela dit, Jacques Bonhomme commence sa revue des travaux de la semaine.
Lundi.
La séance a bien débuté ce jour-là. M. Cavaignac est venu annoncer la dissolution
des ate-liers nationaux. M. Cavaignac a ajouté, du reste, que les ouvriers
n’en souffriraient aucunement ; qu’on accorderait des secours à ceux qui en
au-raient besoin, jusqu’à ce qu’ils trouvassent du travail. Pour le dire en
passant, Jacques Bon-homme est très content de la manière d’agir et du langage
de M. Cavaignac. Celui-là n’est pas
un charlatan qui fait des phrases, qui cherche, comme on dit, à jeter de la
poudre aux yeux. C’est un homme qui dit nettement et simple-ment sa pensée,
qui va droit au but, et qui agit comme il parle.
Jacques Bonhomme a une entière confiance en M. Cavaignac, et il espère qu’elle
sera, cette fois-ci, tout à fait justifiée. Seulement, Jacques Bonhomme voudrait
bien que M. Cavaignac levât l’état de siège, car si Jacques Bonhomme consent
volontiers à être gouverné par un mili-taire, il n’aime pas à être gouverné
militaire-ment.
Donc M. Cavaignac a dissous ces prétendus ateliers nationaux où l’ouvrier allait tout simplement désapprendre à travailler. Le nouveau ministre des finances, M. Goudchaux, est venu ensuite présenter son plan de finances. Ce plan consiste principalement à emprunter 150 millions à la Banque de France, et à établir un nouvel impôt qu’on évalue à 36 millions sur les successions, — moyennant quoi le ministre s’engage : 1° à rembourser en argent pour les petits dépôts, et en rentes pour les gros, les livres des Caisses d’épargne ; 2° à rembourser en rentes les bons du Trésor. — Il y a pour 350 millions de dépôts aux Caisses d’épargne, et pour 250 millions de bons du Trésor ; — 3° à faire un prêt de 5 millions à l’industrie du bâtiment.
M. le ministre des finances a retiré aussi deux projets de loi qui avaient été présentés par son prédécesseur, M. Duclerc, pour le rachat des chemins de fer et des assurances. M. Duclerc voulait que le gouvernement exploitât lui-même tous les chemins de fer et se chargeât de faire toutes les assurances. Quant aux actionnaires des compagnies de chemins de fer et des compagnies d’assurances, on les aurait indemnisés bien ou mal. C’était un plan absurde. M. Goudchaux a bien fait de le retirer. Mais il a eu tort de ne le retirer que provisoirement. Aussi longtemps, en effet, que les entreprises des chemins de fer, par exemple, seront menacées d’expropriation, il ne s’en créera pas de nouvelles, et ce sera autant de travail de moins dans le pays.
Le plan de M. Goudchaux a été du reste parfaitement accueilli, et Jacques
Bonhomme pense que la sagesse et la modération de ce plan sont pour beaucoup
dans le mouvement de confiance qui commence aujourd’hui à se faire sentir partout.
Mardi
On n’a pas fait grand-chose. On a beaucoup discuté sur les appointements à
donner aux ministres. Il a été décidé que M. Cavaignac, qui est président du
conseil, recevrait 10 000 francs
par mois, et les autres ministres 4 000 fr. La commission avait bien proposé
3 000 fr., et Jacques Bonhomme trouve que c’était bien suffisant ; mais il
y a des gens qui pensent qu’un ministre ne peut pas vivre avec moins de 50
ou 60 000 fr. par an. M. Thiers, par exemple, ce petit homme qui a toujours
été partisan de grandes dépenses, aurait voulu qu’on donnât 5 000 fr. aux ministres.
L’Assemblée s’est montrée plus économe que M. Thiers, mais elle ne l’a pas
encore été suffisamment.
On a voté, sans discussion, les 5 millions demandés pour secourir l’industrie
du bâtiment. Jacques Bonhomme espère que ce prêt accordé à l’une des principales
industries de Paris donnera de bons résultats. Cependant Jacques Bon-homme
pense qu’il ne faut pas marcher trop loin dans ce chemin-là. Le capital que
l’on prête à une industrie est, en effet, forcément enlevé aux autres, car
le gouvernement ne va pas cher-cher ses capitaux dans la lune ; il les puise
tout simplement dans les poches des contribuables. Quand donc il fait un prêt
ou un cadeau à une branche de travail, ce sont les travailleurs des autres
branches de travail qui supportent les frais de ce prêt ou de ce cadeau. Voilà
pourquoi l’État doit être extrêmement sobre de largesses !
Mercredi.
On a démoli le ministre de l’instruction publique, M. Carnot. Voici à quelle occasion. M. Carnot a approuvé la publication d’un Manuel de l’Homme et du Citoyen qui renferme des idées communistes. L’Assemblée n’a pas pensé qu’un ministre de l’instruction publique dût se faire le patron de ces idées-là, et elle a blâmé M. Carnot. Le lendemain, M. Carnot a donné sa démission.
Voici comment le ministère est maintenant composé :
MM. CAVAIGNAC, président du Conseil ;
SENARD, ministre de l’intérieur ;
BEDEAU, ministre des affaires étrangères ;
GOUDCHAUX, ministre des finances ;
RECURT, ministre des travaux publics ;
BETHMONT, ministre de la justice ;
LAMORICIERE, ministre de la guerre ;
BASTIDE, ministre de la marine et des colonies ;
TOURRET, ministre de l’agriculture et du commerce ;
VAULABELLE, ministre de l’instruction publique.
On dit que le département des cultes, qui faisait partie du ministère de l’instruction publique, sera réuni au ministère de l’intérieur.
Dans la même séance, l’Assemblée a adopté l’emprunt de 150 millions que le ministre des finances a conclu avec la Banque, et voté un crédit de 3 millions pour encourager les associations de travailleurs. Jacques Bonhomme dira une autre fois son avis tout au long sur ces sortes d’associations ; en attendant, il constate avec plaisir que l’Assemblée adopte avec empressement toutes les mesures qu’elle croit propres à améliorer la situation des travailleurs.
On a proposé aussi de supprimer le décret qui limite à onze heures la durée
de travail dans les départements et à dix heures dans Paris. Ce décret a été
funeste à notre industrie, dont il a augmenté les prix de revient et par conséquent
diminué les débouchés. L’Assemblée en décidera prochainement la suppression,
et elle fera bien.
Jeudi.
Jour de la cérémonie funèbre, il n’y a pas eu de séance. Un service en l’honneur
des victimes des journées de juin a été célébré sur la place de la Concorde.
Un autel y avait été dressé ; le palais de l’Assemblée et de la Madeleine étaient
tendus de noir. Puissions-nous, hélas ! ne plus revoir de si désolantes cérémonies.
Vendredi.
Le général Cavaignac a annoncé la prolongation de l’état de siège. Jusqu’à quand ? M. Cavaignac nous l’a laissé ignorer. M. Cavaignac a annoncé toutefois que les journaux supprimés pourraient reparaître, mais… avec un cautionnement. Jacques Bonhomme sera donc obligé d’avoir un cautionnement. Pauvre Jacques Bon-homme !
Jacques Bonhomme demande que M. le général Cavaignac, à son tour, soit tenu de consigner un cautionnement au trésor, pendant toute la durée de ses fonctions ; car la France a certainement plus besoin d’être garantie contre les fautes que peut commettre M. Cavaignac, président du conseil, qu’elle n’a besoin de l’être contre les sottises que peut dire M. Jacques Bonhomme, simple journaliste.
Le même jour, l’Assemblée a décidé :
1° Que les dépôts des caisses d’épargne au-dessous de 80 fr. seront remboursés en argent ;
2° Que les dépôts de 80 fr. et au-dessus seraient remboursés en rentes 5% au cours de 80 fr. Ceux qui ont 80 fr. à la caisse d’épargne recevront un coupon que leur donnera droit à 5 fr. de rentes. En vendant ce coupon à la Bourse, ils en retireront 80 fr. (dernier cours de la Bourse du 7 avril.) — Mais Jacques Bonhomme pense qu’ils feront mieux de le garder. Les fonds publics monteront probablement encore, et, lorsque le 5% sera, par exemple, à 10 fr. (il était à 120 avant le 24 février) ceux qui l’auront reçu à 80, pourront, en le vendant, faire un bénéfice de 20 fr. sur chaque coupon.
L’Assemblée a décidé enfin que les bons du Trésor seront remboursés en rentes
3% au cours de 55. C’est un peu plus haut que le cours de la Bourse du même
jour. Jacques Bon-homme pense qu’on aurait mieux fait de s’en tenir au cours
de la Bourse ; car il ne faut pas que les créanciers de l’État soient exposés
à perdre, en allant réaliser à la Bourse le montant de leurs créances. Jacques
Bonhomme a, toute-fois, la confiance que les fonds continueront rapidement
à monter, et par conséquent, que s’il y a perte pour les porteurs de bons,
cette perte sera extrêmement minime.
Samedi.
Il n’y a pas eu de séance à cause des réparations à faire dans l’intérieur de la salle. Dans les bureaux on a discuté le projet de constitution.
En résumé, tout a marché assez bien cette semaine, la confiance renaît et les affaires commencent à reprendre. Bon courage donc ! encore quelques efforts et nous sortirons de la crise !
English Translation
title
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