Thierry, Augustin (1795-1856) |
This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).
Austing Thierry, [CR] “Manuel électoral à l’usage de MM. les électeurs des départemens de la France, par un Électeur éligible. - Candidats présentés aux électeurs de Paris pour la session de 1817 par un Électeur du département de la Seine,” (CE, T.2, March 1817), pp. 107-68.
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Editor’s note: Thierry summaries with multiple quotations Montesquieu’s views (pp. 191-220) and then expresses his own thoughts in the remainder of the review (pp. 220-60).
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MANUEL ÉLECTORAL A l’usage de MM. les électeurs des départemens de la France (petit vol. in-18; prix 1 fr.) PAR UN ÉLECTEUR ÉLIGIBLE.
CANDIDATS Présentés aux électeurs de Paris pour la session de 1817, (brochure in-8o de 47 pag.) PAR UN ÉLECTEUR DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE.
CE qui importe le plus à chacun de nous , cè qui renferme tous nos moyens d'existence et de bien-être , la richesse de la France, se trouve aujourd'hui dans un état qui doit éveiller l'attention de tout homme qui met du prix à sa vie et à ses jouissances.
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Deux invasions dans l'espace de deux ans, les travaux troublés , les campagnes ravagées une foule d'établissemens d'industrie fondés sur des prohibitions ou des monopoles tombant les uns après les autres,[1] le pillage et les banqueroutes marchant de front, avaient attaqué [109] déjà nos capitaux de toute espèce, lorsque la mauvaise saison est venue appauvrir nos revenus , en frappant la terre d'une stérilité imprévue.
Et encore, le mince produit qui nous est laissé après tant de pertes , il nous faut le partager y d'un côté, avec les gouvernemens étrangers, de l'autre avec notre gouvernement.
Le reste doit suffire à notre subsistance, et nous sommes, vingt -cinq millions. Pour que la nécessité de vivre ne fasse pas entamer les capitaux , il faut absolument que le travail redouble ; et pour parler le langage de l'économie politique, qu'il contraigne les agens de la production à donner le plus qu'ils peuvent. Or ce travail, qui doit le faire ? Ce n'est pas le gouvernement, c'est nous ; le gouvernement n'a point de moyens pour produire ; il n'en a que pour consommer ; nous seuls avons l'industrie, le gouvernement n'a que des besoins.
Ces besoins qui sont des besoins d'action, c'est à l'industrie d'y pourvoir ; et il est rare que les besoins du gouvernement soient satisfaits, que son action s'exerce, sans que l'industrie en souffre en quelque chose ; de manière que ce lui qui produit paie, afin qu'en retour il soit gêné dans le travail de la production. L'administration [110] demande , pour exister et pour agir, des ministères, une armée, une police, une gendarmerie, des tribunaux extraordinaires ; on lui accorde tout cela, c’est-à-dire qu'on retranche de ses revenus les millions qui le représentent. Qu’arrive-t-il après ? Les gendarmes sont sur les routes : on ne voyage pas librement, il faut des formalités , des retards , et les affaires n'en veulent point ; les affaires manquent. Vos spéculations ont offensé quelque règlement inconnu; la police va descendre chez vous , le scellé sera mis partout, le travail sera suspendu, les portes seront fermées , vos pratiques viendront, seront pressées et iront ailleurs. Vos correspondais sont suspects, le prévôt veut vous interroger : vous irez , vous retournerez, vous perdrez des heures , des jours, des mois, le temps n'est rien pour lui. C'est ainsi que la gène vient de toutes parts; et si on lui échappe on n'échappe pas à la crainte qui dérange aussi les travaux. On rallentit ses démarches , on se répand moins, on écrit moins, on devient nonchalant : l'intérêt du gain cède à l'intérêt du repos; ce colosse d'administration que l'on trouve à chaque pas devant soi, attire sans cesse la vue ; on se le grossit encore ; ou s'exagère les obstacles par le désir de ne les point rencontrer l'esprit tendu vers ce point est moins [111] propre à tout le reste ; l'invention languit, les bras tombent, la production s'arrête.
Mais le besoin ne s'émousse pas avec l'activité ; il faut vivre chaque jour. Le gouvernement qui n'a que de longues vues, passe sur ce détail de temps ; s'il nous regarde, c'est dans l'avenir ; et si l'avenir lui paraît beau, il s'y complait et n'aperçoit plus le présent. L'avenir est tout pour les corporations qui ne meurent point, mais le présent est tout pour les individus qui meurent ; et nous sommes des individus, quoique nous soyons aussi dans un sens une corporation. Si, considérés comme un corps , nous avons des intérêt de corps , et s'il est bon qu'on s'en occupe , considérés comme individus , nous avons des intérêts individuels qui ne doivent point non plus être négligés.
Il faut que le gouvernement, pour ne pas se laisser emporter dans son activité pour notre bienêtre futur , trouve des barrières dans la nécessité sans cesse présentée de notre bien-être du moment. Il faut , en d'autres termes, que ceux qui produisent soient organisés pour résister à l'action de ceux qui administrent.
Cette résistance est , dans une société organisée , la première, et presque la seule fonction, de l'assemblée des communes , ou des rcprésentans, [112] ou des députés, comme on voudra la nommer ; c'est le conseil des avocats de la production et de l'intérêt individuel. Tel doit être l'esprit de ceux qui y siégent ; et pour que cela ne puisse jamais manquer d'être, il ne doit y siéger que des hommes industrieux, c'est-à-dire agriculteurs, manufacturiers , commerçans.
Voilà le principe qui doit servir de règle dans les élections prochaines. Nous faire représenter par des industrieux, est une nécessité pour nous, aujourd'hui que notre premier intérêt est dans l'activité de l'industrie. Il faudrait se conformer à cette maxime , quand-bien même elle ne serait salutaire que dans la conjoncture présente. Mais ce n'est pas ici une loi de circonstance; où il y a une représentation nationale, quelque soit le temps ou le lieu, ce sont les producteurs qui sont les représentans naturels ; quiconque n'a pas une industrie productive est inhabile à représenter.
Dans toute société humaine il y a deux grands intérêts, et il n'y en a que deux : la production et la sûreté. Ces deux intérêts, par une bizarrerie remarquable, sont, dans un sons, ennemi l'un de l'autre ; car si le producteur veut pourvoir lui-même à sa sûreté, il faut qu’il suspende souvent son travail; et s'il veut que d'autres y [113] pourvoient, il faut qu'il les paie pour cela. Et du moment qu'il y a deux classes distinctes dont l’une produit , et nourrit l’autre, qui, en retour, la protége, une guerre nécessaire s’engage entre ces deux espèces d’hommcs.
Les producteurs veulent être libres ; les protecteurs veulent être puissans; la protection ne s'exerce qu'au moyen de gênes et de restrictions sans nombre ; plus chacun est comprimé, moins les autres ont à craindre de lui, plus il y a de sûreté pour tous. Aussi , les protecteurs, les gouvernans, comme on les appelle, pour produire la sécurité collective, empiètent de toutes manières sur les facultés des individus ; ils veulent que chacun leur aliène la plus grande part de son pouvoir d'agir, pour lui retirer la plus grande part de son pouvoir de nuire ; ils iraient jusqu'à tout exiger, jusqu'à étouffer toute action, toute faculté, toute industrie, et cela au nom de la sûreté publique pour laquelle ils travaillent et dont ils représentent l'intérêt, si l'intérêt contraire , celui de l'indépendance privée, n'était aussi représenté , s'il n'y avait pas aussi des hommes qui travaillassent pour lui.
Cette nécessité existerait dans le cas où les gouvernans n'auraient en effet d'autre intérêt que l'intérêt de la sûreté publique; leur intérêt alors [114] sêrait toujours en opposition avec la liberté , et par suite avec l'existence individuelle ; mais c'est bien autre chose, lorsque le plaisir de l'autorité vient s'y joindre , et -le besoin d'accroître le pouvoir pour en tirer plus d'avantages.
Le gouvernement est organisé pour que son action s'exerce toujours avec le plus de force et de promptitude. Ses agens se répondent d'une extrémité du pays a l'autre : un mot dit à Paris, est redit en deux heures dans trente villes : la poste ? les courriers, les télégraphes , sont à lui; tout vole, les ordres , l'argent, les hommes. Pendant dix heures ,chaque jour , des millions de commis dictent,-écrivent, commandcnt, exécutent. Les lois , les édits , les réglemens, les avis., les arrèts, les sentences sortent en foule et causent en cent endroits des déplacemens, des arrestations , des emprisonnemens ; suspendent les travaux, les font reprendre , ferment et; ouvrent les débouchés , renversent et créent les fortunes. C'est un travail qui ne s'arrête point un instant, parce que ceux qui le font y mettent tout leur esprit , toutes leurs forces , tout leur temps.
Contre cette activité des représentons de l'intérêt collectif, comment les hommes laborieux, absorbés pat des soies personnels, peuvent-ils [115] soutenir leurs intérêts ? On travaille sur eux , et eux, ils travaillent sur les choses : peuvent-ils se charger d'une double fatigue , et tandis qu'ils agissent d'un côté, réagir de l'autre ? Tout est lié dans l'administration , et eux, ils sont isolés, ou bien ils sont associés pour des affaires du manufacture et de commerce ; peuvent-ils en meme temps former une ligue perpétuelle pour des objets de politique , pour repousser la surabondance d'action de ceux qui gouvernent, restreindre les réglemens, éclaircir les besoins, arrêter les recrues, les exactions, les entreprises extérieures ?
Impuissans pour ces deux occupations, incapables de se livrer entièrement à l'nue, sans devenir moins propres à l'autre, il faut que par nécessité ils délèguent à des tiers pris parmi eux celle qui peut se déléguer , l'occupation politique. Ces hommes iront siéger près du centre de l'administration ; là ils examineront toutes les mesures à leur source ; ils feront corps contre le corps des gouvernans; ils ne laisseront exécuter aucun décret sans l'avoir discuté , amendé, sanctionné. Voilà la vraie naturc, l'origine nécessaire de la représentation nationale.[2]
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Il est impossible de s'imaginer dans un membre du conseil des représentons autre chose qu'un homme industrieux suspendant son travail d'industrie , et devant le reprendre après le temps de sa mission autre chose qu'un homme dont l'intérêt le plus vif soit l'intérêt personnel ? et qui y par cela même , soit capable de sentir avec délicatesse tout ce qui peut offenser les intérêts personnels; qu'un homme qui, produisant lui-même sa subsistance , est à portée de dire sciemment à quel point ce qu'on fait sous le prétexte de protéger sa propriété, la blesse ; à quel point cette protection nest plus nécessaire ; de quel côté menace véritablement le danger d'être troublé ou volé ; et si l'on n'invente pas des périls chimériques pour se faire accorder des droits et des armes.
Si nous voulons connaître exactement l'objet d'une institution, remontons à sa première origine ; alors le besoin qui l'a fait établir se montre clair y et n'est point obscurci par des explications et des théories faites après coup.
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Du moment qu'il y eut eu Europe une classe -nombreuse d'hommes industrieux travaillant pour eux-mêmes et non pour des maîtres , il y eut des corps de représentans, et ce fut pour la première fois. Dans l'antiquité tous les hommes libres étaient hommes d'état ; dans la féodalité les tributaires étaient tous à la discrétion des seigneurs, et les seigneurs ne déléguaient à personne le soin de traiter de leurs affaires , ils s'assemblaient et entraitaient eux-mêmes de concert avec leur chef.
Le, tiers-état naquit, et aussitôt il fut représenté; ses députés vinrent plaider pour les besoins de chaque homme travaillant, contre les besoins des hommes gouvernant, de la noblesse et du clergé. Les députés des communes , en Angleterre, défendirent les mêmes intérêts devant le Roi et les Lords spirituels et temporels assemblés en parlement.
Le Roi et les seigneurs d'un côté ; les fabricans, les financiers, les négocians de l'autre , débattaient ainsi leurs intérêts réciproques ; ainsi, il y avait discussion ouverte, entre l'intérêt du repos de la société, que les huissiers et les moralistes du public se faisaient fort de procurer , et l'intérêt de la vie que procuraient en réalité les producteurs.
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Ainsi le corps administrant , agitant lui même pour lui., et le corps représentatif de l'industrie , agissant pour les industrieux, étaient séparés comme les intérêts divers que chacun d’eux devait soutenir. Il serait en effet ridicule de penser qu'un même homme puisse jouer à la fois. les deux rôles; partager son esprit entre le désir d'être pàcha ou préfet, et le désir d’étendre l’arbitraire, entre l'intérêt d'un gros traitement sur les taxes, et l'intérêt de réduire les taxes. Les exclusions constitutionnelles, lors.-qu'elles existent-ne sont que la déclaration de cette impossibilité.
Ces exclusions peuvent être plus ou moins étendues par la loi, mais le principe est absolu ; et quand la loi manquerait pour sanctionner la raison, la raison n'en devrait pas moins être obéie. D’ailleurs, nous sommes dans des circonstances où la nécessité parle haut ; tout est perdu, s'il sort de de nos élections des hommes qui capitulent sur la liberté qui seule nourrit l'industrie, et sur. l'économie publique, qui seule assure les fruits du travait à celui qui s'épuise au travail.
Nous devons nous défendre d'une fausse manière de voir que nous avons prise dans l'imitation mal entendue des coutumes de l’antiquité. Parce que nous lisons qu'il y eut des hommes [119] qui, sous le nom de peuple-souverain , allaient tous ensemble décréter de gaîté de cœur des arrêts qui les enchaînaient dans l'usage de leur :esprit et de leurs membres, n'allons pas croire que notre lot, à nous, soit d'être un peuple demi-souverain , secourant dans leurs opérations ceux qui lui font des réglemens comme pour s'assurer qu'il ne manquera pas de lois. Soyons tranquilles, ceux là y pourvoiront ; ils sont toujours assez empressés de nous en donner. Notre affairé, l'emploi de ceux que nous déléguons, c'est d'arrêter au contraire ce flux de réglemens dont chacun nous retranche un moyen d'agir, une faculté. Les lois étaient un bien pour les hommes de l'antiquité ; ils pouvaient les aimer comme les soldats aiment leur discipline qui les rend forts, si elle les gênes. Les anciens étaient tous soldats ; c’était la guerre qui les nourrissait. Pour nous qui sommes destinés à vivre de l'industrie, chacun de nous, pour produire beaucoup , a besoin d'être beaucoup à lui-même ; la discipline qui l'y arrache continuellement lui ôte de sa force. Il faut le dire, la loi, le frein des volontés individuelles est trop souvent up mal pour nous ; si ce mal est nécessaire supportons le, mais faisons en même temps qu'il soit le moindre possible.
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Notre profession de foi politique devrait être celle-ci :
» Nous n'aimons pas les réglemens ni les voies de fait ; parce que les uns et les autres troublent nos travaux, et entravent nos facultés.
« Pourtant, comme dans l'absence de toute contrainte sociale, nous serions faibles contre les oisifs et les voleurs , quoique forts pour le travail, nous sommes disposés à relâcher quelque chose de notre liberté, et nous en aliénons volontiers une partie à ceux qui prennent le soin de veiller sur nos ennemis.
» Nous né voulons point participer à leurs opérations, qui toutes dans un sens nous sont à charge; mais nous prétendons au pouvoir de retenir leur activité , si elle passait les bornes, si elle devenait moins utile à notre repos que nuisible à notre industrie.
» Ce pouvoir, nous en chargeons quelques-uns de nous qui l'exerceront en notre nom .[3] Le corps gouvernant, provoque ou fait les lois, et les [121] exécuté, nos délégués contrôleront les lois et les mesures. »
Avec de pareilles maximes, avec l'idée nettement conçue du véritable objet de la représentation , nous aurions déjà une règle pour nos choix à faire, nous saurions que les hommes du gouvernement sont par la force des choses inéligibles , et nous n'irions chercher des députés que parmi les hommes de profession privée, c'est-à-dire, étrangers par état à la conception, à la résolution, à l'exécution de toute mesure publique.
Où finit le domaine du gouvernement? Où commence celui de l'industrie privée et indépendante ? Y a-t-il des professions indépendantes auxquelles on doit s'adresser de préférence, et quelles sont ces professions ? Voilà ce qui reste a examiner.
Dans toutes les constitutions des Etats-Unis d'Amérique, qui ont plus clairement qu'aucun état en Europe l'industrie et la production pour objet, tout emploi , toute charge, toute fonction quelconque qui rattache directement ou indirectement celui qui l'exerce au pouvoir public, soit exécutif, soit administratif, soit judiciaire, l'exclut irrévocablement des assemblées [122] représentatives .[4] Or, cet usage constitutionnel ne peut être venu dans ce pays d'un désir d'avoir ce que nous appelons ici des élections populaires; car tout y est peuple, jusqu'au roi. Le motif s’en [123] trouve dans un sentiment profond de l'incapacité naturelle à tout homme d'exercer des fonctions contradictoires; de faire des réglemens et de les défaire ensuite , de blâmer ses propres [124] décisions; de conseiller, d'ordonner, d'exécuter des levées d'hommes et d'argent, de servir dans les armées, et de voter a près contre les recrues , les armées et les impôts. Il serait bien extraordinaire [125] qu'on pût une seule fois voter pour toutes ces choses dans l'intérêt de la liberté et de l’industrie.
Tout ce qui tient aux établissemens que nous appelons publics, est, d'après ces principes, dans les Etats-Unis, constitutionnellement inhabile à représenter ; et ces principes portent si loin dans la pratique, que certaines exclusions doivent nous étonner fort, nous qui depuis trente ans avons des chambres représentatives sans nous douter encore de ce que c'est que représentation. Les fonctions de prêtre, et jusqu'à celles de directeur ou de professeur d'un collége aux frais [126] du gouvernement y entraînent l'incapacité d'être éligible aux fonctions de député des citoyens.[5] Cela peut paraître singulier, mais cela découle naturellement des vraies maximes du système représentatif.
L'entreprise générale de l'administration publique se partage en diverses entreprises particulières, qui concourent au même but chacune sélon sa nature. Il y a des établissemens pour la défense extérieure , et pour la paix intérieure , qu'on désigne par les noms de force militaire, de force civile , de justice civile; il y a aussi des établissemens de morale publique et de religion), dont l'objet est de prêter secours à la justice ; il y a des établissemens d'éducation publique [127] fondés pour diriger les esprits des administrés de la manière la plus commode à l'administration, et pour lui former une pépinière de jeunes gens où elle se recrute. Autant il y a de ces établissemens, autant il y a de corporations dans lesquelles se partage la grande corporation des gouvernans. On trouve le corps des officiers militaires , le corps des officiers civils, le corps des juges, les prêtres, les prédicateurs, les professeurs, les instituteurs de toute espèce, tous gens du gouvernement, n'ayant d'affaire qu'avec lui et nullement avec les producteurs sur lesquels ils opèrent seulement chacun selon son emploi ; mais dont ils ne reçoivent directement ni ordre, ni mandat, ni traitement, ni pension ; tous par conséquent également incapables de figurer comme représentais.
On dit communément que tous les intérêts des habitans d'un pays doivent avoir des avocats dans les chambres représentatives, lesquelles doivent se peupler par conséquent de mandataires de tous les ordres et de tous les corps ; c'est une grande erreur : le simple bon sens dit que, s'il y a des corporations qui ont ailleurs des avocats, elles n'ont pas besoin d'en trouver encore là, et que la délégation spéciale est un droit naturel et exclusif de ceux qui n'ont que ce moyen de faire connaître et respecter leur intérêt. Or, les [128] corporations laborieuses, les commerçans, les fabricans, les cultivateurs sont seuls dans ce cas; les corporations soldées trouvent dans ceux qui les paient et qu'elles servent, des organes et des défenseurs toujours prêts.
Voilà l'esprit des lois américaines. Nulle part la distinction nécessaire entre un producteur et un administrant, n'a été si exactement établie ; c'est que, sans cette distinction, la production, la propriété des hommes qui n'administrent pas, est compromise de mille manières, et que ceux qui ont fondé les états d'Amérique, seuls avec leur industrie sur une terre toute neuve, n'ayant ni esclaves ni maîtres, et ne voulant rien devoir qu'à eux-mêmes, n'étaient pas gens à jouer avec la propriété d'où dépendait la vie de chacun d'eux.
Laissez faire à leur gré les gouvernans , et les intérêts individuels disparaisssent; c'est le despotisme, c'est la mort. Mêlez-vous aux gouvernemens et divertissez-vous à exercer le pouvoir , soyez tous des hommes publics, et les intérêts individuels disparaissent encore ; c’est la démocratie, c'est la mort aussi, à moins que vous n'ayez des sujets à exploiter ou des ennemis à piller. Mais séparez de vous ceux qui gouvernent, élevez contre l'administration une [129] anti-administration ; ne souffrez pas que l'intérêt privé soit la proie de l'intérêt collectif, et vous serez litres, et vous pourrez. subsister sans être ni des tyrans ni des voleurs.
Dans notre Europe où rien n'avance franchement , où chaque siècle est tiré en arrière par le siècle qui l'a précédé, où l'héritage des préjugés se transmet et passe d'une génération à l'autre, à côté de l'héritage des lumières , ce système est né il y a près de six cents ans, et il a été corrompu dès sa naissance. En Amérique, où il n'y a point de masures ni de souvenirs, l'institution s'est fondée pure et se conserve pure.
Nous avons établi que toute personne qui reçoit le prix de son travail du public représenté par le gouvernement, et non d'un individu ou d'une société d'industrie particulière, est par la force des choses inéligible à la place de représentant.
Cela posé, on sait parmi quels hommes il faut choisir ; mais il reste à chercher quels hommes parmi ceux-là on doit préférer, quels sont pour ainsi dire les degrés d'éligibilité.
Les hommes dont l'existence est toute privée, qui ne reçoivent de l'administration ni honoraires , ni pensions , se divisent en deux classes [130] principales ; les uns tirent leur revenu d'un capital en terres ou en meubles qu'ils livrent à ferme ou à loyer, et qu'ils laisssent reposer dans les mains du fermier sans travailler dessus pour l'accroître. Ce sont les hommes qu'on appelle simplement propriétaires, et qu'on devrait nommer propriétaires improductifs, pour les distinguer de ceux qui tourmentent sans cesse leurs capitaux pour leur faire rendre le plus possible , qui renvoient au capital les revenus obtenus pour les faire produire à leur tour , qui , améliorant beaucoup et consommant peu, ne laissent jamais leur patrimoine comme ils l'ont rèçu; et maintiennent le pays dans un état de richesse et de bien-être toujours croissant.
Les propriétaires improductifs n'occasionnent aucun changement dans la richesse générale. S'ils étaient seuls, le moindre fléau imprévu serait incurable; une invasion, une mauvaise année causerait la perte de tout un peuple ; mais les autres sont là pour tout guérir par leurs capitaux accumulés. C'est à ces derniers qu'il faut s'adresser premièrement, sur-tout lorsqu'il y a à réparer; et c'est aujourd'hui un de nos grands besoins.
Nos choix doivent donc se porter d'abord sur la classe des propriétaires productifs; qui est elle-même [131] divisée en plusieurs classes, qui ne sont pas toutes au même rang.
Avant d'aller plus loin , remarquons que la loi fondamentale qui fixe les conditions de l'éligibilité, est opposée dans sa disposition principale aux vrais principes d'une bonne représentation, La loi demande mille francs de contributions directes, c'est-à-dire qu'elle considère la propriété foncière comme la véritable base du droit de représentation , et la meilleure garantie pour les représentés.
On ne sait donc pas qu'en France les propriétaires fonciers sont le plus généralement propriétaires improductifs ; que la foule des désoeuvrés , qui ne vivent pas aux dépens d'autrui, est composée en grande partie de propriétaires fonciers; que les rentiers seraient encore à préférer, parce que, quelquefois au moins, ils font des économies , tandis que les autres sont dissipateurs par naturel, et aiment la consommation pour elle-même.
Veut-on voir ce que c'est que des propriétaires fonciers dans une assemblée représentative et comme ces gens-là entendent l'intérêt de la propriété et de la richesse ? qu'on relise les discours dont ils ont déshonoré les deux dernières sessions des chambres à l'occasion du budget; on [132] y voit presque chaque page ce refrein : Périsse, l’héritage de cent familles industrieuses plutôt qu'un seul de nos chênes ! Les hommes qui font avancer la société en bien-être , les hommes qui travaillent et qui produisent, y sont -traités de joueurs, d'usuriers , d'agioteurs; les capitaux mobiliers sont du papier sur lequel on souffle , tandis que les terres en friche, les fermes dégradées que le .propriétaire visite une fois en dix ans , sont le salut de la France. Ceux qui vivent de ce capital impérissable, sans soins et sans frais d'esprit , lui rendent une sorte de culte , comme le sauvage qui se laisse nourrir par son arbre , et qui ne sait que tomber à genoux pour l'en remercier.
Si ce ne sont pas là les paroles même de ces harangues, c'en est du moins le sens ; et à quoi mène cette doctrine ? Aux plus grands fléaux de nos temps modernes , aux banqueroutes publiques, aux réductions , aux mobilisations, aux consolidations forcées par lesquelles des milliards sont anéantis dans un jour, et périssent pour les familles et pour la société.
C'est un reste des préjugés sortis de la barbarie féodale que le seul fait de la possession d'une terre attire encore sur le propriétaire un plus haut degré d'estime que ne ferait tout autre [133] fonds équivalent. Les habitudes de l'assujétissement durent souvent long-temps après que l'assujétissement est passé. Il semble que ce soit 1e soutenir d'avoir été les esclaves des propriétaires de la terre, qui nous -fait- reporter involontairement sur cette propriété une partie du respect servile que nous avions pour nos maîtres.
Et certes, ce n'est pas l'intérêt qui nous engage à cette déférence; la propriété territoriale; lorsqu'elle est jointe à l'industrie, est la plus utile et la plus noble; mais lorsqu'elle en est détachée, c'est peut-être la moins morale de toutes. La fortune du-seigneur de campagne n'est liée à celle de personne, l'espérance de ses revenus n'est point fondée sur la prospérité et le succès de ses correspondans qu'il aide, mais sur la misère de ses fermiers qu'il pressure ; l'abondance des richesses ne grossit point les siennes, l'appauvrissement général les diminue peu ; il peut rester également- insensible au mal comme au bien- public ; ni l'un ni l'autre ne vont jusqu'à lui. Que lui importe l'activité de la production ? il y a toujours assez de produit s'il trouve à échanger le revenu de ses blés ou de ses bois, qu'il doit dévorer dans l'année. Au contraire, le progrès de l'industrie doit lui être à charge ; l'industrie élève des [134] fortunes qui peuvent éclipser la sienne , et le blesser dans son orgueil ou dans son influence.
Même , il a moins d'intérêt que le capitaliste ou le fabricant à ce que le pays qu'il habite ne soit point envahi. L'ennemi ravage la terre , mais il ne l'emporte point avec lui ; c'est le revenu d'un an , de deux ans, qui est consommé , et le capital reste. Mais, lorsque les machines sont brisées, les magasins pillés, les ateliers incendiés, c'est le capital aussi qui disparaît. L'intérêt de la liberté est faible pour le propriétaire de terres, il n'a besoin que de sûreté, et s'il se défiait de la probité de ses voisins, il invoquerait volontiers le despotisme qui maintient en comprimant. Nulle part cette sorte de propriété n'est mieux assurée qu'en Turquie.
Ce sont les hommes sans propriété territoriale, dit un historien philosophe,[6] qui ont conquis [135] la liberté pour les peuples modernes ; et c'est sur les possesseurs du sol qu'ils l'ont conquise.
S'il y a parmi les éligibles aux fonctions représentatives une place pour les propriétaires sans [136] industrie , ce doit être la dernière place. La plupart des propriétaires fonciers , en France, sont dans ce cas ; c'est un malheur, mais la règle ne peut se plier pour les personnes ; quoi qu’il [137] en soit, l'intérêt agricole ne manquera point de représentans ;on en trouvera dans leurs fermiers.
La première classe des éligibles doit se composer des hommes livrés aux grandes spéculations de finance ; ils sont les plus capables de porter dans l'examen de l'administration publique , laquelle, sous un rapport , peut être regardée comme une spéculation financière , la critique la plus haute et les vues les plus générales. Les défauts des plans, les erreurs involontaires ou volontaires, les mauvaises mesures d'impôt, la somme des besoins, celle des recettes; toutes ces discussions, qui doivent se résoudre par les mêmes opérations d'esprit qu'ils ont à faire chaque jour pour leurs entreprises particulières , leur sont faciles. Nous en avons une expérience toute récente. Ce sont les hommes de finance qui, dans les derniers débats sur le budget , dans la chambre et hors de la chambre, ont montré le plus de talent et de fermeté.[7] [138] La fermeté est souvent un fruit de la confiance dans ce qu'on voit; elle vient des lumières autant que du courage.
Dans la seconde classe sont les négocians , les fabricans, les cultivateurs, tout le reste des hommes d'industrie et d'affaires , qui viendraient, selon l'intérêt de la production , s'interposer entre les projets du gouvernement et les amendemens proposés , et faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre; gens ayant besoin à la fois et de liberté et de protection, et qui, partagés entre ces deux intérêts, ne sont point disposés a souffrir que le bon ordre étouffe la liberté , et non plus, que la liberté détruise le bon ordre.
Après eux, il faudrait mettre les savans qui appliquent leur esprit à la théorie des arts utiles. Ces hommes sont liés par intérêt à la prospérité de l'industrie matérielle ; car sans capitaux leurs découvertes restent sans emploi, et plus les capitaux sont abondans , plus elles promettent de [139] fortune aux inventeurs. Ils tiennent d'ailleurs presque toujours à la classe des fabricans ; ou bien ils font eux-mêmes l'essai de leurs découvertes, ou bien ils s'associent à des capitalistes.
Enfin , dans la troisième classe des éligibles se rangent les gens de lettres et les savans livrés aux pures spéculations de l'intelligence, les avocats , les jurisconsultes, tout ceux qui cherchent leurs moyens de vie ou d'aisance dans le talent d'écrire ou de parler ou de conseiller. Ces hommes ont peuplé les assemblées depuis vingt-cinq ans , et les assemblées étaient des académies où chacun ne défendait plus d'autre intérêt que celui de son éloquence ou de sa raison. En petit nombre, parmi les défenseurs naturels de la propriété , ils pourront, en prêtant leur voix au bon sens, l'aider à se faire jour, et séduire ou convaincre les esprits durs que le vrai et l'utile n'auront pas frappés.
Nous n'avons pas besoin de rappeler que nous ne parlons ici que des gens de lettres de profession, c'est-à-dire indépendans du gouvernement, et n'ayant ni pensions ni chaires. Ceux-là sont dans le nombre des gens soldés ; leur intérêt n’est pas que l'argent soit dans les poches des particuliers avec lesquels ils n'ont rien à débattre, mais dans les coffres de l'administration qui les [140] paie. Plus le trésor se grossit , plus il y a d'extorqué aux producteurs, plus il y a pour eux de chances de fortune. L'esprit que donne un pareil état est loin d'être conforme, comme on voit, à ce que nous avons dit du véritable esprit de la représentation nationale.
Tant que l'instruction publique sera donnée par le gouvernement , ceux qui professeront seront du gouvernement et non de la nation. Tant que l'instruction publique sera donnée par le gouvernement, elle sera ce qu'est une denrée produite sans concurrence, mauvaise et chère. Un monopole est dans tous les cas, le fléau le plus funeste à ceux qui consomment, et c'est bien pis lorsque le gouvernement se l'attribue. Or ici, c'est un monopole établi par le gouvernement sur les idées , les progrès , la civilisation du peuple.[8]
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Voyez aussi ce qu'on est au sortir du collège ; on a appris dans les livres classiques, anciens ou modernes, que l'état, est tout; et comme le gouvernement s'appelle l'état, on veut être du gouvernement pour être quelque.chose ; on cherche une place au lieu d'un métier. On aime mieux se faire le valet des valets d'un ministre que l'égal d'un honnête homme libre. Les greffes et-les bureaux de barrière se peuplent de lettrés; les comptoirs et les ateliers sont abandonnés à la masse ignorante. C'est bien là ce qu'il -faut à l'administration ; plus on aime ses places , plus on l'aime, plus elle est forte. Mais la nation qui s'épuise à produire, ne trouverait-elle pas mieux son compte, si on venait l'aider dans ce travail, au lieu d'aider les gouvernans dans le travail de la consommation ?
Vivre de sa seule industrie personnelle, et par-là avoir un intérêt matériel à la prospérité de l'industrie d'autrui et au bien-être des producteurs , c'est la condition indispensable pour être capable de représenter la nation, c'est-à-dire les producteurs ; mais une autre condition est encore indispensable, c'est qu'à ces intérêts matériels en faveur de la production, ne se joignent pas des intérêts moraux en opposition avec elle.
Un homme peut professer une industrie [142] productive et être détaché de cette profession par ses désirs ou ses habitudes; il peut regarder son existence indépendante comme un pis aller auquel il veut se résoudre en attendant des postes, des honneurs, des dignités. Cet homme serait inhabile à être représentant ; car il conserverait toujours , dans l'exercice de ses fonctions , une arrière pensée de ne point trop contrarier le gouvernement dans son action, ni dans ses dépenses, pour que les emplois fussent toujours en bon nombre et d'un gros profit; deux choses qui sont contre l'intérêt des représentés, lesquels ont à essuyer à la fois et l'administration et les frais de l'administration.
Electeurs patriotes , s'il se présente devant vous un homme qui vante le plaisir ou le profit des places , et qui s'en montre avide ; dites lui qu'il s'a dresse mal , que vous n'avez rien à donner de ce qu'il desire , et renvoyez-le à ceux qui en disposent.
Gardons-nous sur-tout d'une vieille tactique à laquelle on a été fidèle durant toute la révolution , et qui a peut être été la première cause de cette constante violation de la liberté et de la propriété, dans laquelle ont trempé toutes nos assemblées représentatives. C'est de ressusciter contre l'action du gouvernement existant, les [143] hommes d'un gouvernement détruit sur l'es ruines duquel s'est élève l'autre. Des représentons ainsi choisis lutteront violemment , il est vrai, contre l'administration présente ; mais qui voudront-ils servir dans cette lutte ? Non pas leurs commetans, mais eux-mêmes et que peut-il résulter de leur victoire ? Que le pouvoir passe dans leurs mains et que les vexations se fassent à leur profit.
Les ennemis de nos ennemis peuvent être aussi les nôtres, et ils le sont dans ce cas. … Des ambitieux ,quel que fût leur parti, se garderaient bien de rien faire dans notre intérêt , ce serait agir contre eux-mêmes. Retrancher quelque chose des profusions, des abus, du pouvoir, de la clientelle administrative, ce serait détériorer une possession qu'ils envient et pour laquelle ils s’agitent. Encore, ne serait-on pas assuré qu'ils voulussent persister dans le combat. Si les- gouvernans offraient de capituler, et de céder une partie pour conserver en paix le reste , il y a peu à douter que les autres ne fussent pas empressés à accepter et à vendre la nation et sa cause. Nous en avons vu des exemples. Un homme qui se plaisait à exploiter les producteurs au nom de la souveraineté démocratique , est tout prêt à les exploiter de nouveau au nom de la souveraineté monarchique; peu lui importe le titre.
[144]
Nous ne serons une nation représentée que lorsque nous aurons pour mandataires des hommes professant une industrie indépendante, et offrant en même temps des garanties morales de leur constance dans cette industrie, et de leur volonté de ne chercher la fortune que par elle. Des hommes d'une conscience assez délicate pour regarder l'argent levé pour le public comme un moyen de vivre retranché aux hommes et qui craindraient d'y toucher , effrayés de la responsabilité terrible à laquelle se soumet celui qui doit se dire : j’ôte à leur subsistance, que leur donné-je en retour? Des hommes ayant un esprit assez haut , une ame assez ferme, pour ne voir dans l'administration qu'un camp ennemi.
Ces caractères sont communs dans les sociétés nouvelles de l'Amérique ; ils sont rares encore parmi nous, ou peut-être ne les découvrons-nous en si petit nombre que parce qu'ils se cachent et fuient le grand jour.
On ne les voit point au milieu des coteries, dans les antichambres des ministres y dans les corridors des palais ; ils ne figurent point dans les pompes où le pouvoir s'étale ; il font peu de bruit et beaucoup de bien. Allons les trouver dans leurs retraites, au fond de leurs comptoirs, [145] de leurs bureaux, de leurs ateliers , des campagnes qu'ils cultivent ; disons-leur avec un sentiment profond : ô nos concitoyens ! ô nos amis ! nous vous avions ignoré, nous vous connaissons, et nous venons à vous. Vous souffrez quand nous souffrons; quand nous prospérons, vos fortunes prospèrent. Allez faire respecter votre intérêt avec le nôtre; soyez nos défenseurs, soyez notre salut, comme vous êtes notre gloire.
Nous venons de remonter en abstraction jusqu'à la nature du titre et des fonctions de représentant, et nous avons tiré de cette recherche quelques principes dont nous conseillons l'application présente. Une chose qui nous persuade que nous avons bien vu, une chose qui n'a pas échappé, sans doute , au lecteur attentif, c'est qu'en nous laissant aller où nous menait la théorie., nous n'avons jamais fait que raisonner le sentiment commun de tous les bons esprits , et expliquer en quelque sorte le vœu général, la conscience de la nation.
Il est remarquable comme aujourd'hui, à chaque nouveau point de discussion qui se présente dans ce qui touche à nos intérêts civils, nous tombons tous d'accord, et comme chaque [146] controverse qui s'élève, presque aussitôt disparaît : la politique devient enfin un une science.
Deux écrits différens ont paru au sujet des élections prochaines : l'un est une espèce d'instruction pour les électeurs de France, qui jointe à la charte constitutionnelle et à la nouvelle loi, forme un manuel à leur usage ; l'autre est une liste raisonnée des hommes qu'il conviendrait d'admettre dans la députation de Paris. Les auteurs de ces deux brochures ne vont pas loin à la recherche des principes, et cependant presqu'à chaque fois qu'ils ont à traiter des choix que nos besoins commandent, ils s'accordent ensemble , et avec ce qui vient d'être dit ; s'il y a quelque divergence, c'est .dans les points difficile, où le seul instinct du bien, sans un examen profond des choses ne suffit plus pour guider le jugement.
« Quels sont les députés que la nation réclame, se demande l'auteur du Manuel à la fin de son livre ? et les hommes qu'il désigne comme la tête de la représentation nationale , ce sont des chefs de manufactures et d'entreprises industrielles, des banquiers, des commerçans d'une réputation bien établie , qui soient connus par un attachement solide et raisonné aux principes d'une sage liberté.
[147]
» Des hommes d'un bon sens éprouvé , d'un grand caractère plutôt que des hommes d’esprit. »
Les véritables fonctions de la représentation nationale sont exposées .de la manière suivante , par l'électeur du département de la Seine , auteur de la liste de candidats,
« Nous desirons que les candidats soient pénétrés de ces grandes vérités; que, dans le droit de voter l'impôt et de fixer le budget, réside toute la puissance dé la chambre ; qu'en exerçant ce droit avec impassibilité , elle peut opposer une barrière inexpugnable à tous les genres de despotisme ; que devant cette barrière, viendront se briser toutes les forces ministérielles, et qu'il n'est point d'usurpation à craindre pour un peuple dont les représentans n'accordent à l'autorité exécutive que les fonds strictement nécessaires pour satisfaire aux besoins réels de l'état. Ces besoins doivoivent être connus, prouvés, évidens. Faire payer au peuple un centime de plus qu'il ne doit y est crime ? est trahison; donner aux ministres une somme que leur administration ne réclame pas impérieusement, c'est leur donner les moyens d'échapper à toute responsabilité.
» Nous desirons dans nos candidats le courage de repousser avec indignation toute loi de [148] circonstance., parce que l'art de faire naître les circonstances est depuis vingt-cinq ans trop bien connu des gouvernans ; parce que les lois d'exception laissent un champ libre à l'arbitraire , à la tyrannie. »
L’exclusion naturelle de tous les hommes qui participent à l'administration, ou qui y sont liés par intérêt ne lui a pas échappé.
« Quoique la loi ne repousse des élections populaires ni les nobles, ni les hommes en place, et qu'on doive choisir le mérite partout où il est supérieur, il me paraît raisonnable d'appeler de préférence aux fonctions de député les citoyens indépendans. S'il se présente un grand seigneur ou un courtisan , je lui montrerai la chambre des pairs où doit tendre son ambition. Si l'on me parle d'un fonctionnaire public, je répondrai qu'un évêque doit être dans son diocèse, un préfet dans sa préfecture, un directeur général à la tête de son administration , et un pensionnaire au coin de son feu. Le nombre des représentans est trop faible, pour qu'on nomme députés des gens du pouvoir exécutif. Songeons que pour s'assurer la majorité de la chambre, les ministres n'ont que cent vingt-sept députés, je ne dis pas à corrompre, mais à mettre dans leur parti. Combien cela leur serait facile, si par leurs [149] litres, leurs emplois ou leurs pensions, ces députés étaient déjà dans leur dépendance ! »
Voici à quel caractère il veut qu'on reconnaisses l'homme indépendant , le seul homme vraiment capable d'exercer les fonctions de représentant.
« L'indépendant est celui qui, jouissant d’une fortune aisée y peut choisir ses occupations , ne cherche point à associer des fonctions libres à des places honorifiques ou lucratives, pour ne jamais se trouver entre son devoir et sa conscience.[9] Il craint même le joug de la reconnaissance, et ne se mettrait point sur les rangs, des députés, s'ils se trouvait lié par une ou plusieurs. pensions qu'il devrait au gouvernement.[10] Voilà quelles sont les qualités.générales que nous désirons aux candidats.
» Qu'ils ne dissimulent jamais un abus pour avoir une place.
» Qu'ils n'acceptent qu'avec réserve les invitations des ministres et des grands , parce que l'honneur qu'on prétend leur faire, par ces politesses n'est jamais désintéressé. »
[150]
« Nous voulons , dit à son tour l'auteur du Manuel, des hommes sortis purs des épreuves de nos révolutions, qui n'aient point trempé dans des excès criminels que les amis de la liberté ont désavoués avec horreur , et dont ils ont eux-mêmes été les victimes, qui ne se soient ni prostitués aux factions , ni flétris à aucune époque.
» Plusieurs de ces hommes ont été constamment repoussés de toutes les fonctions éminentes , soustraits avec soin aux regards et aux suffrages de leurs concitoyens. C'est donc dans une condition privée qu'il sera souvent nécessaire de les chercher.
» Il faut fouiller dans le sein de la Nation; elle y renferme des vertus , des talens cachés: qu'il est temps de faire valoir ».
L'auteur se déclare contre l'ambition sous quelque forme qu'elle se montre; l'amour de la gloire, le plus pur en apparence, lui paraît toujours couvrir quelque desir de pouvoir et d'action à exercer sur les hommes ? c'est-à-dire contre les hommes. Il ne veut de grâce que pour une seule ambition , celle dont l'objet est d'opérer fortement sur les choses physiques, et non sur le genre humain. Il demande que l'on reçoive avec reconnaissance « les esprits étendus, les cœurs généreux qui veulent augmenter la [151] puissance de l'homme sur la nature, qui sont tourmentés du besoin de servir l'humanité ».
Tous les deux sentent la nécessité d'avoir enfin une véritable représentation de l'intérêt des citoyens ; ils pensent également que la circonstance en accroît le besoin , que rien ne doit être négligé de ce qui peut conduire à ce résultat; et chacun de leur côté, ils s'évertuent à chercher des moyens par où l'on puisse plus facilement l'obtenir. L'auteur du Manuel veut que les électeurs se fassent un travail des élections, et s'y préparent de loin.
« L'homme d'un grand caractère, d'un talent distingué y qui aurait de l'énergie et du courage pour défendre à la tribune publique les droits de la Nation , sera très-souvent timide pour se produire lui-même dans une assemblée électorale. Son patriotisme désintéressé s'oppose à ce qu'il se jette en avant pour appeler sur lui les suffrages : content des les mériter, il n'agira point pour les obtenir.
» Mais s'il s'établit de bonne heure , et pendant quelques mois de suite, jusqu'au moment des élections , entre un grand nombre de ceux qui devront y concourir, des rapports intimes et des communications familières, dégagés de mystère et d'intrigue où préside la confiance , [152] où chaque candidat soit examiné sévèrement,, où toute considération particulière soit écartée ; si les choix il faire sont préparés, discutés, mûris. dans les diverses réunions qui résultent de nos relations, sociales alors on arrivera au jour imprévu de la convocation des colléges électoraux avec une préparation convenable; chaque électeur aura pu recueillir des renseignemens positifs sur les candidats proposés. Les choix dirigés sur les hommes les plus honorables, seront garantis de l'influence des. mauvaises listes, des cabales, des coteries ».
Il conseille aux citoyens de se servir des listes d'éligibles dressées par les soins de l'autorité pour former des listes de confiance qui se passeraient de main en main, et seraient proposées en quelque sorte à la critique nationale.
» Chacun, dit-il, peut extraire des listes particulières de candidats en ajoutant à chaque nom l'âge , l'état, le domicile de l'individu, et des observations sur son caractère moral, sur la profession ou les fonctions qu'il a exercées on qu'il exerce encore, sur les actions ou les écrits par lesquels il a pu se faire connaître j enfin suc ses principes et sur sa conduite ».
L’électeur de la Seine propose la candidature [153] dont il décrit les pratiques telles qu'elles existaient chez les Romains.
« La candidature romaine , dit-il , bonne pour un peuple à demi-civilisé , ne peut convenir à nos mœurs. Ce qu'il y a d'essentiellement bon, c'est la demande solennelle des hommes qui se croient aptes à remplir les fonctions de députes , c'est la présentation publique de ceux que l'opinion désigne comme les plus dignes de défendre les droits du peuple. La gloire de faire le bien de son pays est le seul salaire attaché à cette place honorable; il est toujours beau de chercher à la mériter.
» La candidature romaine durait deux ans ; celle que nous croyons utile de créer en France durerait tout au plus trente jours.
» Si la loi était encore à faire , je proposerais d'assembler les électeurs un mois avant les élections, pour vérifier les titres des électeurs , pour recevoir la déclaration des éligibles qui prétendent à l'honneur de la députation, et pour faire un scrutin de liste dans lequel on prendrait pour candidats tous les éligibles qui auraient obtenu au moins dix voix. Cette liste publiée n'obligerait point les électeurs à donner leur suffrage aux éligibles qui y seraient portés; mais elle éclairerait leur conscience , leur ferait [154] counaître les hommes qui attirent sur eux l'attention publique, donnerait le temps de prendre des renseignemens sur la moralité et les talens des candidats, et , le jour de l'élection définitive, les électeurs voteraient avec connaissance de cause.
» Mais la loi est faite, il faut l'exécuter. Elle veut qu'on nomme immédiatement; et, pour ne point voter en aveugles , il est du devoir des électeurs qui sont peu répandus dans la société , de chercher à connaître les éligibles dignes de leurs suffrages ; il est du devoir de ceux qui , par état, sont en relation avec beaucoup d'hommes, de manifester hautement d'avance leur opinion sur les choix qu'ils croient les plus utiles à leur pays. C'est dans ces communications préliminaires , faites avec décence et franchise, que consisterait la candidature que nous proposons.
» Il n'y a qu'une grande publicité dans les prétentions et dans les opinions individuelles, qui puisse arracher les électeurs aux dangers de l'influence , ce germe corrupteur, comme dit Mirabeau, qui infecte et vicie les-élections publiques, et fait naitre la plus dangereuse des aristocraties, çelle des hommes ardens contre les citoyens paisibles ».
[155]
S'il y a des principes nécessaires qui doivent régler désormais les choix des citoyens, c'est dans les élections de Paris qu'il est important sur-tout que ces principes soient pratiqués. L'exemple de Paris a sur les provinces une influence qui s'exerce également pour le bien comme pour le mal. Des nominations, des exclusions bien motivées par des maximes constantes , une marche régulière, assurée, évidente, suivie invariablement par les électeurs de Paris, le serait bientôt par ceux des grandes villes, empressés à les étudier , à comprendre , à adopter leur façon d'agir; de-là l'imitation gagnerait jusques aux bourgs.
Depuis 1789 jusqu'à l'an VIII , où par un renversement singulier de tout principe , le droit d'élire devint une prérogative de l'administration , les élections de Paris ont été faites sans aucune espèce de discernement de profession ou de personne. Ou n'a point consulté , dit l'électeur de la Seine,
« les besoins de l'état, le genre de talens ou de lumières qu'il était utile de réunir et de préférer.
» L'assemblée constituante reçut de Paris cinquante-cinq députés , savoir dix nobles , seize magistrats ou avocats, sept commerçans, trois, cultivateurs, trois savans et gens de lettres , un seul financier ; ce qui est remarquable à une [156] époque ou le gouvernement périssait par les finances.
» Paris n'eut que vingt-trois députés à nommer à l'assemblée législative ; dans ces députés on ne compte plus de nobles , et l'on ne voit qu'un seul ecclésiastique; mais on y trouve dix avocats, deux commerçans, deux militaires et un cultivateur.
» La capitale nomme vingt-quatre représentans à la convention , et dans ce nombre ne figure aucun prêtre, aucun noble; on y remarque neuf avocats , deux marchands, dix artistes, savans ou gens le lettres , et trois comédiens.
» Le conseil des anciens et le conseil des cinq-cents ont donné lieu à quatre élections. Paris a fourni à ces deux conseils cinquante-neuf députés dans les quatre années. On n'y voit ni nobles, ni prêtres, mais vingt-six avocats, vingt-six gens de lettres et propriétaires , deux militaires , deux commerçans, cinq administrateurs et un banquier.
» En récapitulant toutes ces élections, on voit que sur cent soixante députés, le département de la Seine a fait choix de :
2 financiers,
4 cultivateurs,
[157]
13 commerçans ,
42 savans, artistes, gens de lettres - et propriétaires,
61 avocats,
16 prêtres,
10 nobles,
5 administrateurs,
4 militaires ,
3 comédiens. »
Si l'on examine ces élections d'après les règles que nous avons déduites de la nature des choses et des besoins de notre civilisation, quel cahos et quelles contradictions ! Les hommes à préférer sont le plus petit nombre ; le plus grand nombre consiste en hommes à rejeter , ou à n'admettre que pour remplir les vides.
Les financiers, les agriculteurs, les commerçans , forment la huitième partie de toute la députation.
Les avocats , gens de lettres, artistes , savans, propriétaires non industrieux en composent les deux tiers.
Les prêtres , les nobles-dignitaires , les militaires , les administrateurs y sont pour un quart.
Il nous fut resté sans doute plus de liberté et de bien-être de ces temps où nous nous félicitions [158] de notre pouvoir d'être représcntés, sans savoir nous faire représenter , si les proportions avaient été renversées , si les hommes de l'industrie avaient fait les deux tiers de la représentation nationale , les hommes de lettres le quart, et les hommes de l'administration le huitième.
L'électeur de la Seine appelle ces élections des élections bizarres ; il sent qu'elles le sont, mais il s'explique mal le pourquoi. Faute de principes sûrs, en condamnant l'erreur, en voulant l'éviter , il y tombe , et l'on y retomberait; encore si l'on s'en tenait aux choix qu'il conseille. La liste d'éligibles qu'il propose ressemble beaucoup plus qu'il ne croit à la liste de députés qu'il blâme.
On y trouve :
5 financiers ,
4 commerçans ,
Pas un cultivateur ; personne n' y est désigné sous ce nom,
16 savans, gens de lettres, avocats, propriétaires ,
9 administrateurs ,
10 militaires et un prêtre.
ce qui donnerait, si les élections se faisaient dans la proportion fixée par cette liste , une députations où les gens de l'autorité figureraient pour [159] la moitié, où les gens de lettres seraiént en nombre double des industrieux négocians et fabricans, et où l'industrie agricole ne serait point représentée.
Parmi les personnes proposées dans la liste , il y en a un grand nombre que nous n'avons point l'honneur de connaître, qui seraient, nous aimons à le croire, dignes d'être députés, mais que l'auteur a mal servis, en les présentant avec des titres qui sont loin de les recommander.
Au lieu de rappeler par le mot de général , que tel homme, redevenu citoyen indépendant, a commandé les milices du pouvoir , il eût fallu annoncer avec empressement qu'il ne commande plus ; au lieu d'entasser , autour de son nom comme des qualités rares, les titres des emplois par lesquels il a passé, il eût été mieux de déclarer qu'il a déserté les places, et qu'il s'est déshabitué , dans quelque industrie si petite qu'elle soit, des mœurs et de la science des gouvernans.
Tout homme a eu dans sa vie des circonstances diverses ; ce qu'il est, il ne l'a pas toujours été. Lorsqu'on jette un nom dans le public , il est important d'examiner sous quel aspect -l'intérêt veut qu'on le présente, sans quoi l'on risque [160] fort de le disgracier aux yeux des hommes y et de leur dérober, son utilité dont ils jugeraient mal. Si l'on s'en: tenait aux mots de la liste, M. de la Fayette serait inéligible ; il y-est classé parmi les généraux.
Mais M. de la Fayette n'est point général, car il n'a à ses ordres ni corps d'armée, ni division, ni brigade; car il ne reçoit ni solde, ni demi-solde , ni pension de retraite. Il est cultivateur, il est homme industrieux, voilà son titre. C'est à ce titre qu'il lui appartient de figurer à la tête des éligibles; et, si les choix sont ce qu'ils doivent être , à la tête des députés de la France.
Quel homme l'industrie française proclamerait-elle comme son plus digne représentant, si ce n'était, le citoyen français, qui le premier a senti que la cause d'un peuple industrieux était la cause de tous les hommes ; qui est allé à deux mille lieues de son pays dévouer sa fortune et sa vie à l'affranchissement d'une société laborieuse, attaquée dans sa liberté , attaquée dans sa subsistance par les lois de ses administrateurs ?
Une nation déjà riche, où chaque citoyen était enrôlé contre les soldats et les. agens du pouvoir, et ,où personne en combattant n'avait d'autre objet que sa propre indépendance, sans aucune [161] pensée d'ambition ; une révolution conduite par des hommes dont aucun ne spéculait sur elle ; et ne songeait à rendre libre le travail des autres dans la vue de l'exploiter à son compte : ce spectacle frappa M. de la Fayette ; il fut attiré par ces caractères auxquels le sien ressemblait ; il courut se montrer à ces hommes comme un de leurs concitoyens ; et voilà ce qui fit de lui un général.[11]
[162]
Certes, ce ne fut pas le désir de se faire ce que nous appelons une carrière par les armes , qui entraîna M. de la Fayette à la défense des Américains ; il allait trouver un peuple chez qui la profession de guerrier dévait finir avec la guerre ; il s'engageait dans des expéditions, d'où il ne pouvait rapporter ni butin, ni grades, ni cordons , et où le prix de la victoire devait être le même pour le plus brave et pour le plus timide: une vie libre dans le travail. Avec l'ambition d'avancer, ce n'est pas à l'Amérique, c'est à ses ennemis, c'est au ministère anglais, qu'il eût porté ses services.
Bien plus , par son départ en 1777, il signait sciemment son exclusion de toute dignité, de toute place en France ; il se fermait sa patrie. Le traité d'Amitié et de Commerce n’existait pas. Le Roi pouvait se faire l'ennemi des hommes qu'il allait servir.
En quelque coin reculé du monde que se fût levée cette liberté pure et paisible, la vraie [163] liberté moderne qu'il, avait devinée , là il eût vu ses amis, sa fortune ; là il eût volé comme un frère qui va rejoindre ses frères, non comme un soldat qui se vend où l’on veut le payer. Cet amour de l'indépendance pour elle-même, cet amour des hommes indépendans , plus puissant sur lui que toutes les habitudes, l'eût retenu loin de la France, si bientôt la liberté n'y eût pas été invoquée.
Au nom de la liberté, il redevint citoyen français. Trouver dans sa contrée natale ce qu'il avait cherché loin d'elle , c'était le plus cher de ses voeux. Quand il fallut combattre, il fut mis , comme en Amérique, à la tête des hommes qui voulaient être libres, plus. empressé à leur donner des exemples que des ordres.
Mais nous étions trop nouveaux pour l'independance ; nous la voulions sans la connaître. Nous crûmes que tout serait fait si les barrières , du gouvernement étaient brisées , et si chacun y avait une entrée. En poursuivant la liberté , nous nous précipitions dans le pouvoir. Comme un homme d'un esprit sain au milieu de frénétiques, est accusé par eux de la maladie qui les obsède , M. de la Fayette fut condamné par les révolutionnaires qui ne le comprenaient point; [164] il, s'exila L'administration se reforma bientôt avec tout son vieil attirail ; les. places , les grades, les commandement furent au concours. M. de la Fayette ne commanda point ; il resta citoyen. Fidèle aux mœurs de la liberté , il cultivait ses champs comme Washington , et pratiquait en silence les véritables vertus civiles. la simplicité et l'industrie.
Qu'on se représente M. de la Fayette au com mencement de la revolution ,seul , fuyant l'autorité, au milieu d'hommes qui se jouaient avec elle comme avec une arme inconnue échappée des mains de l’ennemi ; qu'on le voie, homme de la civilisation, parmi des sectateurs aveugle de l'esprit et des coutumes antiques ; ami de l’indépendance laborieuse , parmi les apôtres de l'oisiveté et de la gloire du pillage ; Américain parmi des Spartiates; et l’on comprendra que ces temps n'étaient pas faits pour lui, qu'il y était hors de sa place. Si les hommes de cette époque ont fini leur rôle , il n'a pas commencé le sien. Chacun de nous veut-il maintenant subsister de ses propres moyens , et non aux dépens- de tous les autres? Voulons-nous chercher nos jouissances en nous-mêmes, dans le contentement de nos besoins et dans l’aisance, et non pas hors. de nous, [165] dans l'orgueil de dominer ? - Voulons-nous qu'il n'y ait pas un homme entre nous qui ne puisse lever le front contre tout homme gouvernant sans que celui-ci ait à répondre : mais vous vivez de ces impôts; de cette loi, de ces abus ? Voulons-nous franchement être libres ? M. de la Fayette nous appartient.
La Nation industrieuse trouvera en lui un defenseur et un exemple. On le verra tel qu'il est, non point tel qu'il a paru dans quelques scènes de la révolution , obligé de se masquer pour être populaire, et de feindre des mœurs qui n'étaient point les siennes pour ne pas paraître, étranger. Rendu à lui-même , il se montrera ce que tout citoyen devrait être, favorable à l'administration tant qu'elle se contient dans ses limites, inflexible dans son opposition, si elle va plus loin que les besoins ; ami ardent de tout citoyen utile, ennemi déclaré de quiconque répudierait l'industrie et la liberté, pour contenter au détriment de la liberté et de l'existence d'autrui,-son ambition et son avarice.
A côté de cet homme qui n'a jamais été lé valet ni le maître de personne , l'auteur de la liste inscrit des gouverneurs de provinces conquises. Pense-t-il donc que MM. de St-Cyr, [166] de Thiard, et Donzelot, lui sauront gré de les montrer aux yeux des électeurs de France dans des fonctions qu'ils désavouent sans doute, et avec des dignités dont ils voudraient n'avoir point été déshonorés ? Qu'est-ce qu'un citoyen français, vice-roi en Saxe ou en Espagne ? Et de quel front un homme viendrait-il se faire un droit de pareils titres à la face de la Nation rassemblant ses représentans?
« Vous avez plié sous l'arbitraire, lui dirait-on, et vous avez fait plier des hommes sous l'arbitraire ; c'est pour nous un double motif de nous tenir en garde contre vous. Votre domination n'était point trop dure, vous aviez la main légère; que nous importe cela ? Nous n'avons pas des députés pour être frappés doucement. Et d'ailleurs, faut-il un si rare mérite pour être trouvé supportable par des gens qui s'attendent à tout souffrir de vous, et qui se regardent comme une proie de guerre ? »
Pour nous , si nous voulions présenter des candidats à MM. les électeurs de Paris, nous ne leur offririons pas des noms rangés au hasard, et nous ferions ressortir l'importance de chaque homme par sa classe, et l'importance de chaque [167] classe par les besoins présens, et les principes nécessaires.
Au premier rang, et à part, seraient les hommes industrieux qui se sont déjà signalés dans les fonctions de représentans, comme MM. de la Fayette, Lafitte, Lé-Voyer-d'Argenson ; puis ceux qui, par des écrits publiés, ont donné d'avance une sorte de garantie de leur conduite, comme MM. Casimir-Perier, Basterrèche, Vital-Roux ; puis enfin ceux qui n'ont pu donner des preuves de leur bon esprit et de leurs lumières que dans les transactions sociales : MM. Scipion-Périer, de Ternaux, Delessert, Ferrey, Gros-d‘Avilliers, et d'autres encore.
Nous proposerions, en outre, des savans dans la théorie de l'industrie , occcupés en même temps à des travaux d'industrie pratique ; M. Say, M. de Lasteyrie, M. Çhaptal qui oublierait qu'il a été ministre, et à qui l'on pardonnerait ce titre, en faveur de ses manufactures et de la société d'encouragement.
Enfin, s'il y avait un vide à remplir, ou si les électeurs trouvaient bon de joindre à la députation un talent de tribune qui servît d'organe eux intérêts sentis, nous conseillerions de [168] ehoisir entre MM Manuel et Tripier. Pourvu que celui des deux qui serait élu, comprit bien, par la profession et le caractère de ses collègues, quels sont les intérêts qu'il doit faire valoir, quelle est la raison dont son éloquence doit être l'instrument , et qu'on ne l'a pas mis à ce poste pour briller, mais pour être utile.
A. THIERRY.
[1] Un des plus grands maux du système prohibitif, c'est qu'il s'enracine dans l'industrie de façon que tout s'arrange d'après lui , et que le moindre échec qu'il reçoit devient une cause de bouleversement dans les fortunes.
L'administration perd plus à ces secousses, qu'elle ne gagne aux taxes que la prohibition lui permet d'asseoir, et qu'elle obtiendrait d'une autre manière. C'est un fait qui frapperait ceux qui gouvernent , si les faits étaient quelque chose pour eux ; mais la coutume les emporte , ils suivent leur routine.
Lorsque les armées alliées eurent rompu la ligne des douanes françaises , lorsque les produits étrangers , répandus en France avec profusion , eurent fait tomber toutes les manufactures qui ne pouvaient soutenir la concurrence, le mal des mesures prohibitives était évident, et l'occasion était belle pour l'éviter à l'avenir en les abolissant. Au lieu de cela on les a remises en vigueur , avec la plus grande exactitude , pour le bien de ceux qui avaient souffert de leur violation ; c'est-à-dire que, loin de détourner ces malheureux d'une direction d'industrie où le premier accident politique peut leur faire trouver leur ruine, et où d'eux-mêmes ils ne se fussent point engagés de rechef , on les y a précipités.
[2] Cela n'est point en opposition avec ce qui a été dit dans le premier article de ce volume , sur le gouvernement des producteurs; cela veut dire seulement que tout producteur gouvernant, ne saurait être en même temps représentant des producteurs.
[3] Cette question ; quels sont les véritables représentais ? conduit tout d'un coup à cette autre , quels sont les véritables électeurs de la représentation ? Entamer ici cette dernière question , ce serait sortir du sujet : nous la traiterons ailleurs.
[4] « Aucun membre du conseil d'état, secrétaire ou trésorier d'état, juge, procureur général, commissaire général, officier de terre ou de mer , à la solde du continent ou de cet état (excepté les officiers de la milice qui ne reçoivent point de solde , et qui ne sont appelés au service que par occasion), aucun garde des testamens et des actes, shérif, officier des douanes, receveur des taxes, ne pourra être membre du sénat, ni de la chambre des représentant de cet état. (Constitution de New-Hampshire , chap. I. )
» Aucune personne pourvue d'un office de juge de la Cour suprême ou des plaids communs , secrétaire d'état, procureur général, solliciteur général, trésorier ou receveur général, juge-vérificateur des testamens, shérif, garde des registres des testamens ou des actes , greffier , ne pourra en même temps avoir une place dans le sénat ou la chambre des représentans de cet état. (Const. de Massachusscts, chap. 2 , art. 2).
» Aucun juge ni shérif, ni aucune autre personne revêtue de quelque emploi que ce soit, sous l'autorité du gouvernement , ne pourra être élu membre de l'assemblée générale, excepté les juges de paix qui ne sont point payés, et dont les offices pourtant seront déclarés vacant, dès qu'ils auront été élus, et qu'ils prendront place dans l'assemblée. ( Constitution de New-Jersey, art. 20 ).
» Aucun membre de la chambre des représentans ne pourra posséder aucun autre emploi excepté dans la milice (garde nationale, dont les officiers ne reçoivent point de traitement. ) (Constitution de Pensylvanic, chap. 2, art. 7).
» Les membres du conseil privé , les secrétaires d'état, les commissaires de l'office dxi prêt public, les juges et les greffiers, tant qu'ils seront en place , ainsi que tous les entrepreneurs de fournitures pour le service de terre et de mer, ne seront éligibles, ni pour l'une ni pour l'autre des chambres de l'assemblée. (Constitution de Délaware, art. 18).
» Aucun sénateur ou délégué , s'il accepte et prête serment en cette qualité, ne possédera ni n'exercera aucun emploi lucratif, et ne recevra les profits d'un emploi exercé par toute autre personne. Aucune personne revêtue d'un emploi lucratif, ou en recevant en partie les profits, ou recevant en tout ou en partie les profits résultans de quelque commission, marché ou entreprise quelconque pour l'habillement ou autres fournitures de l'armée de terre ou de la marine, ni aucune personne employée soit dans les troupes réglées de terre, soit dans la marine de cet état ou des Etats-Unis , le pourra siéger dans l'assemblée générale.
» Et si quelque sénateur ou délégué exerce ou possède quelque emploi lucratif , ou touche soit directement, soit indirectement en tout ou en partie les profits d'un emploi exercé par une autre personne, il sera, d'après la conviction, dans une Cour de loi, privé de sa place, et puni comme coupable de corruption et de parjure volontaire. (Constit. de Mar land, art.. 47 et 49.)
» Tous ceux qui occupent des emplois lucratifs sont incapables d'être élus membres de l'une et de l'autre des chambres de l'assemblée de cet état. (Constit. de Virginie, art. 12. )
» Aucun membre du conseil d'état, secrétaire d'état, procureur général, greffier,, juge; aucun officier de troupes réglées ou de marine, au service ou à la paie , soit de cet état, soit des Etats-Unis , et aucun traitant ou agent pour la fourniture de vivres ou d'habillemens à des troupes réglées ou à une marine quelconque, ne pourra siéger ni dans le sénat ni dans la chambre des communes, et ne sera éligibie pour aucune de ces places. (Constitution de la Caroline septentrionale , art. 27 ).
» Si quelque membre du sénat ou de la chambre des représentâtes accepte quelque place lucrative ou quelque commission , sa place de sénateur ou de représentant vaquera, et il y sera pourvu par une nouvelle élection ; mais il ne sera pas inhabile à y rentrer s'il est réélu , à moins qu'il n'ait été nommé secrétaire d'état , commissaire de la trésorerie , officier des douanes , garde des re gistres, greffier, shérif, commissaire des approvisionnemens militaires ; tous les officiers ci-dessus étant déclarés par la présente constitution inhabiles à être sénateurs ou représentants. ( Const. de la Caroline mérid. art. 20. )
» Aucun habitant pourvu d'un emploi lucratif ou d'une commission militaire sous l'autorité de cet état ou do quelque autre état que ce soit, excepté les officiers de la milice , ne sera éligible comme représentant. ( Const. de Géorgie, art 17). »
Les mêmes dispositions se trouvent dans les constitutions des nouveaux états de Vermont, de Tennessee, de Kentueky et d'Ohio ( Voyez le recueil des constitutions d'Amérique.)
[5] « Aucun président, professeur ou instituteur du collège de Harward, ne pourra siéger en même temps dans le sénat ou dans la chambre des représentans. ( Const.de Massachusets, art. 2 ).
» Aucun ministre ou prédicateur de l'évangile, de quelque secte que ce soit, ne pourra siéger dans l'assemblée générale de cet état. ( Const. de Maryland , art. 37. )
» Aucun ministre de l'évangile, ni aucun prédicateur public, de quelque secte que ce soit, ne-sera éligible pour la place de sénateur ou de réprésentant, tant qu'il exercera les fonctions ecclésiastiques, ni deux ans après les avoir quittées. ( Const. de la Caroline mérid. art. 219. )» Voyez les autres constitutions.
[6] M. Sismonde-Sismondi dans son histoire des républiques italiennes. Le passage est assez remarquable pour être transcrit en entier.
« Dans le moyen âge, on parlait des droits exclusifs des nobles, aujourd'hui l'on parle de ceux des propriétaires de terres ; par ces deux noms , mis quelquefois en opposition l'un avec l'autre , on a toujours entendu la même chose.
» On a vu des familles, au moyen âge, être considérées comme nobles, par la simple transformation de leurs richesses mobilières en immobilières.
» Les économistes prétendent que la nation n'est composée que des propriétaires de terres , et qu'il dépend de ceux-ci d'imposer quelles conditions il leur plaît à ceux à qui ils permettent d'habiter le sol qu'ils possèdent.
» Ce système a été adopté, et pendant plusieurs siècles la souveraineté a été abandonnée toute entière aux propriétaires du sol ; car le sol de l'Europe avait été divisé entre les nobles qui n'étaient encore que des soldats , et il n'y avait pas dans tout l'Occident une seule parcelle de terre qui ne fût la propriété d'un gentilhomme. Les propriétaires voulurent que la seule condition, moyennant laquelle on pourrait habiter sur leur sol, fût la servitude; et comme il n'y avait plus d'asyle ouvert à ceux qui ne voulaient pas souscrire à cette condition , les propriétaires convinrent de se renvoyer les fuyards.
» Grâce à l'esprit de liberté , de telles lois furent violées ; partout où , sur la propriété d'un noble ,les habitations des artisans et des marchands rapprochées formèrent une ville ; les bourgeois de cette ville, les armes à la main, forcèrent les nobles propriétaires à reconnaître les bornes du droit de propriété. C'est ainsi que du 10e au 12e siècle les gens sans propriété territoriale reconquirent la liberté aux générations futures. Pendant le 13e siècle (et aujourd'hui c'est l'état des choses), la querelle entre les nobles propriétaires des campagnes et les bourgeois établis dans les villes changea de nature et d'objet. Les premiers reconnaissaient la liberté civile des seconds ; mais ils voulaient être chargés exclusivement de l'administration de l'état. Ils pouvaient, disaient-ils, nourrir et affamer la cité; ils ne pouvaient séparer leur intérêt personnel de l'intérêt public ; ils étaient enracinés au sol, tandis que dans les villes les fortunes mobiles s'accroissaient , se maintenaient au milieu des révolutions ; les nouveaux riches ne donnaient aucune garantie de leur attachement et de leur obéissance.
» Mais les négocians, qui supportaient presque seuls toutes les charges de l'état, qui participaient par leurs capitaux aux fruits des terres , s'indignèrent. Ils n'offraient point, il est vrai, de garantie; mais ils en demandaient une , la liberté. Fidèles à la patrie tant qu'elle était libre , ils n'étaient pas de ces gens qu'un tyran peut atteindre et enchaîner. Sur l'Océan , libres au milieu des nations asservies , ils préparaient dans l'exil les jours de la vengeance et de la liberté. Tandis que les nobles, vendus tour à tour aux empereurs ou aux condottieri, se laissaient enchainer par leurs propriétés territoriales, qui étaient une garantie, non de leur patriotisme et de leur bravoure , mais de leur obéissance et de leur lâcheté envers l'ennemi qui pouvait ravager leurs campagnes. »
[7] Le système de crédit et le paiement intégral de l'arriéré ont été proposés dans la commission du budget , et soutenus dans la chambre des députés par M. Lafitte, banquier. M. Basterrèche, banquier et négociant, a écrit deux brochures sur les finances, dans l'une desquelles il a exposé avec force les circonstances politiques qui contraignent le gouvernement à donner des garanties pour qu'il obtienne du crédit. M. Casimir-Périr, banquier, a examiné scrupuleusement si les besoins exposés par les ministres étaient vraiment des besoins de l'état, et si, en s'en tenant à leurs demandes , il n'y avait pas encore des économies possibles.
[8] De bonnes gens vont crier au jacobinisme ; mais il faut qu'ils apprennent que c'est aux jacobins qu'on doit d'avoir joint aux attributions spéciales du gouvernement celle de diriger les esprits , et de l'avoir fait pouvoir enseignant, comme il était déjà par lui-même ou par ses agens pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Avant 1791, il y avait bien un monopole d'instruction ; mais au moins ce n'était pas le gouvernement qui l'exerçait : le privilége exclusif appartenait à des compagnies indépendantes de lui. L'université était libre.
[9] « On a vu un conseiller d’état disgracié pour avoir voté dans un sens opposé à celui du ministère. »
[10] « On assure qu'il est plusieurs députés qui cumulent deux,, trois ou quatre pensions. »
[11] Voici un fait qui fera connaître le caractère de cette guerre, et l'esprit dans lequel elle fut conduite :
« Le comte de Rochambeau, chef de cette bonne armée ( l'armée française) , la conduisait de l’état Rhod-IsLnd à celui de Virginie. Un jour , dans cette longue marche , il posa son camp près d'un village entouré de vergers. C'était la saison où les fruits sont dans leur maturité , et des soldats pillèrent ceux de quelques arbres , dont leurs tentes étaient voisines. Le lendemain , au point du jour , la colonne se mit en mouvement : elle cheminait sous la conduite de Rochambeau, lorsqu'un constable parut tout à coup, et d'une main retenant la bride du cheval que montait le vieux général, il lui présenta de l'autre un ordre du Shériff, et lui dit qu'il ne pourrait poursuivre sa marche qu'après que le propriétaire des fruits aurait été indemnisé du dommage qu'il avait é prouvé.
» Rochambeau fit payer à l'instant même. L'armée sur cet acte de justice , là discipline fut mieux observée, et les habitans conçurent une nouvelle confiance dans leur allié. » (Complot d'Arnold et de sir Henry Clinton contre les États- Unis d'Amérique, et contre le général Washington, septembre 1780. p. 180.)