Charles Dunoyer, Review of Say's “Petit volume contenant quelques aperçus des hommes et de la société” (CE, March 1818)

Charles Dunoyer (1786-1862)  

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

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Source

Charles Dunoyer, [CR] “Petit volume contenant quelques aperçus des hommes et de la société; par J.-B. SAY,” Le Censeur européen, Tome VII, 28 mar. 1818, pp. 80-126.

Review of Jean Baptiste Say, Petit volume contenant quelques apperçus des hommes et de la société, 2e édition (Paris: Deterville, 1818).

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Text

PETIT VOLUME CONTENANT QUELQUES APERÇUS DES HOMMES ET DE LA SOCIÉTÉ; Par J.-B. SAY, De l'académie impériale de Saint-Pétersbourg, de la Société royale de Madrid, etc. (Seconde édition, corrigée et augmentée)[1]

Il est fort peu de publicistes dont les écrits doivent contribuer aussi puissamment que ceux [81] de M. Say aux progrès de la société et à l'amélioration des gouvernemens. L'influence que sont destinées à exercer sur la politique proprement dite les doctrines de l'économie politique, qu'il a le mérite d'avoir élevée au rang des sciences morales les plus positives et les mieux faites, est véritablement immense. En attirant nos regards sur le phénomène de la production, et en nous portant à envisager ce phénomène dans toute son étendue, l'économie politique tend à nous affermir par le raisonnement sur les véritables voies de la civilisation, que nous n'avons encore suivies que par une sorte d'instinct, et dont de funestes passions nous ont trop souvent détournés. Elle nous conduit à reconnaître que tout ce qui se fait dans la société de véritablement utile au bonheur des hommes, c'est le travail qui l'opère, le travail appliqué au développement de toutes nos facultés et à la création de tous les biens que nos besoins réclament. Elle nous amène à voir combien est salutaire la direction que le travail donne à notre activité, combien est pernicieuse celle que lui impriment la recherche du pouvoir, le goût des conquêtes, toutes les passions dominatrices. Le travail détruit tout principe d'hostilité entre les hommes, ils [82] les réconcilie, il accorde l'intérêt de chacun avec l'intérêt de tous; il est un principe d'union et de prospérité universelles. L'esprit de domination, au contraire, divise à la fois tous les hommes; il n'élève les uns qu'en abaissant les autres; il est un principe de ruine pour tous, même pour ceux qu'il fait jouir momentanément d'une sorte de prospérité. Telle est la vérité fondamentale à laquelle conduisent les principes de l'économie politique. Or, de cette vérité généralement sentie, doit résulter un grand changement dans la direction des idées. Un nouvel objet s'offre à l'activité universelle; les individus et les nations détournent insensiblement sur les choses l'action qu'ils aspiraient à exercer les uns sur les autres; le travail acquiert la considération et la dignité que perd l'esprit de domination; il devient la passion générale, l'objet fondamental de la société.

Le premier effet des doctrines économiques est donc de placer la société sur ses vrais fondemens, de l'attacher à son objet véritable, au travail. Mais ce n'est pas là leur effet unique. En même temps qu'elles présentent l'industrie, considérée dans ses innombrables applications, comme l'objet naturel des associations [83] humaines, elles enseignent les véritables intérêts des peuples industrieux, elles montrent quel est le régime qui leur serait le plus favorable, et c'est principalement sous ce rapport que leur influence sur la politique est grande. Elles attaquent par la base les systèmes militaire et mercantile, et surtout ce régime réglementaire qui tend à tout envahir et à tout paralyser; qui tiendrait volontiers toutes nos facultés captives; qui prétend en diriger le développement, en déterminer les opérations; décider d'avance sur toutes choses ce qu'il faut croire, ce qu'il faut pratiquer; dire comment on doit louer Dieu, comment élever ses enfans, comment écrire, comment parler, comment se taire, comment ensemencer son champ, comment fabriquer, comment faire le commerce: sorte de monstre à mille bras, qui enchaîne étroitement l'arbre de la civilisation, et en contrarie de toutes parts le développement et la croissance. L'économie politique nous apprend que le premier besoin de l'industrie est d'être franche d'entraves; travailler à la régler c'est s'évertuer à la détruire; borner le cercle de ses opérations, c'est resserrer celui de ses bienfaits. Son second besoin est de pouvoir jouir avec sécurité du fruit de ses travaux ; elle est [84] amie de la paix autant qu'ennemie de la contrainte, et l'on peut la paralyser en lui ravissant ses produits comme en l'empêchant de produire. Liberté et sûreté, voilà donc sa devise; il ne lui faut que cela pour prospérer. mais il ne lui faut pas moins que cela; et on la voit constamment s'élever ou décliner selon le degré de liberté et de sûreté dont elle jouit.

Ainsi, en même temps que les doctrines économiques nous conduisent à reconnaître quel est le véritable objet de la société, elles nous apprennent à voir quel est l'objet certain des gouvernemens. L'objet de la société, c'est la production considérée sous le point de vue le plus vaste et le plus élevé ; celui des gouvernemens c'est, en laissant toute liberté à la production, de faire jouir les producteurs de la sûreté qui leur est indispensable. Tout ce qui tend à troubler la sûreté, voilà la matière et toute la matière des gouvernemens. Leur action ne peut aller plus loin.

De là, dans la politique proprement dite, un changement fort important et qu'on ne saurait trop faire remarquer. L'action que les gouvernemens doivent exercer sur la société, n'est plus une action directe, mais indirecte et en quelque sorte négative. Leur tâche n'est pas [85] de la dominer, mais de la préserver de toute domination. Ils ne sont pas chargés de lui assigner un but et de l'y conduire, mais seulement d'écarter les obstacles qui entravent plus ou moins sa marche vers le but que lui indiquent et auquel la portent sa nature et ses besoins. La société reçoit sa destination d’elle-même; elle la suit par sa propre impulsion. Les hommes qui prétendraient la diriger ressembleraient à la mouche du coche, et seraient peut-être un peu plus ridicules. Voir le mouvement de la société dans l'action des gouvernemens, c'est confondre les évolutions de la mouche avec la marche du coche. Croire que le monde ne se meut que parce que les gouvernemens décrètent, réglementent, s'agitent, c'est croire que le char ne chemine que parce que la mouche bourdonne, s'empresse, s'assied sur le nez du cocher, et demande aux chevaux le loyer de sa peine. Il est vrai que, dans la société, les chevaux paient; mais il n'en faut pas conclure que les mouches traînent le char. Tandis que quelques hommes rendent des lois, bourdonnent des harangues, font des parades, livrent des batailles, multiplient, précipitent de stériles mouvemens, et pensent ainsi gouverner le monde, le genre humain, conduit [86] par les seules lois de son organisation, peuple la terre, la rend vivante et féconde, multiplie à l'infini les produits des arts, agrandit le domaine des sciences, perfectionne toutes ses facultés, accroît tous les moyens de les satisfaire, et accomplit ainsi ses destinées. Cet immense mouvement de l'espèce humaine échappe à l'action des hommes vains qui prétendent la conduire, et ils pourraient disparaître qu'il ne serait ni suspendu, ni ralenti. Il n'est donc pas au pouvoir des gouvernemens de diriger la société; tout ce dont ils sont capables, c'est de rendre sa marche un peu plus ou un peu moins facile, selon qu'ils appliquent leur puissance à fortifier ou à affaiblir les résistances qu'elle éprouve. Ce n'est que sur ces résistances qu'ils doivent agir; leur tâche est de les vaincre et n'est que cela.

Dès lors, toute action des gouvernemens au-delà de cet objet est une usurpation réelle; tout effort des gouvernemens pour assigner une fin particulière à la société, ou pour la conduire par d'autres voies que les siennes à la fin qu'elle doit atteindre, est une véritable tyrannie. Ainsi, toute organisation dont l'objet serait de faire d'un peuple un peuple souverain, un peuple conquérant, un peuple dévot, serait [87] également absurde et tyrannique ; et toute mesure par laquelle on entreprendrait de diriger le mouvement d'un peuple industrieux vers sa destination naturelle, toute intervention des gouvernemens dans le commerce, les arts, l'agriculture, la religion, les sciences, l'éducation, l'imprimerie, serait pareillement un acte de déraison et de tyrannie. Il est bien entendu que les gouvernemens n'ont pointa se mêler de ces choses; elles sont la matière de la société, et non celle des gouvernemens. Les individus dont la société se compose, cultivent, fabriquent, commercent, écrivent, élèvent leurs enfans, honorent les dieux au gré de leurs besoins, de leur raison, de leur conscience; et les bons gouvernemens n'entrent dans ce grand mouvement de la société humaine que pour reconnaître ce qui le trouble, et s'efforcer de le réprimer. Leur tâche est de veiller à la sûreté de tous, en prenant le moins possible sur le temps, sur-les revenus, sur la liberté de chacun.

Dès lors, le meilleur gouvernement sera évidemment celui qui retranchera le moins de notre liberté, de nos moyens de vivre, et qui cependant nous fera jouir de la plus grande sûreté.

[88]

Dès lors, entre un gouvernement qui dépensera des milliards, qui multipliera les prohibitions et les gênes, et sous lequel pourtant on sera exposé à toute sorte d'avanies et de violences, et un gouvernement qui , pour quelques millions et sans presque rien ôter de la liberté d'agir, mettra chacun à l'abri de toute espèce d'insultes; entre le gouvernement des Etats-Unis, par exemple, qui, pour moins de 50 millions, et en laissant la plus grande latitude à la liberté, fera jouir douze millions d'Américains de la sûreté la plus parfaite, et tel gouvernement d'Europe qui, dans un pays de seize millions d'habitans, dépensera près de 2 milliards, s'armera de lois d'exception, chargera la liberté d'entraves, et cependant ne fera jouir ses sujets que d'une sûreté précaire; on voit à l'instant lequel remplit le mieux son objet.

Dès lors deviennent impossibles toute querelle pour des chefs, toute révolution pour changer de domination, toute guerre civile pour passer des mains d'un parti dans celles d'un autre. Le gros du public a enfin le bon sens de comprendre qu'il ne vaut pas mieux être exploité par des wighs que par des torys, par des ministériels que par des ultra, par des jacobins [89] que par des bonapartistes. On se demande seulement s'il serait possible, et comment il serait possible d’être de moins en moins exploité par qui que ce soit.

Dès lors tombe toute discussion sur des formes de gouvernement qui n'aurait pas directement pour objet de le rendre plus doux, moins coûteux, et tout à la fois plus favorable à la sûreté. L'objet n'est pas de le rendre accessible à tous, mais utile à tous. Il ne s'agit pas de savoir si les pouvoirs se balancent, mais si leur action s'exerce au profit du public. Il n'est pas question de faire que l'aristocratie, la démocratie et la royauté régnent paisiblement ensemble, mais d'empêcher que tout cela considère la société comme un domaine. L'important, enfin, n'est pas d'avoir un gouvernement intitulé monarchie ou république; car ces mots peuvent, l'un et l'autre, signifier des horreurs ou des sottises; mais ce qui importe, quelle que soit l'enseigne de la compagnie chargée de veiller à la sûreté commune, c'est qu'elle coûte peu, et qu'elle ne vexe point.

Dès lors perdent leur magie les mots de constitution, de gouvernement représentatif. On conçoit la possibilité d'avoir un jury, des conseils municipaux, [90] départementaux, nationaux, et cependant de payer fort cher pour être fort malmené. Si, par la manière dont elles sont constituées, ou par l'effet d'habiles manœuvres, ces institutions se trouvent habituellement composées d'hommes appartenant aux ministres, si le contrôle du gouvernement gît ainsi dans les mains de ses agens, si l'obstacle à l'arbitraire en est le moyen, si l'intervention du public dans ses affaires n'est qu'un surcroit de forces donné au pouvoir exécutif contre le public, si le pouvoir exécutif se trouve nanti de toute la force du public pour agir sur lui, si le public se rend ainsi malgré lui l'artisan de ses propres misères, s'il se met lui-même sous le régime des lois d'exception, s'il se charge lui-même d'impôts accablans, s'il se harcèle, se pille, se dévore lui-même, on conçoit que l'organisation qui tourne ainsi ses forces contre lui n'est qu'une déception cruelle, qu'elle est la plus terrible de toutes les tyrannies. Il ne suffit donc pas d'avoir un gouvernement dit représentatif pour se trouver sous le meilleur de tous les régimes. Ce régime peut être le meilleur il est vrai, mais il peut aussi être le pire : cela dépend tout-à-fait de l'usage auquel servent les forées immenses qu'il met en jeu. Il est le pire, si le ministère [91] peut à son gré disposer de ces forces, et ajouter leur puissance à la sienne pour opprimer plus violemment et plus sûrement le pays. Il est le meilleur, si elles servent à modérer son action, et à réduire ses dépenses toutes les fois qu'elles passent les bornes; si elles ne lui accordent que le pouvoir strictement nécessaire au maintien de la sûreté, et laissent ainsi à la liberté toute l'extension qu'elle doit avoir.

Voilà comment les doctrines économiques, en même temps qu'elles signalent le but des gouvernemens, ne permettent jamais de le perdre de vue. On n'en est distrait ni par les couleurs qu'ils arborent, ni par les formes sous lesquelles leur action se manifeste, ni par l'espèce d'hommes qu'ils mettent en œuvre, ni par la pompe qu'ils étalent, ni par les sentimens qu'ils affectent. En vain s'offriraient-ils aux regards entourés de monumens fastueux; en vain diraient-ils qu'ils ont fait triompher le pays, qu'ils sanctifient le peuple, qu'ils l'associent au pouvoir exercé sur lui. Ce n'est point à ces signes qu'on juge de leur mérite. On demande uniquement quelle est la sûreté dont ils font jouir les citoyens, et quels sacrifices ils leur imposent pour les préserver de tout trouble. Plus la sûreté est grande et leur action [92] légère, plus on les trouve parfaits. On pense qu'ils font des progrès à mesure qu'ils se font moins sentir, et que le pays le mieux gouverné serait celui où le maintien de la sûreté n'exigeant plus l'intervention d'une force spéciale et permanente, le gouvernement pourrait en quelque sorte disparaître, et laisser aux habitans la pleine jouissance de leur temps, de leurs revenus, de leur liberté.

Ajoutons qu'en nous faisant découvrir en quoi consiste la bonté des gouvernemens, les doctrines économiques nous conduisent à voir de quelle manière on peut leur faire faire des progrès. Si les gouvernemens se perfectionnent à mesure qu'ils se rendent moins sensibles, et s'ils peuvent se rendre moins sensibles à mesure que le maintien de la sûreté exige un moindre développement de forces, il s'ensuit évidemment que le seul moyen de leur faire faire des progrès, c'est d'agir sur ce qui exige l'emploi de ces forces, d'épuiser en quelque sorte la matière de leur action, d’ôter ce qui menace la sûreté. Il serait aussi difficile d'établir un gouvernement doux dans un pays peuplé d'oisifs, d'ambitieux, de voleurs, qu'il pourrait l'être d'en établir un violent dans un pays dont tous les habitans seraient livrés à [93] des occupations utiles, et trouveraient dans leurs travaux des moyens assurés de bien-être et d'aisance. Le gouvernement serait violent dans le premier, par cela seul qu'il y aurait beaucoup d'hommes qui aspireraient à dominer, beaucoup qui auraient besoin d'être contenus, et il le serait quelle que fût la forme qu'on lui donnât; car la forme ne changerait pas la matière : elle ne serait qu'une nouvelle manière de la mettre en œuvre, qu'un nouveau cadre dans lequel s'agiteraient les ambitions. Dans le second, au contraire, le gouvernement serait doux, par cela seul qu'il y aurait très-peu d'hommes qui aspireraient à exercer le pouvoir, très-peu sur qui le pouvoir aurait besoin d'être exercé, et il le serait quelle que fût sa constitution ; car la constitution du gouvernement ne changerait pas celle des hommes, et ne ferait pas qu'ils fussent disposés à exercer ou à souffrir la domination, si leurs mœurs ne les excitaient qu'au travail, et repoussaient également toute idée de domination et de servitude. Voyez l'Amérique, où tous les hommes travaillent, où nul du moins ne peut s'élever que par le travail ; où, au lieu de voler, de conquérir, on travaille; où, au lieu de mendier, de solliciter, d'intriguer, de cabaler, de conspirer, on [94] travaille; le gouvernement y est si doux, qu'il est à peine sensible, et il serait bien difficile qu'il déployât une grande action; car qui l'exercerait, et sur qui s'exercerait-elle? Des peuples aussi occupés, aussi heureux par le travail, n'ont besoin ni de gouverner, ni d'être gouvernés. Voyez l'Europe, au contraire, où tant d'hommes ne travaillent point, où l'on s'enrichit par la domination bien mieux encore que par le travail; où, au lieu de travailler, on se fait la guerre, on se pille; où, au lieu de travailler, on sollicite, on intrigue, on cabale, on complotte; les gouvernemens y sont d'une dimension et d'une activité démesurées: les nations disparaissent derrière ces colosses ; elles succombent sous le poids de leur action, et il serait bien difficile de les resserrer dans des cadres étroits, et de les rendre peu sensibles; car que faire de cette masse d'artistes-gouvernans qu'ils mettent en œuvre, de celle qui voudrait participer à leur action, et qu'ils tiennent en échec ? Le moyen d'être peu gouverné dans des contrées où tout le monde veut faire figure, et où le seul moyen d'y réussir c'est d'être du gouvernement? On aurait beau faire, on aurait beau varier les formes du pouvoir, il est de force que son action se proportionne à la masse [95] d'hommes qui veulent y prendre part, ou sur lesquels il est nécessaire qu'elle s'exerce. Le seul moyen de la rendre moins sensible, c'est donc de travailler à rendre le nombre de ces hommes de moins en moins considérable.

Enfin, en même temps que les doctrines économiques nous conduisent à reconnaître que le seul moyen d'améliorer les gouvernemens, c'est d'en épuiser la matière, de réduire le nombre des ambitieux et des oisifs qui ont besoin de gouverner ou d'être gouvernés, elles tendent d'une manière très-directe à produire cet heureux effet; car elles attaquent l'ambition et l'oisiveté dans leur source même, dans ce qui les engendre et les alimente, dans les dépenses inutiles des gouvernemens.

Il n'en faut pas douter, si dans notre Europe, en France surtout, où il pourrait être si facile de s'honorer et de s'enrichir par d'utiles travaux, on voit tant de gens courir à la fortune par des voies honteuses, tant de gens qui vivent de pouvoir ou de larcin, tant de fripons et d'hommes à places, c'est surtout à l'excès des dépenses publiques qu'il faut attribuer ce désordre. Ce sont ces dépenses qui, en tarissant les sources naturelles de la richesse, détournent les hommes de tous les rangs des occupations honorables, et les font recourir pour s'élever à des expédiens honteux; excitent ceux des classes inférieures à la mendicité, au vol, au vagabondage; ceux des classes plus élevées à la poursuite des emplois, à l'intrigue, aux cabales, aux factions, et peuplent ainsi la société de cette multitude d'hommes pour lesquels ou contre lesquels les gouvernemens sont nécessaires. On ne saurait nier que la direction que suit cette multitude ne soit particulièrement déterminée par celle que les dépenses publiques font prendre à une portion considérable des revenus de la société. Les gens comme il faut ne courraient pas tant après les places, si les impôts ne faisaient fluer l'argent du puplic du côté des places. Tant de misérables ne se feraient pas une ressource du vol, si les impôts, en épuisant les hommes qui pourraient les occuper, ne leur ravissaient pas la faculté de chercher une. ressource plus honorable dans le travail. Le meilleur moyen de faire refluer toute cette cohue d'ambitieux et de fripons vers les occupations honnêtes et utiles, de délivrer ainsi la société des hommes qui la troublent, et d'épuiser par cela même la matière des gouvernemens, c'est donc de réduire les dépenses publiques, de rendre insensiblement [97] à leur cours naturel l'immense portion des revenus de la société qu'elles absorbent, et de faire ainsi que le travail devienne tout à la fois le seul moyen et un moyen toujours plus assuré de bien être et d'aisance. Or, l'économie politique ne peut manquer d'amener tôt ou tard ce résultat. Elle répand, en effet, une telle lumière sur les consommations publiques, elle fournit des moyens si sûrs et si simples de les apprécier, qu'il paraît impossible que le gros du public ne soit pas, une fois, frappé de l'inutilité et des effets désastreux de la plupart de celles qu'on fait à ses dépens, et qu'éclairé sur ces abus, il n'en obtienne pas tôt tard le redressement.

Ainsi, les doctrines économiques nous conduisent à reconnaître que l'objet de toute société civilisée, c'est le travail, considéré dans toutes ses applications utiles; que l'objet unique des gouvernemens, doit être de veiller au repos de la société, en laissant à sa liberté la plus grande latitude possible; que le meilleur gouvernement est celui qui procure le plus de sûreté aux citoyens, et qui retranche le moins de leur temps, de leurs revenus, de leur liberté; que dès lors les gouvernemens deviennent meilleurs à mesure qu'ils se rendent moins [98] sensibles; qu'ils peuvent se rendre moins sensibles à mesure que la société se civilise, à mesure que le nombre d'hommes, qui ont besoin de gouverner ou d'être gouvernés, diminue; que le véritable moyen de diminuer le nombre de ces hommes, c'est de restreindre de plus en plus la facilité de s'enrichir par le pouvoir, d'augmenter de plus en plus, au contraire, celle de s'élever par le travail; et enfin que le meilleur moyen d'obtenir ce dernier résultat, c'est de réduire progressivement les dépenses publiques, de rendre par degrés à leur destination naturelle, à la reproduction, les immenses capitaux que ces dépenses en détournent et qu'elles détruisent improductivement. Voilà les principales vérités politiques auxquelles l'économie politique donne naissance. On comprend maintenant comment cette science peut contribuer aux progrès de la société et à l'amélioration des gouvernemens; et il serait difficile, en envisageant le bien immense qu'elle est destinée à produire, de ne pas sentir quelque reconnaissance pour l'écrivain auquel nous devons de l'avoir tirée du domaine des spéculations et mise à la portée de toutes les intelligences. L'ouvrage de M. Say, sur l'économie politique, est sans [99] contredit l'une des productions les plus éminemment utiles de ce siècle, l'une de celles qui répondent le mieux à ses besoins et qui paraissent devoir le plus influer sur sa direction.

Le petit ouvrage du même écrivain, à l'occasion duquel nous sommes entrés dans ces considérations, est loin sans doute d'avoir la même importance,  cependant il en a plus de beaucoup que ne semblerait l'annoncer son titre, et, pour ne pas sortir du sujet qui nous occupe, nous dirons qu'il renferme des vues capables d'influer aussi sur la direction des idées, et de concourir efficacement aux progrès de la société et à l'amélioration des gouvernemens. La preuve de cette vérité ne se fera pas attendre.

Nous disons qu'un des meilleurs moyens de faire faire des progrès à la société, c'est de réduire les consommations publiques. Mais le moyen d'opérer cette réduction? le moyen d'obtenir que les gouvernemens dépensent peu? le moyen de réformer les abus d'un mauvais gouvernement, en un mot ? grande question que M. Say n'agite point dans son petit volume, mais sur laquelle une de ses pensées nous paraît jeter un trait éclatant de lumière.

Est-ce par des sermons, des remontrances, [100] de justes et sévères censures qu'on peut réprimer les excès du pouvoir? Est-ce par des menaces, des révoltes, des révolutions? Est-ce enfin par des institutions destinées à le contenir dans de certaines limites? On ne s'est guère avisé jusqu'ici d'autres expédiens. Le vulgaire des réformateurs, semblables à l'animal stupide qui ne sait que mordre la pierre dont il est atteint, ne connaissent de meilleur moyen de corriger les gouvernemens tyranniques, que de les culbuter et de les remplacer par d'autres. Les hommes honnêtes et modérés repoussent ces moyens violens, et croient que pour faire cesser leurs excès, il suffit de leur en représenter les dangereuses conséquences. Une classe d'hommes plus habiles redoutent les révolutions, et croient faiblement au pouvoir des remontrances; mais ils ont une confiance sans bornes dans les constitutions; les constitutions sont leur grand cheval de bataille, et ils ne doutent pas que pour mettre un gouvernement dans l'impuissance de nuire, il ne suffise d'ériger autour de lui, sous le nom de chambres, de jury, de conseils municipaux, des espèces de redoutes dans lesquelles le public pourra placer des gens pour le défendre. Les uns et les autres ont cela de commun que, [101] pour corriger le pouvoir, ils ne cherchent à agir que sur le pouvoir; chacun agit à sa manière ; mais tous dirigent leur action du même côté.

Est-ce là une tendance bien éclairée ? Est-ce sur les gouvernemens qu'il est le plus convenable d'agir pour corriger les abus des gouvernemens? Voilà la question sur laquelle la pensée que nous avons annoncée nous parait répandre une vive lumière. L'auteur recherche en quoi consiste la moralité des ouvrages de littérature.

« Lorsque je demande, dit-il, ce qu'on entend par un ouvrage moral, on me répond que c'est un ouvrage où le vice finit par être puni, et où la vertu reçoit sa récompense. Cela paraît tout simple. Si pourtant cela ne corrigeait personne, où serait la moralité? Voyez, observez, réfléchissez. Le méchant qui est dans le monde, que pense-t-il en voyant punir son confrère le méchant du théâtre ? Selon lui, c'est un sot que l'auteur a fait tomber dans un piège pour complaire à la bonhomie du public. S'il gagne quelque chose à cet exemple, c'est un peu plus d'adresse pour éviter de devenir lui-même la fable des honnêtes gens. Quant aux personnes vertueuses, [102] lorsqu'elles voient, à la fin d'un cinquième acte, la vertu récompensée et le vice confondu, elles disent en soupirant: C’est bon pour le théâtre, ou bien pour les romans; mais ce nest pas là l'histoire du monde. Et le monde va comme devant.

» Il est satisfaisant, j'en conviens, de voir, même en fiction, les méchans punis : cela réjouit l'âme; et j'aime l'auteur qui me procure cette petite satisfaction, à défaut d'une plus réelle; mais un littérateur habile, pour être vraiment moral, sait employer d'autres moyens.

» Voyez Molière! s'il a gâté le métier des tartufes, pensez-vous que ce soit en faisant intervenir, au dénoûment, le grand monarque qui vient, comme un dieu dans une machine, retirer la famille d'Orgon du désastre où, l'a plongée l'imbécillité de son chef? Si l'échafaud n'effraie pas les voleurs, pense-t-on que les lettres de cachet feront trembler les hypocrites? Ils savent que cette foudre ne va pas mieux que l'autre choisir de préférence les méchans. Qui peut se vanter d'avoir rencontré des hypocrites corrigés ? Où trouverons-nous donc la moralité, l'utilité ? Le voici. On ne corrige pas les tartufes, mais on diminue le nombre des Orgons. Les jourbes disparaissent comme toute [103] espèce de vermine faute d'alimens. Croyez-vous qu'il y eût moins de tartufes qu'autrefois, si nous avions autant d'imbéciles pour les écouter?

» Or, c'est une utilité morale bien réelle que celle qui résulte du chef-d'œuvre de Molière. Et remarquez que l'utilité morale ici ne vient point de ce que le méchant est puni; au contraire, il ne le serait pas que la moralité serait bien plus forte. Qui peut nier que si Tartufe en venait à ses fins, s'il réussissait à dépouiller la famille d'Orgon, à le mettre lui-même hors de sa propre maison, et à les faire tous passer pour des calomniateurs, on ne sentît bien autrement encore le danger de laisser s'impatroniser un directeur dans sa famille ? Molière n'a pas préféré ce dénoûment, non qu'il le jugeât immoral, mais probablement parce qu'il craignait que tout cela ne sortît du genre de la comédie; et la preuve, c'est qu'il a fait un dénoûment de cette espèce dans une autre comédie où l'offense n'a pas un caractère aussi grave. Il a humilié le bon sens et le bon droit; il a fait triompher le vice et l'imposture : George Dandin demande pardon à sa femme infidèle de l'avoir soupçonnée, quand ce ne sont plus seulement des soupçons qu'il a, mais une [104] certitude. Aussi cria-t-on à l'immoralité, et l’on ne fit pas attention que si Molière eût confondu la femme au lieu du mari, sa pièce ne montrait plus les inconvéniens des mariages disproportionnés et n'avait plus aucune moralité.

» Le même reproche fut fait à Voltaire au sujet de Mahomet. Les fanatiques avaient de bonnes raisons pour vouloir que Mahomet fût puni. Lorsqu'un filou est pris sur le fait et parvient à s'échapper, les autres ont soin de crier au voleur !

» Bien fou donc qui s'imagine, par des livres, corriger les hypocrites, les femmes galantes, les conquérans, les usurpateurs, les fourbes qui travaillent en petit, ou ceux qui travaillent en grand. Mais, par des livres, ce dont on peut se flatter, c'est de corriger leurs dupes. »

Voilà la pensée. On ne corrige pas les tartufes ; mais on diminue le nombre des Orgons. On ne corrige point les fourbes; mais on peut se flatter de corriger leurs dupes. Corrige-t-on les mauvais gouvernemens? Est-ce attaquer l'arbitraire dans son principe que de l'attaquer dans les gouvernemens? Est-ce travailler à déraciner l'arbitraire que de faire changer le pouvoir de mains, ou de le faire changer [105] de formes? Ce sont là, avons-nous dit, les grands moyens de répression en usage. Qu'on juge maintenant de leur suffisance. On n'a qu'une demande à se faire pour cela : y a-t-il un Orgon de moins dans un pays après qu'il a changé de chefs, ou que son gouvernement a changé de formes? S'il s'y trouve le même nombre d'imbéciles, qu'est-ce qui empêche que le nouveau chef ne se conduise aussi mal que le dernier? Qu'est-ce qui empêche que les nouvelles formes de gouvernement ne servent, comme les précédentes, à piller, à fouler le pays?

Tel peuple crie, dans sa détresse : Oh! si nous avions un autre prince! si nous avions François au lieu de Guillaume.! Hélas! en seriez-vous plus éclairé? Que les amis de François parlent ainsi, qu'ils préfèrent son règne à celui de Guillaume, cela est fort simple; si François régnait, ils régneraient avec lui, et prendraient part à la curée. Mais vous, misérable troupeau, dont le destin est d'être la proie de tous les partis, que gagnerez-vous à un changement de chef? Si vous ne savez vous défendre contre le gouvernement de Guillaume, comment vous défendrez-vous contre celui de François? Encore une fois, serez-vous plus [106] éclaire sous François que sous Guillaume? François sera moins méchant, dites-vous; et si son héritier l'est davantage, changerez-vous son héritier? Ce sera donc à n'en pas finir? Ne voyez-vous pas qu'il serait bien plus court de commencer par vous changer vous-même? Peuple d'Orgons, déniaisez-vous, et vous n'aurez pas besoin de changer de maîtres. Tâchez de comprendre vos vrais intérêts, et les hommes qui vivent, et ceux qui voudraient vivre de votre sottise, disparaîtront à mesure : les fourbes, les ambitieux disparaissent, comme toute espèce de vermine, faute dalimens.

Qu'on place à la tête des États-Unis, avec l'autorité la plus illimitée, tel grand, tel habile despote qu'on voudra; que ce despote veuille traiter les Américains comme il pourrait faire un peuple d'Europe; qu'il veuille avoir à sa discrétion l'argent et les hommes du pays. Pensez-vous que l'Amérique aura besoin de s'insurger pour empêcher cet extravagant de réaliser ses projets de domination? Ce serait lui faire une grande injure. Ces projets, contre lesquels un petit nombre d'hommes sensés s'élèveraient vainement chez vous, tomberont d'eux mêmes chez elle. C'est que tout y manque pour l'exécution; c'est que, faute de matériaux, il ne s’y [107] trouvera point d'artistes; c'est qu'à défaut de gens capables de sentir le prix d'un gouvernement pareil à celui que cet homme voudrait établir, il n'y en aura point qui veuillent risquer de lui prêter main-forte ; c'est, en un mot, que cet homme ne sera soutenu par personne, et que le despote le plus obstiné sera forcé de se conduire là comme le plus sincère ami de la liberté. Le moyen que vous ayez de bons chefs, ce n'est donc pas d'en changer jusqu'à ce que vous en trouviez de tels; mais d'acquérir assez de sens, de modération, de fermeté, pour réduire les plus mauvais à l'impuissance de vous nuire.

Vous vous êtes plaint quelquefois que vos princes n'avaient rien de populaire. C'étaient là des regrets bien aveugles ou bien superflus. De deux choses l'une: ou vous manquez de lumières, ou vous connaissez vos vrais intérêts. Si vous manquez de lumières, c'est un grand bonheur pour vous que vos maîtres n'aient point de popularité; car alors ils ne peuvent pas abuser de vos passions à la faveur de votre ignorance : ils vous rendent le service de vous tenir en garde contre eux-mêmes; ils vous dessillent eux-mêmes les yeux; ils vous forcent de reconnaître ce qui vous intéresse. Si, au [108] contraire, vous êtes instruit de vos vrais intérêts, que vous importe qu'ils ne soient pas populaires ? Ne faudra-t-il pas alors qu'ils se conduisent comme s'ils l'étaient? L'essentiel, encore une fois, ce n'est pas que vos chefs ne soient pas des tartufes, mais qu'ils ne commandent pas à des Orgons : c'est à vous de les faire ce que vous avez intérêt qu'ils soient.

S'il ne suffit pas, pour devenir libre, de se donner de nouveaux chefs, il ne suffit pas davantage de se donner de nouvelles institutions. Rien ne peut tenir lieu à un peuple de lumières et de fermeté. Les mêmes formes de gouvernement, qui sont une sauvegarde pour une nation judicieuse et forte, ne seront qu'un moyen de plus d'accabler une nation ignorante et faible. Ce que vous appelez le palladium de vos libertés, peut n'être que le gage de votre servitude : une garantie n'en est une que pour celui qu'elle sert à protéger. Que vous importe d'avoir une forteresse, si vous ne savez en défendre l'entrée à l'ennemi, ou si les gens que vous y placez pour vous défendre ont la maladresse ou l'infamie de tirer sur vous? Mieux vaudrait pour le pays que la citadelle fut rasée: les habitans auraient moins d'insultes à souffrir. Quel mauvais gouvernement oserait, en [109] l’absence de toute représentation nationale, ce qu'il peut oser derrière une représentation nationale dont il est le maître?

Quand, après avoir changé et rechangé la forme de votre gouvernement, vous vous trouvez encore opprimé, l'on vous voit toujours prêt à dire : C’est' que l'institution est mauvaise; si vous remontiez à la vraie source du mal, vous diriez peut-être : C'est que le bon sens est encore chez nous en minorité. Il est des pays qu'aucune institution ne saurait préserver de la servitude ; tel serait celui qui ne comprendrait pas la vraie liberté, qui n'en connaîtrait pas le prix, ou qui n'aurait pas le cœur de la défendre. Que servirait d'avoir des assemblées bien constituées, à qui ne pourrait y envoyer que des hommes ignorans, avides, turbulens ou pusillanimes? Que servirait d'avoir une bonne loi d'élections à qui serait incapable de faire de bons choix? Il est incontestablement des cas où un peuple se trouve au-dessous de ses institutions ; et ne peut accuser que lui-même du mal qu'il leur impute. Nous pourrions peut-être à quelques égards, nous citer pour exemple. Qui oserait affirmer que nous tirons de nos lois constitutionnelles tout le bien qu'il serait possible d'en tirer, sans même y faire le moindre [110] changement? Qui oserait dire qu'avec plus de lumières et une meilleure tenue, nous ne pourrions pas trouver dans ces lois, telles qu'elles sont, le moyen d'être plus libres sans être moins tranquilles? Profitons-nous de la loi des élections, par exemple, autant qu'il serait en notre pouvoir? Tous les choix, aux dernières élections, ont-ils été aussi éclairés qu'ils auraient pu l'être? On reproche au législateur d'avoir trop restreint le cercle dans lequel il serait permis de choisir. Mais est-ce au législateur qu'il convient de faire des reproches, quand on voit que les électeurs ne profitent pas même de la latitude qu'il leur a donnée? quand on voit que, sur une cinquantaine de députés qu'ils avaient à élire l'année dernière, ils ont choisi trente-cinq des présidens que leur avaient envoyés les ministres, et de plus un certain nombre d'agens salariés et révocables du gouvernement. Ne paraît-il pas évident que ce sont ici les électeurs qui sont en faute, et que la loi, malgré ses imperfections, se trouve en avant des lumières communes?[2]

[111]

Enfin, vous convenez quelquefois de la bonté des institutions; mais comme il est impossible [112] que vous ayez tort, vous accusez le gouvernement de ne pas les respecter. La charte renferme de bonnes dispositions, dites-vous; mais les ministres ne l'exécutent pas. Qu'est-ce à dire? sont-ce les ministres qui la violent, ou vous qui ne savez pas la défendre? sont-ce les ministres qui acceptent les lois d'exception? sont-ce les ministres qui passent à l'ordre du jour sur toutes les réclamations des citoyens contre des actes arbitraires? Ce sont les amis du ministère, dites-vous. Mais ces amis du ministère ont-ils été choisis par les ministres? Vous vous étonnez que les lois n'offrent pas toutes les garanties qu'on pourrait en attendre; c'est du contraire qu'il faudrait vous étonner. Si vous faites des mauvaises élections, il est de force que les chambres soient mauvaises; si les chambres sont mauvaises, il est tout simple que les ministres ne se gênent pas pour violer la charte. C'est vous qui les excitez à l'arbitraire; vous les tentez par de mauvais choix, et le mal que vous leur imputez est votre ouvrage. Choisissez mieux vos défenseurs, et l'on respectera mieux vos libertés.

Mais enfin, dites-vous, quand nos choix seraient mauvais, cela justifierait-il le ministère? Pourquoi proposer des lois d'exception ? [113] Nous voulons la charte, toute la charte; le roi l'a jurée; les ministres doivent nous en faire jouir. Quelle candeur , quelle innocence dans ces plaintes! Les ministres doivent vous faire jouir de la charte ! mais si vous attendez la liberté des ministres, pourquoi prendre des sûretés contre eux? pourquoi des chartes? pourquoi des garanties? Vous leur faites outrage; vous perdez à leurs yeux le mérite de votre confiance ; vous les intéressez à la trahir. Si, au contraire, vous croyez avoir besoin de garanties contre leur pouvoir, comment attendez-vous d'eux la liberté? Ne croyez-vous pas qu'ils vont faire valoir pour vous vos moyens de défense, et se servir de vos armes contre eux-mêmes? Il n'y a pas de milieu, vous voulez être libres par la faveur du ministère, ou malgré toute opposition possible de sa part. Dans le premier cas, vous n'avez pas besoin de charte; dans le second, c'est à vous de la faire observer, et il est peu sensé de vous plaindre qu'elle est imparfaite ou mal exécutée. Du moment que vous prenez les armes contre l'arbitraire, du moment que vous vous mettez en état de défense contre le pouvoir ministériel, vous ne devez attendre la liberté que de vous-mêmes. Il est tout simple que des ministres, et [114] surtout des ministres que vous manifestez la prétention de contenir, veuillent avoir à leur disposition le plus d'hommes, le plus d'argent, le plus de pouvoir possible. Il est tout simple qu'au lieu de fortifier vos garanties, ils travaillent à les détruire; qu'au lieu de les faire servir à la défense de vos libertés, ils les emploient à l'accroissement de leur puissance. C'est à vous de déjouer ces desseins, d'empêcher qu'on ne se serve de vos armes pour vous battre, de tirer de vos lois le bien que vous en attendez. Quand vous aurez la force de vous en approprier l'usage, vous ne prétendrez plus que c'est aux ministres de vous en faire jouir : jusque-là, il parait au moins inutile d'élever cette prétention.

C'est donc une bien pauvre, ou du moins une bien insuffisante tactique, que de s'attaquer aux gouvernemens pour devenir libre. Malheur aux amis de la liberté qui seraient réduits à attendre son salut d'un changement de ministres! malheur à ceux qui voudraient tout devoir aux qualités des princes ou à la nature des institutions, et rien à la raison publique. Les gouvernemens sont peu de chose par eux-mêmes. Les hommes et les institutions n'ont de force que dans la masse qui se trouve [115] derrière, et qui leur sert de point d'appui. Les mêmes lois peuvent, selon la différence des pays, servir à fonder la plus douce liberté et le despotisme le plus intolérable. Nous revenons à dire que nos institutions, tout imparfaites qu'elles sont, nous paraîtraient beaucoup meilleures si nous étions plus capables d'en tirer parti ; que nous aurions toujours de bons chefs si nous avions de bons ministres, que nous aurions de bons ministres si nous avions de bonnes chambres, que nous aurions de bonnes chambres si nous avions de bons colléges électoraux; c'est-à-dire, si la masse des électeurs étaient éclairés, si, à la modération par laquelle ils se sont déjà si honorablement distingués, ils joignaient tous le discernement et la fermeté nécessaires pour résister aux insinuations des partis, et ne jamais faire que de bons choix. L'essentiel, pour que nous ayons de bonnes chambres, de bons ministres, de bons chefs, un bon gouvernement, c'est donc que nous ayons de bons électeurs, c'est-à-dire, que le corps de la nation connaisse ses vrais intérêts, et soit en état de les défendre.

« Voilà pourquoi, continue M. Say, dont nous reprenons la pensée sur la moralité des écrits, voilà pourquoi tout ouvrage, [116] quelles que soient sa forme et sa couleur, qu'on l'ait fait pour la scène ou pour la méditation, est utile du moment qu'il fait bien connaître l'homme et la société, du moment qu'il arrache les masques sous lesquels se déguisent le mauvais sens et les mauvaises intentions, du moment, en un mot, qu'il donne de la sagacité à la droiture. La résignation est une vertu de brebis. La vertu des hommes doit être telle qu'il convient à une créature intelligente. Je me la représente, comme faisaient les anciens, sous les traits de Minerve : noble, sereine, douce, mais armée. »

Si c'est là ce qui constitue la moralité des écrits, ce sont incontestablement des livres très-moraux que ceux de M. Say. Il en est peu où la raison puisse prendre de meilleures armes, où les hommes sincères puissent mieux acquérir cette sagacité si nécessaire à la bonne foi, cette intelligence de leurs vrais intérêts seule capable de les affranchir de l'empire des intrigans et des fourbes de toute espèce. On a déjà pu juger, par ce que nous en avons rapporté ailleurs ( dans le tome 6 ), combien le petit volume arrache de masques et met de choses à nu, combien il renferme de notions justes et utiles. Il nous est aisé de confirmer, [117] par de nouvelles citations, la bonne opinion qu'on doit avoir conçue de sa moralité.

— « On se plaint de l'issue de tel événement : La fortune a trahi nos efforts, dit-on; c'est-à-dire, en d'autres termes : il est arrivé un résultat sans cause. Pourquoi ces plaintes d'enfant? ce qui est arrivé devait arriver. Votre maison s'est écroulée; c'est qu'elle était mal étayée. Le peuple a couvert d'acclamations ses oppresseurs; c'est parce que le peuple n'est pas assez avancé pour comprendre ses véritables intérêts. La fortune n'a rien à faire là dedans: au lieu de l'accuser, travaillez les causes, l'effet suivra. Tel est le rôle qui convient à des créatures raisonnables.

— « Je le vois d'ici, Damoclète : Vous êtes fier de l'éducation que vous donnez à vos enfans; vous vous applaudissez de leur avoir caché la perversité des hommes; vous croyez les avoir laissés purs : j'ai peur … — De quoi ? — Que vous ne les ayez rendus niais.— Oh!,…— Daignez m'écouter. Savez-vous ce qui donne tant d'avantage à l'intrigue pour surprendre la bonne foi des honnêtes gens? C'est votre principe d'éducation. Je vous estime heureux même si quelqu'un de vos enfans se trouve avoir un caractère assez ferme pour ne pas dire à une [118] certaine époque : Mon père a fait de moi une dupe. Je croyais à la bonne foi; il n’y en a point sur la terre. Bien fou qui ne fait pas comme les autres.

» Ne vous méprenez pas sur mes intentions, Damoclète. Je ne vous dis pas: Enseignez le vice, mais ne le dissimulez pas. Présenté de cette manière, le vice n'offre qu'un spectacle salutaire, qui montre les difformités en même temps que les attraits, et les suites déplorables a côté des préliminaires séduisans. S'agit-il de vos rapports avec le monde, vous gardez pour vous seul vos soupçons et vos découvertes ; vous déguisez à vos enfans les précautions que vous êtes forcé de prendre contre la mauvaise foi, la cupidité, la corruption des hommes! Mais, dites-le-moi, Damoclète, quelle science plus utile et d'une plus constante application pouvez-vous donc leur enseigner?

» Je conviens que cette méthode vous oblige vous-même à marcher dans le sentier de la vertu : sans cela vous vous dénonceriez au mépris de vos élèves : raison de plus pour vous la recommander. »

Nous ne ferons pas de réflexions sur ces deux pensées ; elles rentrent dans le sens de celle que nous avons commentée, et nous ne les rapportons [119] que comme une confirmation de la grande vérité que celle-ci renferme. On voit que M. Say fait consister la moralité de l'éducation, comme celle des livres, moins encore à prêcher la vertu qu'à mettre en garde contre le vice. Sa maxime la plus constante est que le meilleur moyen de rendre les hommes bons, c'est de les rendre judicieux, de les éclairer sur leurs vrais intérêts.

« Vous vous plaignez que chacun n'écoute que ses intérêts, dit-il : Je m'afflige du contraire. Connaître ses vrais intérêts est le commencement de la morale : agir en conséquence en est le complément. »

« Un des plus heureux effets que l'humanité puisse éprouver du progrès des lumières, dit-il encore,.est de pouvoir apprécier plus justement à quoi se montent les déplorables succès du vice et du crime. Un calcul superficiel peut faire penser qu'il y a quelque avantage à manquer à sa parole, quand on peut le faire impunément, à opprimer la faiblesse et le bon droit, etc. On voit en effet quelques hommes parvenus au faîte de la fortune par ces honteux moyens; mais ici, comme dans beaucoup de cas, on est frappé des succès parce qu'ils sautent aux yeux, et on ne l'est pas des revers, des [120] inconvéniens, des maux qui ont accompagné une conduite coupable. Les punitions éclatantes, qui malheureusement sont rares, ont seules frappé; les punitions secrètes ont échappé sans être moins réelles. Or, une plus juste appréciation des choses montre, je crois, que tout compensé, et si l'on met en ligne de compte à la charge d'une mauvaise conduite, outre les punitions directes qu'elle attire quelquefois, la mauvaise réputation qu'elle donne, les portes qu'elle ferme à la fortune et aux jouissances de la vie, les soucis, les tracas qu'il faut se donner pour cacher ce qui ne doit pas être su, défendre ce qui peut être attaqué, se mettre à couvert enfin, et les risques de ne pas réussir ; si l'on compare, si l'on pèse en somme tous les heureux et tous les mauvais résultats du vice et du crime, je n'hésite pas à prédire que l'on trouvera le bassin des avantages plus léger, beaucoup plus léger que l'autre, et qu'à tout prendre, lorsqu'on s'engage dans un mauvais sentier, on fait tout simplement un mauvais calcul. Il y a plus de chances défavorables dans le vice que dans la vertu, »

On sent que, plaçant ainsi dans le bon sens les plus sûres garanties de la vertu et du bonheur des hommes, étant convaincu qu'ils se conduisent [121] d'autant mieux et sont d'autant plus heureux qu'ils peuvent moins s'abuser ou être abusés, M. Say doit attacher un fort grand prix à la liberté de la presse, qui les met à même d'entendre le pour et le contre sur toute espèce de questions, et de prendre ainsi, dans tous les cas, le parti le plus conforme à leurs vrais intérêts.

« Il n'est, dit-il, si mauvaise cause en faveur de laquelle on ne puisse apporter quelque bonne raison. On a fait l'éloge de la folie, de la fièvre, de Néron. Et dans tous ces éloges, il se trouve des raisons en vérité très-plausibles. S'ensuit-il que ce soient de bonnes choses? Nullement. Et pourquoi? C'est qu'il y a des raisons encore meilleures à donner contre elles. Pour juger une question toute entière, il faut donc écouter non-seulement le Pour, mais le Contre.

» Or, dans les questions politiques, le public, qui est le juge suprême puisqu'il s'agit de lui-même et de ses intérêts, entend-il le pour et le contre ? Jamais. Ses conseillers s'arrachent la parole; et, pour avoir toujours raison, le plus adroit, ou le mieux soutenu, ôte la parole à ses adversaires. Et ce pauvre public auquel on a persuadé que, par amour pour la paix, il ne fallait entendre qu'une seule bande d'avocats, comment prendrait-il un parti [122] éclairé ? Il commet des sottises; on le fait interdire; et cela s'appelle Gouverner. »

On voit, par cette pensée, que c'est surtout pour le public, pour les hommes qui lisent, que M. Say regarde la liberté de la presse comme nécessaire. C'est une vérité trop peu sentie, très-peu sentie et contre laquelle même il existe un préjugé fort accrédité, quoique fort sot et fort ridicule. On peut remarquer que le gros du public, le ventre de la nation, prend en général assez peu d'intérêt aux débats sur la liberté de la presse. Pourquoi cela? c'est qu'il ne se croit pas intéressé dans la querelle; c'est qu'il a la bêtise de la regarder comme une affaire particulière entre les écrivains et le gouvernement. M. Say signale cette erreur et la réfute en quelques mots ; c'est une de ses pensées les plus judicieuses.

« Je ne sais pourquoi, dit-il, l'on représente toujours la liberté de la presse comme un avantage au profit de ceux qui écrivent. Ce n'est pas cela du tout. Elle est entièrement dans l'intérêt de ceux qui lisent; car ce sont eux qu'il s'agit de tromper ou de détromper. »

Ce qui distingue le plus éminemment le petit volume ; c'est la justesse des aperçus. C'est là le premier mérite de toutes les productions [123] de M. Say. Il n'est point d'esprit qui se laisse moins imposer par les apparences et qui aille plus droit à la vérité. Il se plaît à déchirer les masques, à dépouiller les charlatans de leur oripeau, comme il parle lui-même, et à mettre les hommes et les choses à nu pour les faire apprécier à leur véritable valeur. Nous pourrions justifier cette remarque par bien des exemples; nous pourrions en citer de piquans; nous pourrions en citer de terribles. Quoi de plus terrible, par exemple, que cet éloge de Henri IV par Sully, que cite M. Say: « J'aurais voulu que ce prince....; » mais est-il convenable de citer une citation? Toutes réflexions faites, nous ne rapporterons pas l'éloge de Henri IV. Voici autre chose.

« Depuis longues années, par de profondes méditations, je cherche en vain à découvrir lequel des deux est le plus ridicule, d'un grand benêt, dans la force de l'âge, marmottant à deux genoux ses patenôtres ; ou bien d'un bourgeois affublé d'une peau d'ours sur la tête, d'une moustache postiche, et se croyant un sapeur.

— » Tatouage[3] des sauvages de la mer du [124] sud, moustaches des sauvages d'Europe ! même chose. Hélas! quel homme est en droit de se moquer d'un autre!

— » Entre l'enfant qui bat le tambour qu'on vient de lui acheter à la foire, et l'officier qui, fier des épaulettes dont il a reçu le brevet, promène à pied ses éperons, en usant le pavé du bout de son sabre, la différence n'est pas si grande que beaucoup de gens voudraient nous le faire croire.

—» Le public aime un peu les gens qui sont bons, et beaucoup ceux qui pourraient être médians et qui ne le sont pas. Donnez-moi le pouvoir de faire du mal : en me croisant les bras, je vais me faire adorer; on fera peut-être un poème épique en mon honneur.

—«Une multitude de personnes, et même des personnages, parce qu'ils sont au-dessous de tout, ne peuvent jamais comprendre qu'on soit au-dessus d'une bassesse.

— » Qu'est-ce qu'un charlatan? C'est un homme qui monte sur des tréteaux pour vanter sa drogue … —Monsieur, cette pensée est trop hardie ; il faut la supprimer : on va dire que par tréteaux, vous entendez une académie, une tribune, une chaire, un trône, toute espèce de [125] situation élevée d'où l'on peut parler haut et se faire entendre au loin.

— » Je veux devenir un homme de bonne compagnie. Voyons ; que faut-il faire?— Amuser, ne blesser aucun amour-propre.—Que faut-il de plus? —Rien. — Vous plaisantez. — Nullement. — Un homme qui aurait malversé dans ses emplois, qui aurait sacrifié son pays par un vil intérêt, n'est certainement pas admis dans la bonne compagnie. — Pourquoi non, s'il a eu l'adresse d'esquiver le scandale, s'il est riche, s'il a des titres, des plaques, des rubans ?. ... — Puisqu'il en est ainsi, vive la bonne compagnie pour faire le bonheur d'un pays!

— » N'avez-vous point de bonnes raisons à donner contre votre antagoniste, tirez-vous d'affaire par un trait d'esprit (si vous pouvez). Avez-vous tort, donnez-lui un ridicule. — Voilà un précepte abominable. — J'en conviens. — Pourquoi le donnez-vous?— Parce qu'il n'apprendra rien aux pervers, et qu'il émousse leurs armes. »

Il est temps de s'arrêter. En voilà assez pour faire connaître le petit volume; il nous faudrait le transcrire, si nous voulions rapporter tout ce qu'il renferme de juste et de piquant. [126] Nous aimons mieux renvoyer à l'ouvrage même. Nous croyons du reste fort inutile d'en recommander la lecture; le nom de l'auteur est une recommandation assez forte, et la rapidité avec laquelle la première édition a été enlevée répond assez de l'empressement avec lequel le public recevra celle-ci. Nous nous bornerons à dire que l'auteur y a fait des changemens heureux et plusieurs additions importantes.

D…..R

 


 

Endnotes

[1] De l'imprimerie de Didot l'aîné. — Se vend à Paris, chez Déterville, libraire, rue Hautefeuille, N°. 8. Prix 1 fr. 80 cent.

[2] On ne devinerait certainement pas combien les anciens et les nouveaux collèges électoraux ont choisi de députés parmi les agens du gouvernement; combien,  dans une mesquine représentation de deux cent quarante ou deux, cent cinquante membres, il se trouve d'hommes dépendant par leurs fonctions du ministère. Il y en a plus de vingt, plus de quarante, plus de quatre-vingts, plus de cent: il y en a cent vingt; et encore ne comptons-nous pas les juges, les hommes décorés, titrés, pensionnés, qui se trouvaient en dehors de ce nombre, et que nous considérons comme des hommes indépendans par leur position. Assurément, nous sommes loin de vouloir rien insinuer contre le caractère personnel des cent vingt fonctionnaires amovibles qui se trouvent à la chambre des députés. Mais est-il bien sage, nous le demandons encore une fois, de remettre le contrôle de l'administration aux subordonnés de l'administration? Est-il convenable de confier à des préfets la surveillance du ministère de l'intérieur, d'envoyer des receveurs généraux pour vérifier les comptes du ministre des finances, de charger des colonels et des procureurs du roi de poursuivre, s'il y a lieu, les ministres de la guerre ou de la justice ? Le bon sens montre que cela est absurde; le fait le prouve encore mieux peut-être. Qu'on prenne la peine d'examiner comment la chambre est divisée, quels sont les hommes qui se trouvent derrière le banc des ministres, qui votent perpétuellement avec eux, qui crient impitoyablement l'ordre, du jour! à toutes les pétitions, et l'on verra l'avantage qu'il y a de choisir ses députés parmi les hommes du ministère.

[3] Ce sont ces peintures baroques dont se barbouillent les sauvages.