Charles Comte, [CR] “L'Industrie, ou Discussion politiques, morales et philosophiques (Saint-Simon)" (May, 1817)

Charles Comte (1782-1837)  

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

See also the others works by Charles Comte and Charles Dunoyer.

 

Source

[CC??], [CR] “L'Industrie, ou Discussion politiques, morales et philosophiques, dans l'intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendans (par Saint-Simon), T. 2, (T.3, May 1817), pp. 193-208.

Editor's note: CC quotes a lot from Saint-Simon's book but I am putting this in the antholgy because CC comments on the passages he quotes are quite revealing of the development of his own thiknking on these matters. Footnotes have been placed inline.

 


 

Text

[193]

L'Industrie ou Discussions politiques, morales et philosophiques, dans l'intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendant ; par H- Saint-Simon , tome 2 (vol. in-8°. de 346 pages.)

Nous avons rapporté dans notre précédent Volume le prospectus de l'ouvrage de M. de Saint-Simon. L'auteur avait donné, dans ce prospectus, une idée générale de l'objet de son entreprise. Dans le volume qu'il vient de publier, cet objet est déterminé d'une manière plus précise.

« Les hommes livrés à l'industrie , et dont la collection forme la société légitime , n'ont qu'un besoin , c'est la liberté; la liberté pour eux, c'est de n'être point gênés dans le travail de la production , c'est de n'être pas troublés dans la jouissance de ce qu'ils ont produit.

» L'homme est naturellement paresseux : un homme qui travaille n'est déterminé à vaincre sa paresse que par la nécessité de répondre à ses besoins, ou par le désir de se procurer des [194] jouissances. Il ne travaille donc que dans la mesure de ses besoins et de ses désirs. Mais, dans l'état de société, les jouissances qui le sollicitent étant très-multipliées , et beaucoup plus nombreuses que ses facultés productives , il est forcé de donner une partie de ce qu'il peut produire en échange de certains produits qu'il n'obtient pas directement de son travail. Cette nécessité ( qui s'est convertie pour lui en une source de richesses) est la seule qu'il reconnaisse , la seule à laquelle il consente de se soumettre; c'est-à-dire que l'homme industrieux , comme tel, n'est véritablement soumis qu'à une seule loi, celle de son intérêt.

» Mais il y a autour de la société , il circule dans son sein une foule d'hommes parasites qui, ayant les mêmes besoins et les mêmes désirs que les autres, n'ont pu surmonter comme eux la paresse naturelle à tous, et qui, ne produisant rien, consomment ou veulent consommer comme s'ils produisaient. Il est de force que ces gens-là vivent sur le travail d'autrui , soit qu'on leur donne , soit qu'ils prennent : en un mot, il y a des fainéaus , c'est-à-dire des voleurs.

» Les travailleurs sont donc exposés à se voir privés de la jouissance qui est le but de leur travail. De ce danger résulte pour eux un besoin [195] d'une espèce particulière, lequel donne lieu à un travail distinct des autres , celui qui a pour but d'empêcher la violence dont l'oisiveté menace l'industrie.

» Aux yeux de l'industrie, un gouvernement n'est autre chose que l'entreprise de ce travail. La matière du gouvernement , c'est l'oisiveté ; dès que son action s'exerce hors de là, elle devient arbitraire , usurpatrice , et par conséquent tyrannique et ennemie de l'industrie; il fait le mal que son but est d'empêcher. Puisqu'on travaille pour soi, on veut travailler à sa manièretoute les fois qu'une action supérieure et étràngère à l'industrie se mêle à la sienne et prétend la gouverner, elle l'entrave et la décourage. L'action de l'industrie cesse dans la proportion exacte de la gêne qu'elle éprouve;[FN: Si l'industrie a fait depuis l'affranchissement des communes de continuels progrès , c'est que l'action du gouvernement s'est de moins en moins exercée sur elle.] si les industrieux sont susceptibles d'être gouvernés, ce n'est pas en tant qu'industrieux.

» L action du gouvernement étant jugée un service utile à la société, la société doit consentir à payer ce service. Pendant que le navigateur parcourt les mers, il ne cultive pas les champs; [196] pendant que celui qui gouverne veille à la sûreté de ceux qui produisent, il ne produit pas. Mais le navigateur, aussi bien que celui qui gouverne, paient leur part de travail utile. L'un et l'autre méritent leur part dans les produits; celle du navigateur s'apprécie facilement par la concurrence; celle du gouvernement, que doit-elle être?

» La solution de ce problême est sur toute chose ce qui intéresse l'industrie; car , si elle ne fait pas les sacrifices nécessaires , le service languira , et la sûreté dont elle a besoin ne sera pas complète. D'un autre côté, si, faute de données suffisantes pour apprécier la valeur du service , elle le paie beaucoup plus qu'il ne devrait l'être, il en résulte pour elle un double inconvénient. D'abord elle retire à ses occupations productives une partie des capitaux dont elles ont besoin pour prospérer; et, de l'autre, elle donne au gouvernement un excès de force et d'action qui ne peut manquer de s'étendre jusqu'à elle , et de s'exercer à son détriment.

» L'industrie a besoin d'être gouvernée le moins possible, et pour cela il n'est qu'un moyen, c'est d'en venir à être gouvernée au meilleur marché possible.

» Qu'on cherche dans la société industrielle [197] l'homme de tous le moins pourvu d'intelligence, un homme dont les idées ne s'étendent pas audelà de sesaffaires domestiques, et après lui avoir appris que l'impôt levé sur lui est en grande partie le salaire d'un travail qui lui procure la tranquillité , et qui empêche qu'il ne soit inquiétédans la jouissance de ses propriétés, qu'on lui propose cette question.

» S'il était possible de faire que vous eussiez pour peu d'argent ces mêmes avantages que voua payez aujourd'hui si cher , ne seriez-vous pas de cet avis?

» Et s'il était clair à vos yeux qu'en payant votre tranquillité moins cher, elle dût par cela même se trouver plus complète et mieux assurée, ne seriez-vous pas encore plus partisan du bon marché?

» La réponse de cet homme n'est pas douteuse. Hé bien! lui dirons-nous, c'est-là ce que nous voulons vous procurer , c'est-là ce que toute la société désire naturellement comme vous, c'est-là ce que nous voulons avec elle, et c'est le but de notre entreprise. »

M. de Saint-Simon ayant déterminé l'objet qu'il se propose , continue en ces termes :

« Nous avons reconnu dans la société deux ordre de travailleurs, ceux qui produisent et ceux [198] qui veillent pour les producteurs. Il en est un troisième , ce sont les hommes qui font profession de méditer sur les intérêts généraux de la société , ce sont les écrivains politiques : or, c'est le gouvernement qui est en possession d'administrer les intérêts généraux de la société; c'est donc avec le gouvernement que cette classe de travailleurs se trouve naturellement en rapport.

» Cet état de choses serait sans inconvénient, si le gouvernement n'avait jamais recours aux écrivains que comme à un conseil dont les lumières peuvent éclairer et faciliter ses travaux. Mais il n'en est pas ainsi; l'intérêt des gouvernails n'est pas tout entier dans les intérêts généraux. Cet intérêt même, dans un sens , est, par sa nature, opposé à ceux-là;[FN: L'industrie veut être gouvernée le moins possible , et les gouvernans veulent nécessairement gouverner le plus possible; l'industrie veut payer le moins possible , et tes gouvernans veulent obtenir d'elle le plus d'argent possible.] aussi sont-ils bien moins empressés de consulter sur ce qui convient, et ce qu'il serait bon de faire , que de faire trouver bon ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils veulent faire : aussi les voit-on s'occuper et employer toute leur influence y non pas à faire parler l'opinion , mais à la former; à chercher [199] non des gens qui discutent, mais des gens qui approuvent et qui démontrent; non des conseillers , en un mot, mais des avocats.

» Les écrivains , dira-t-on , n'obéissent qu'à la conviction , ils ne servent que la vérité; la conduite du gouvernement n'est approuvée et secondée par eux que quand ils la jugent conforme aux intérêts des gouvernés. Nous le croyons, nous savons même que les écrivains qui travaillent sous les yeux et sous l'influence du gouvernement, ne travaillent ou du moins ne prétendent jamais travailler que pour la société toute entière, qu'ils se croiraient offensés qu'on pensât d'eux le contraire; mais nous n'en croyons pas moins que les gouvernés doivent sentir mieux que personne ce qu'ils veulent et ce qui les intéresse. Nous croyons que le gouvernement est un intermédiaire au moins inutile entre ceux qui méditent sur les intérêts publics et ceux qui les sentent; entre les écrivains politiques et l'industrie.

» La chose donc qui m'a paru nécessaire, c'était qu'il existât un moyen d'annuller cet intermédiaire inutile et souvent dangereux : c'était que des rapports s'établissent directement entre l'industrie et les gens de lettres : c'était que les hommes libéraux, les hommes qui pensent que [200] les gouvernemens n'existent que pour les gouvernés , non les gouvernés pour les gouverneinens, n'eussent pas à attendre comme unique retour d'un courage utile, que l'abandon et la misère : c'était, en un mot, de constituer, à côté de la faveur et de la protection du pouvoir, une protection et une faveur nationales.

» Or, c'est là ce que l'industrie a désiré en formant l'entreprise que nous déclarons , c'est avec ce caractère qu'elle s'y présente, c'est là ce qu'elle apporte comme sa mise personnelle dans l'association qu'elle propose , dans la ligue de l'industrie commerciale et manufacturière avec l'industrie littéraire et scientifique.

» L'industrie fait cause commune avec la littérature politique. »

Ce volume se compose de lettres de M. de Saint-Simon à un Américain , de l'extrait de plusieurs brochures sur les finances, d'un mémoire sur les progrès de l'industrie agricole et manufacturière en France depuis trente ans, par M. Chaptal, et d'un petit traité intitulé les trois époques : Époque révolutionnaire, Époque militaire , Époque industrielle.

Nous avons eu plusieurs fois occasion de faire observer que l'économie aurait une influence très-grande sur l'organisation sociale, et qu'elle [201] deviendrait la base de la politique. M. de Saint-Simon est tout-à-fait du même avis. Il pense qu'à cet égard M. Say a rendu les plus grands services.

» Son ouvrage, dit-il, renferme tout ce que l'économie politique a découvert et démontré jusqu'ici; c'est présentement le nec plus ultra de cette science en Europe.

» Voici, ce me semble , les vérités les plus générales , et par conséquent les plus importantes qui s'y trouvent dans un grand jour.

» 1°. Que la production des choses utiles est le seul but raisonnable et positif que les sociétés politiques puissent se proposer, et conséquemment que le principe respect à la production et aux producteurs est infiniment plus fécond que celui-ci : Respect à la propriété et aux propriétaires. [FN: Ces deux principes ont une grande analogie entre eux ; à proprement parler , le second n'est que la conséquence du premier.]

» 2°. Que le gouvernement nuit toujours à l'industrie quand il se mêle de ses affaires , qu'il lui nuit même dans les cas où il fait des efforts pour l'encourager; d'où il suit que les gouvernemens doivent borner leurs soins à préserver [202] l'industrie de toute espèce de troubles et de contrariétés.

» 3°. Que les producteurs de choses utiles étant les seuls hommes utiles à la société, ils sont les seuls qui doivent concourir à régler sa marche; qu'étant les seuls qui paient réellement l'impôt, ils sont les seuls qui aient droit de le voter.

» 4°. Que les hommes ne peuvent jamais diriger leurs forces les uns contre les autres sans nuire à la production; que les guerres donc , quel qu'en soit l'objet, nuisent à toute l'espèce humaine , qu'elles nuisent même aux peuples qui restent vainqueurs.

» 5°. Que le désir, de la part d'un peuple y d'exercer un monopole sur les autres peuples y est un désir mal conçu , parce que le monopole ne pouvant être acquis et maintenu que par la force , il doit diminuer la somme des productions du peuple même qui en jouit.

» 6°. Que la morale gagne de fait , en même temps que l'industrie se perfectionne; que cette observation est vraie , soit qu'on envisage les rapports de peuple à peuple, ou les relations entre les individus ; que par conséquent l'instruction à répandre, que les idées à fortifier dans tous les esprits, à rendre par-tout dominantes, sont celles [203) qui tendent à augmenter dans chacun l'activité à produire, et le respect pour la production d'autrui.

» 7°. Que toute l'espèce humaine ayant un but et des intérêts communs, chaque homme doit se considérer uniquement, dans les rapports sociaux , comme engagé dans une compagnie de travailleurs. »

De cette série de faits observés par l'économie politique, M. de Saint-Simon tire la conclusion générale, que la politique elle-même n'est que la science de la production.

Etre gouvernés le moins possible et au meilleur marché possible , tel est donc le but que doivent se proposer les peuples qui instituent ou qui réforment leurs gouvernemens. Ce but est à nos yeux le plus raisonnable ou le plus utile; mais de grands obstacles s'opposent à ce que les peuples puissent l'atteindre. Quand les nations ont contracté l'habitude d'être menées, ce qu'elles craignent le plus c'est d'être abandonnées à elles-mêmes. On leur a tant répété que l'ordre , la prospérité , la force qui leur sont propres, sont le produit de la sagesse de leurs chefs, qu'elles ont fini par le croire. Lorsque la Louisiane fut cédée aux Etats-Unis d'Amérique, les Français qui habitaient ce pays se désolèrent, en songeaut [204] qu'ils seraient obligés de se gouverner eux-mêmes , et que l'autorité ne pourrait pas exercer sur eux un pouvoir arbitraire. Ils crurent qu'ils allaient se dépouiller, s'égorger mutuellement; chacun tremblait à l'aspect de son voisin ; et une année s'était déjà écoulée, qu'ils commençaient à peine à se rassurer. Combien d'Européens sont dans le même cas que les habitans de la Louisiane?

Au besoin d'être gouvernés , se joint le désir de vouloir gouverner; on pourrait même dire que l'un est la conséquence de l'autre. Il en est de l'action des gouvernemens comme de la religion: chacun pense ne pas en avoir besoin pour soi; mais chacun aussi en veut pour son voisin. On est bien sûr que , quoiqu'on ne soit pas surveillé par des espions ou gardé par des gendarmes, on n'ira pas voler ou tuer les gens; et quand même on n'aurait pas cette certitude , on serait encore bien-aise de n'être ni gardé ni surveillé. Mais on n'est pas également assuré que sans gendarmes et sans espions , on ne sera ni volé ni assassiné; et l'on consentirait volontiers à voir mettre tous ses concitoyens sous le séquestre pour être soi-même plus en sûreté. Voilà pourquoi tout le monde voudrait être gendarme, officier, juge de paix, préfet, ministre, c'est-à-dire homme gardant les autres. L'intérêt de la vanité se [205] joint au désir de la sûreté. Dans un pays qui sort à peine ou qui n'est pas même sorti de la servitude , on est bien plus fier d'être maître que d'être libre : tout ce qui prend un air de domination séduit; et si l'on aspire à n'être plus esclave , c'est bien moins pour jouir de la liberté, que pour avoir soi-même des esclaves. Enfin, le profit qu'on trouve à exercer l'autorité , est un nouveau motif pour que chacun cherche à s'en emparer.

Le premier obstacle qui s'oppose à ce que les peuples soient peu gouvernés, et à ce qu'ils soient gouvernés à bon compte , se recontre donc dans les peuples mêmes. Le second se rencontre dans les gouvernemens déjà établis. Allez persuader à un ministre, à un conseiller d'état, à un préfet, à un conseiller de l'université, que le bien public n'exige pas qu'ils exercent un pouvoir très-étendu, et qu'ils jouissent de 10 , de 20 , de 30, de 40, de 100 mille francs de rente : il faudra que vous soyez doué d'une grande éloquence, si vous parvenez à vous faire écouter sans exciter chez eux de vifs mouvemens d'impatience. Il n'est pas un employé, quel qu'inutile qu'il soit, qui ne s'imagine être un personnage essentiel au salut de la chose publique, et qui ne défende son autorité et son salaire avec une opiniâtreté [206] invincible, et souvent même de la meilleure foi du monde.

Ce qui s'oppose sur-tout à l'établissement d'un ordre de choses régulier , c'est que les diverses classes du peuple n'ont pas l'esprit de leur profession. Les hommes qui exercent une industrie manquent d'idées ou ont des idées fausses; les hommes qui ont des idées n'ont point d'industrie , ou manquent de fortune; de sorte que tout va mal, parce qu'on ne peut rien organiser de tolérable. Cet état de choses est pénible ; mais il était inévitable dans le passage de la barbarie à la civilisation. Ce ne sont pas les constitutions qui nous en feront sortir : c'est l'instruction et l'abandon des vieux préjugés et des anciennes habitudes; ce n'est pas dans les institutions qu'il faut mettre la liberté, c'est dans les hommes.

» Sachons bien ce que nous voulons, dit M. de Saint-Simon , pour qu'on ne puisse plus noirs donner le change. Tant que nous resterons dans ce vague des idées où nous a réduits si longtemps l'esclavage de la presse, et dont nous semblons nous accommo er encore; que sommes-nous, sinon un butin pour le premier maître qui voudra s'emparer de nous? L'amour de la liberté ne suffit pas à un peuple pour être libre , il lui faut sur-tout la science de la liberté. »

[207]

L'auteur, tout en exaltant l'esprit industriel et en condamnant l'esprit guerrier, c'est-à-dire l'esprit d'envahissement, sait rendre justice au courage avec lequel les Français, dans les premiers temps de la révolution, repoussèrent les ennemis qui venaient envahir le territoire.

« A l'approche des armées étrangères, dit-il, le Français lit entendre , sur tous les points de la France, le cri : Aux armes! aux armes!

» Mais l'armée régulière était désorganisée; tout était dans le trouble et la confusion. Déjà plusieurs places fortes étaient au pouvoir de l'étranger; le nord et le midi étaient également menacés. Sans troupes, sans armes, sans munitions , sans argent, sans pain, la France semblait ne pouvoir échapper à la conquête ... Mais que ne peut l'exaltation d'un peuple naturellement courageux!

» Au même instant, tous les ateliers, toutes les places publiques se transforment en arsenaux; le sol des souterrains se convertit en foudre; tout fer devient un glaive, tout Français est soldat , et huit cent mille guerriers semblent sortir tout armés de dessous terre.

» Partagés en quatorze armées, par-tout ils font tête à l'ennemi, opposant au courage et à la discipline, le courage et l'enthousiasme; ils combattent et meurent en chantant ...

[208]

» Cette grande impulsion étant l'effet d'une passion , l'on vit régner alors , dans les armées françaises, ce désintéressement généreux qui excuse et anoblit jusqu'à l'erreur.

» Croyant combattre pour la patrie et pour la liberté , le Français bravait la mort et quittait la vie sans regret.

» D'infâmes délateurs traînaient-ils à l'échafaud un général victorieux? nul ne balançait à lui succéder, et pourtant nul alors n'osait être ambitieux.

» Ce dévouement, cet enthousiasme se manifestaient dans tous les combats des armées de terre , et jusqu'au sein des flots qui engloutissaient le vaisseau le Vengeur [FN: Le 13 prairial (1794), le vaisseau français le Vengeur, après un combat sanglant contre une flotte anglaise, percé de toutes parts , aima mieux couler bas que de se rendre , et ses milles marins s'ensevelirent dans les flots , aux cris de vive la liberté! en présence de la flotte anglaise, forcée d'admirer tant de courage et de dévouement.] »

Que les temps sont changés! ... Pourquoi, plus tard, n'avons-nous pas trouvé en France le même dévouement? C'est qu'on ne s'y battait plus que pour soutenir un despote et gagner des cordons.