Charles Comte, [CR] "Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue." (May 1817)

Charles Comte (1782-1837)  

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

See also the others works by Charles Comte and Charles Dunoyer.

Source

[CC??], [CR] "Manuscrit venu de Sainte-Hélène d'une manière inconnue." (CE, T. 3, 9 May 1817), pp. 9-192.

Editor's Note: 137 pages of this article consists of a transcription of interviews supposedly with Napoleon in captivity made by an English officer (pp. 9-148). Comte provides a brief introduction, and then numeous footnotes commenting on Napoleon's thoughts, and a lengthy analysis of Napoleon's ideas and political activty at the end (pp. 148-192).

See also the facs. PDF of this article.

 


 

MANUSCRIT VENU DE SAINTE-HÉLÈNE D'une Manière Inconnue. (London, John Murray, Albemarle street.— Brochure in-8°. de 109 pages. )

Si cette brochure eût été publiée en France, il nous eût suffi d'en donner un extrait au public, et d'y joindre quelques réflexions, pour faire sentir la fausseté des principes qui y sont établis. Mais n'étant connue dans ce pays que par les exemplaires qui y ont été apportés de l'étranger, et l'esprit de parti ayant l'art de rendre séduisantes les choses les plus condamnables, nous avons cru qu'il serait plus utile de donner cet écrit tel qu'il a été publié, et de faire remarquer [10] ce qu'il a de faux , par des notes mises au bas du texte, et par quelques réflexions ajoutées à la fin. Cette méthode préviendra d'ailleurs l'accusation d'avoir dissimulé une partie des pensées de l'auteur , ou d'en avoir altéré le sens. Si. les notes placées au bas des pages sont un peu trop nombreuses , les amis de la liberté nous pardonneront d'avoir cédé au plaisir de démasquer un vieux tyran; quant aux autres , nous n'eûmes jamais l'intention de leur plaire. Chacune de ces notes aura au reste peu d'étendue; nous nous bornerons même souvent à mettre en caractères italiques les passages sur lesquels nous aurons voulu attirer l'attention du lecteur.[1]

[Editor's note: The next 137 pages are a very long quotation of the book with occasional commentary by CC in the footnotes. At the end of the quote on p. 148 CC resumes his analysis of the book. The facs. PDF contains the entire article not just CC’s introduction and final comments.]

[148]

Tel est ce mémoire, que quelques esprits faibles ou égarés par leurs passions ont [149] considéré comme un chef-d'œuvre de politique, mais que les hommes éclairés et amis de leur pays n'ont pu lire sans un profond dégoût. Nous l'avons rapporté dans toute son intégrité; non parce que tout nous en a paru innocent, mais parce que, si nous en avions supprimé une seule syllable, nos observations auraient perdu leur force. Les hommes qui regrettent le régime impérial, auraient prétendu que les mots supprimés expliquaient tout le reste; et ce qui, dans le mémoire, ne peut être attribué qu'à un esprit faux ou à un misérable égoïsme, eût été pour eux une marque de patriotisme ou de profondeur. Si donc ces hommes veulent encore nous faire croire au génie du héros de leur choix il faut qu'ils en trouvent les preuves dans l'écrit qu'on vient de lire ; car elles n'existent nulle autre part.

Dans cet écrit, Bonaparte se donne comme l'homme de la révolution. Si nous voulons l'en croire, il n'a combattu que pour la faire triompher; dans toutes les guerres qui ont eu lieu pendant son règne, il n'a eu pour objet que de consolider le nouveau régime ; les princes qui lui ont fait la guerre, n'ont au contraire combattu que pour faire triompher le régime ancien. Ces assertions, nous n'en doutons pas, peuvent donner de la popularité à celui qui en est l'auteur mais il s'agit de les apprécier.

[150]

La révolution française ayant été déterminée par le désordre survenu dans les finances, désordre qui avait été amené par d'anciens abus, un de ses premiers, objets a été de modérer les taxes ou les contributions, et de prévenir les abus qui pourraient les aggraver. Pour modérer les taxes, on a déclaré que tous les citoyens, sans distinction, y contribueraient suivant l'étendue de leurs facultés ; c'est-à-dire qu'on a détruit les priviléges établis en faveur des nobles et des prêtres. Pour prévenir le retour des abus ou des excès de pouvoir,, on a organisé des administrations locales dont les nombres étaient à la nomination du peuple ; on à établi la représentation nationale, le jugement par jurés et la liberté de la presse; on a détruit en même temps les prérogatives attribuées à naissance; on a aboli en outre, mais pour d'autres motifs, les signes de la féodalité et les droits qui se rattachaient au système féodal. La destruction de ces priviléges et l'établissement du système représentatif ayant amené des guerres entre la masse du peuple et les classes privilégiées, et, celles-ci ayant eu le dessous, une partie de leurs biens ont été confisqués et vendus. La garantie de ces ventes est devenue dès-lors un des objets de la révolution ; mais remarquons bien que cet objet n'a été qu'accidentel et tout à-fait secondaire : le but principal de la révolution [151] était le respect, et non la confiscation des propriétés.

Un des principaux objets de la révolution, était de prévenir les guerres d'envahissement et de conquête, et de faire respecter par le gouvernement français, non-seulement l'indépendance de la nation française, mais encore l'indépendance de toutes les autres nations.

« La guerre, disait la constitution de 1791, ne peut être décidée que par un décret du corps législatif, rendu sur la proposition formelle et nécessaire du roi, et sanctionnée par lui.

» Si le corps législatif décide que la guerre ne doive pas être faite, le roi prendra sur-le-champ des mesures pour faire cesser ou prévenir toutes hostilités; les ministres demeurent responsables des délais.

» Si le corps législatif trouve que les hostilités commencées sont une aggression coupable de la part des ministres ou de quelque autre agent du pouvoir exécutif, l'auteur de l'aggression sera poursuivi criminellement.

» La nation française, ajoutait la constitution renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes , et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. »

[152]

Les principaux objets de la révolution française étant déterminés, il ne s'agit plus que de savoir si c'est vers ces objets que Bonaparte a dirigé ses efforts.

En le jugeant d'après son mémoire, et surtout d'après ses actes, on se convaincra qu'il n'a jamais eu aucun plan de politique, qu'il a toujours été mené par les événemens, et qu'il a cherché à les faire tourner à son avantage personnel. Il reconnaît, lui, qu'il a été constamment maîtrisé par les circonstances, dans la page 45 de son mémoire.

Il était même impossible que Bonaparte s'attachât à la révolution pour en faire triompher les principes; car n'ayant reçu, comme il le dit lui-même, qu'une éducation pitoyable, et aucune idée de politique n'étant entrée dans sa tête, il ne pouvait que suivre le parti qui lui offrirait de l'avancement. «Le comble de mon ambition, dit-il, se bornait alors à porter un jour une épaulette à bouillon sur chacune de mes épaules : un colonel d'artillerie me paraissait le nec plus ultra de la grandeur humaine. »

N'ayant pas d'autre objet que son intérêt individuel, Bonaparte devait s'attacher au parti qu'il croirait le plus fort. C'est ce qu'il fit en 1793 ; il se jeta parmi les anarchistes, et son [153] zèle alla si loin, qu'il déplut même au comité de salut public. Le représentant du peuple Aubri le fit destituer de ses fonctions de général de brigade comme anarchiste ; et lorsque Bonaparte nous apprend (page 19 de son mémoire) qu'il prit l'anarchie en horreur, il aurait dû commencer par nous dire que c'est comme anarchiste qu'il fut destitué.

Se trouvant sans emploi, il vint à Paris, parce qu'on ne pouvait en obtenir que là. Il s'attacha à Barras. Robespierre était mort; Barras jouait un rôle; il fallait bien, dit-il, m'attacher à quelqu'un et à quelque chose. Bonaparte ne s'attacha donc à Barras, que parce qu'il ne pouvait pas s'attacher à Robespierre. S'il était venu du temps de celui-ci, il se serait attaché à sa cause; et si on lui en avait demandé la raison, il aurait probablement dit : Marat était mort; Robespierre jouait un rôle, il fallait bien m’attacher à quelqu'un et à quelque chose.

Les sections de Paris s'étant insurgées, Barras proposa à son protégé de prendre le commandement des troupes : Bonaparte accepta, non qu'il y mît quelque intérêt, car il s'occupait moins de politique que de guerre; mais parce qu'il préférait d'être à la tête des troupes, plutôt, dit-il, qu'à se jeter dans le rang des sections où il [154] n'avait rien à faire. Jusqu'ici on ne voit qu'un individu qui s'occupe uniquement de ses intérêts personnels, et qui s'attache non au parti qui lui paraît le plus juste, mais à celui qu'il croit le plus fort.

Cette politique de tout juger par la force, a fait la règle de sa conduite dans toutes les circonstances. Il n'y a plus qu'un secret pour mener le monde, dit-il, c'est d'être fort ; parce qu'il n'y a dans la force ni erreur, ni illusion; c'est le vrai mis à nu.[2] Il dit ailleurs, en parlant de son autorité, qu'il fallait qu'elle fût en entier dans le fait, c'est-à-dire dans la force;[3] c'est aussi dans le fait ou dans la force qu'il faisait consister sa monarchie.[4] La force étant à ses yeux le vrai mis à nu, il a placé l'influence militaire au-dessus de l'influence civile, c'est-à-dire les baïonnettes au-dessus des lois;[5] pour lui, un homme n'a été rien, s'il n'a pas été précédé d'une réputation militaire;[6] l’instinct de la guerre lui a tenu lieu de raison;[7] l'autorité du quartier-général et l'émotion du champ de bataille sont devenues ses passions dominantes.[8] Il a pris une épée pour bâton de [155]  commandement;[9] il a exercé son autorité de fait et non de droit;[10] il n'y a eu de vraiment imposant que la gloire militaire;[11] ou pour mieux dire, nulle gloire n'a pu s'acquérir, si ce n'est sur le champ de bataille.[12]

Mais la force n'est qu'un moyen; et Bonaparte avait une fin dans tout ce qu'il faisait. Si on veut l'en croire, cette fin était le triomphe de la révolution. Si l'on juge au contraire de sa conduite par ses propres aveux et par ce qui est arrivé, on verra que la fin de toutes ses actions a été son intérêt personnel, et qu'il n'a jamais embrassé un parti que pour s'en rendre maître, et le faire servir d'instrument à ses passions. On a déjà vu que, dans l'affaire des sections, il n'avait pris la défense de la convention que parce qu'il n'y avait rien à faire dans le parti contraire : or, qu'on le suive dans toutes ses expéditions, dans tontes ses entreprises, et l'on verra qu'il n'a jamais eu en vue que lui d'abord, et ensuite ce qu'il appelait sa dynastie.

C'est lui qui nous apprend qu'il n'a ressemblé à personne; que par sa nature il a été toujours isolé;[13] qu'il n'a jamais eu l'art [156] d’émouvoir le peuple, n'ayant pas avec la multitude cette communauté de sentimens qui produit l'éloquence des rues;[14] qu'il mit beaucoup de zèle dans sa première bataille, parce qu'il en attendait son avancement;[15]que ce fut pour se mettre en évidence, et pour attirer l'attention sur lui, qu'il entreprit l'expédition d'Egypte;[16] qu'à son retour, il assouvit les factions pour fonder son autorité, et rester maître de la révolution, ne voulant pas en être le chef;[17] qu'il mit trois consuls dans la constitution de l'an 8, au lieu de deux, parce qu'il ne voulait pas être appareillé, et que le premier rang lui appartenait de droit dans cette trinité;[18] qu'il voulut que tout fût neuf dans son pouvoir, afin que toutes les ambitions y trouvassent de quoi vivre;[19] qu'après s'être emparé du consulat, la paix qu'il demanda parce qu'elle était une fortune pour lui, était un opprobre pour la France, et un opprobre dont elle n'aurait pas pu se laver;[20] qu'il expulsa les tribuns qui avaient quelque courage, et détruisit la république, pour conserver son autorité;[21] que [157] la lutte qui s'engagea, quand il fut parvenu à l'empire, était d'un grand intérêt pour lui, parce qu'elle devait amener en Europe des combinaisons nouvelles dont il serait la victime ou l'arbitre;[22] qu'il négligea le parti qu'il pouvait tirer des Polonais, parce qu'ils lui parurent peu propres à remplir ses vues;[23] que l'issue des premiers efforts de la coalition éleva la gloire des armées françaises, mais qu'elle laissa la question indécise entre l’Europe et lui;[24] qu'il fit des rois de ses frères, afin que sa famille ne restât pas mêlée dans les rangs de la société;[25] que pour donner de la confiance aux Lombards, il lit sa propre affaire de la leur;[26] que son ambition n'a pas consisté à posséder quelques lieues carrées de plus ou de moins, mais à faire triompher sa cause;[27] que le favori qui conduisait tout en Espagne lui était resté dévoué, mais que ce favori ayant perdu son crédit, son dévouement lui devint inutile,[28] ce qui amena l'envahissement de ce pays; que quelque déplorable que fût l'état social de l'Espagne, il ne voulut pas dédaigner cette conquête;[29] que c'était pour accoutumer [158] l'opinion de l'Europe à la nature de son pouvoir, qu'il ne voulait pas la montrer toujours sous un aspect hostile, ce qui lui faisait sentir le besoin d'accorder quelque relâche aux peuples;[30] qu'il avait l'air aggresseur, parce qu’il se battait pour détruire et pour faire du neuf;[31] qu'il avait bien été fait pour son siècle, mais qu'il fallait qu'il créât son siècle pour lui;[32] que son pouvoir n'était plus contesté, mais que sa mort pouvait être dangereuse pour sa dynastie; qu'en s'alliant à la maison d'Autriche, il plaçait son trône à l'abri des tempêtes; et qu'ainsi il pouvait croire, sans trop de prévention, qu'il avait fini son œuvre;[33] qu'ayant cru être tenu à quelques égards pour cette maison, cette faiblesse perdit ses affaires, parce qu'elle lui fit sacrifier la Pologne à ses convenances;[34] qu'après que les Français eurent éprouvé les plus; grands désastres, il refusa une paix qui laissait la France dans son intégrité, parce qu'il aurait appris qu'il pouvait rendre, et que tout le monde aurait voulu ravoir son indépendance; qu'en déposant sa couronne de fer, il aurait mis en compromis celle de l'empire; que les chances [159] de là paix lui étaient toutes funestes et que celles de la guerre pouvaient le sauver; qu'il fallait que la grande révolution du dix-neuvième siècle ( la révolution qui mettait sa famille sur le trône), s'achevât sans retour, ou qu'elle s'étouffât sous un monceau de morts;[35] que la destinée du monde ne tenait plus qu'à une seule bataille, et qu'on la lui aurait abandonnée s'il avait été vainqueur;[36] qu'il ne voulait pas appeler au secours de la France les troupes qu'il avait placées dans les forteresses de l'Allemagne, parce qu'avec une seule victoire, il se serait retrouvé maître du Nord jusqu'à Dantzick;[37] que ses ennemis auraient tremblé devant cette fatalité qui lui donnait la victoire; que maître encore du Midi et du Nord par ses garnisons, il aurait repris son ascendant; qu'il aurait eu la gloire des revers, comme celle des victoires;[38] que transporté à l'île d'Elbe, après avoir tout perdu en France, il se précipita de nouveau sur ce pays, dans la crainte d'être transféré à l'île Sainte-Hélène;[39] qu'il fit croire aux Français que la paix était assurée, quoiqu'il eût la certitude du contraire; qu'en venant de l'île d’Elbe, [160] il aurait accepte la paix de 1814, quoique moins avantageuse pour la France que celle qui lui avait été offerte, parce que celle-ci le faisait d'écheoir, tandis que l'autre l'élevait de son île au trône de France;[40] qu'ayant promis de rétablir la liberté, il mit les mots à la place des choses, et qu'il jeta ainsi lui-même la division parmi les Français;[41] qu'il voulut remuer toutes les passions pour profiter de leur aveuglement; que sans cela, il ne pouvait pas sauver la France du péril où il l'avait jetée;[42] que ces moyens n'ayant pas réussi, il se trouva seul contre le monde entier (4).[43]

Bonaparte, dans tout ce qu'il a fait, n'a donc jamais vu que lui, ou ce qu'il a jugé lui appartenir; dans tout le cours de son mémoire, c'est toujours moi, ma dynastie, mon pouvoir, mon autorité, mon empire, mon siècle, mes soldats, mes armées, ma gloire., mes victoires, mes revers, mes alliés, mes ennemis, mes villes, mes forteresses, mon élévation, ma chute. Si la France ou les peuples qu'il avait asservis se trouvent quelquefois en scène, ce n’est jamais que comme instrumens. Cet égoïsme qui l'a rendu, [161] comme il le dit lui-même, unique dans son espèce, et qui l'a toujours tenu dans l'isolement (j'ai été par ma nature toujours isolé, page 12), l'a suivi jusque dans son île de Sainte-Hélène. Le chirurgien du vaisseau qui l'y a transporté (M. Warden ) a remarqué que ce vice était le trait le plus saillant de son caractère ; il a recueilli tous ses discours, et l'on n'y voit pas que la France, qu'il laissait dans l'état le plus déplorable, se soit présentée une seule fois à son souvenir.[44]

[162]

Sacrifier tout à son intérêt personnel et à celui 'de sa famille, et envahir, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, tout ce qui peut être envahi par la ruse ou par la force, telle a donc été la politique de Bonaparte. Les moyens qu'il a employés pour arriver à son but, sont clignes de remarque, par [163] les rapports qu'ils ont avec la fin qu'il se proposait, et par la constance avec laquelle il y est resté attaché.

Lorsqu'un individu veut lier sa cause à celle d'un malfaiteur, la première idée qui se présente à lui, c'est de devenir son complice; de même ; lorsqu’un scélérat veut s'attacher un homme dont il se défie, il ne voit rien de mieux que de la faire tremper dans quelques-uns de ses crimes. Telle fut la politique de Catilina ; telle a été celle de Bonaparte. S'étant emparé de l'autorité suprême par la force, il se voit soupçonné par quelques personnes de vouloir placer les Bourbons sur le trône. Pour détruire ce soupçon-, il ne perd pas son temps à faire des promesses ou  des protestations auxquelles il sait bien qu'on ne croirait pas; il fait une incursion sur le territoire d'un de ses alliés; il y saisit un prince de la famille que quelques personnes redoute ; il le conduit à Paris; l'y fait égorger dans les vingt-quatre heures par les grands de sa cour, et le lendemain il fait proclamer cet assassinat dans toute la France.

« Les républicains, dit-il (c'est lui-même qui parle ), redoutaient que je ne remontasse une vieille royauté à l'aide de mon armée. Les royalistes fomentaient ce bruit, et se plaisaient à me [164] représenter comme un singe des anciens monarques; d'autres royalistes plus adroits, répandaient sourdement que je m'étais enthousiasmé du rôle de Monck, et que je ne prenais la peine de restaurer le pouvoir que pour en faire hommage aux Bourbons, lorsqu’il serait en état de leur être offert … Je ne pouvais pas laisser courir une telle opinion, parce qu'elle tendait à nous désunir. Il fallait à tout prix détromper la France, les royalistes et l'Europe, afin qu’ils sussent tous à quoi s'en tenir avec moi … La police découvrit de petites menées royalistes, dont le foyer était au-delà du Rhin. Une tête auguste s'y trouvait impliquée. Toutes les circonstances de cet événement cadraient d'une manière incroyable avec celles qui me portaient à tenter un coup d'état. La perte du duc d'Enghien décidait la question qui agitait la France. Elle décidait de moi sans retour, je l’ordonnai ..... Le délit de ce malheureux prince se bornait à de misérables intrigues avec quelques vieilles baronnes de Strasbourg. Il jouait son jeu: ces intrigues étaient surveillées; elles ne menaçaient ni la sûreté de la France, ni la mienne.  Il a péri victime de la politique, et d'un concours inoui de circonstances. »

L'idée de se lier à des hommes par une [165] communauté de crimes, est une de celles qui a le plus flatté l'imagination de Bonaparte. Si dès son début, il se trouva lié à la cause de la révolution, ce ne fut point parce qu'elle était conforme à ses opinions politiques, car il n'en avait point; ce fut parce qu'il avait mitraillé les Parisiens, insurgés contre la convention. Je m'attachai naturellement, dit-il, au parti pour lequel je venais de me battre, et je me trouvai lié à la cause de la révolution. Si son alliance avec la maison d'Autriche flattait sa politique, c'est parce que cette maison, en s'unissant à lui, devenait complice de sa grandeur. S'il a regretté de n'avoir pas donné le Hanovre à la Prusse, c'est parce qu'en lui donnant du terrain, il l'aurait compromise, c'est-à-dire qu'il se la serait assurée. Enfin, s'il a grossi le volume de quelques souverains, s'il les a fait conquérant malgré eux, c'a été pour les compromettre et les attacher à sa cause. Il a suivi la même politique dans l'intérieur : toutes les fois qu'il a voulu créer un favori, il a commencé par en faire un complice.

Ce moyen pouvait être bon pour s'attacher quelques princes, ou pour recruter sa cour, si toutes fois il est vrai que des alliances de cette nature puissent avoir quelque durée; mais il était insuffisant pour rallier à lui un grand [166] nombre d'individus. Pour obtenir ce résultat, il a créé des places sans nombre, il y a attaché des appointemens énormes, relativement à l'utilité dont ces places étaient; il les a montrées à tous les ambitieux, et il a ainsi soulevé la cupidité de la masse du peuple. Cependant, comme les impôts, ou plutôt les tributs levés sur la classe industrieuse, auraient été insuffisans pour satisfaire toutes les ambitions, il leur a distribué sous le nom de majorats, une partie des richesses des peuples asservis; il a rétabli des ordres et des titres féodaux, et il a gagné, par la vanité, ceux qu'il n'a pu séduire par l’avarice. J’étais appelé, dit-il y à préparer le sort à venir de la France,: et peut-être celui du monde; mais il fallait auparavant faire la guerre, faire la paix, assouvir les factions; fonder mon autorité …;[45] il fallait que tout fut neuf dans mon pouvoir, afin que toutes les ambitions y trouvassent de quoi vivre; [46]l'esprit de l’empire était le mouvement ascendant; il agitait toute la nation ; elle se soulevait pour s’élever; j'ai placé au sommet de ce mouvement de grandes récompenses;[47] ce mouvement a fait ma force (4).[48]

[167]

Pour chercher à se rendre fort par de pareils moyens, il fallait que Bonaparte eût un profond mépris pour les hommes; et c'est en effet ce qu'on remarque dans son mémoire, depuis le commencement jusqu'à la fin. On voit qu'il est toujours prêt à les sacrifier par milliers, pour les motifs les plus frivoles. Ce fut pour attiser l'attention et rester en vue, qu'il alla ensevelir dans les déserts d'Egypte l'armée qui l'avait illustré en Italie, et qu'il perdit la marine française. N'ayant rien à faire en Egypte, il entreprit la conquête de la Palestine, parce que cela lui parut curieux, et que cette expédition avait quelque chose de fabuleux.[49] Ce fut pour donner une pâture à la curiosité des oisifs qu'il envoya périr à Saint - Domingue l'armée que Moreau avait commandée, sachant bien que, si la France avait reconquis cette île, ce n'eût été que pour les Anglais.[50] Ce fut, faute de mieux, qu’il mit en avant un projet de descente en Angleterre, et qu'il sacrifia huit ou neuf cents millions pour un projet qu'il n'avait pas l’intention de réaliser.[51] Enfin, ce fut pour compléter, par une absurdité, son système continental, qu'ili fit périr en Russie ou en Allemagne l'élite de la nation française.[52]

[168]

Le caractère et les principes de Bonaparte étant connus, il reste à examiner comment il les a employés à faire triompher la révolution, c'est-à-dire à établir un gouvernement représentatif, et des institutions propres, soit à le maintenir, soit à prévenir le retour des abus.

A son retour d'Egypte, il trouve un gouvernement menacé par des factions, Il est à peine arrivé, que tous les conspirateurs se le disputent, parce qu'il leur faut une épée : j’étais, dit-il, le pivot des conspirations. Cependant, comme l'opinion publique demande la réforme et non la destruction du gouvernement, les conspirateurs mettent les jacobins en scène, et les font hurler dans les clubs comme du temps de la terreur; lorsqu'ils ont jeté l'effroi dans la nation, ils convoquent à Saint-Cloud le conseil des anciens et le conseil des cinq-cents; ceux des membres qu'on croit capables d'opposer quelque résistance ne reçoivent leurs lettres de convocation que quand il n'est plus temps de s'y rendre; et lorsque tout est ainsi préparé, Bonaparte, avec une troupe de ses satellites, marche contre la représentation nationale et la disperse.[53] [169] Les républicains, dit-il, avaient établi leur quartier-général dans le conseil des cinq-cents: ils firent une belle défense; il fallut gagner la bataille de Saint-Cloud pour achever cette révolution.[54]

« Le directoire, a écrit un homme connu par l'indépendance de ses opinions et par son patriotisme, le directoire avait éprouvé de nombreuses disgraces, toutes provoquées par les frères de Bonaparte (Lucien était un des chefs de la conspiration) et par des Corses dévoués à son parti. Un coup d'état était déjà monté et près d'éclater contre cette suprême autorité, Bonaparte s'en était emparé avec adresse. Il avait traversé toutes les intrigues, opposé sa renommée aux titres fondés sur la naissance ou d'anciens services, gagné les uns par des promesses, intimidé les autres par ses menaces, et, seul, il obtint la direction de ce grand mouvement. Cependant il laisse divaguer l'opinion sur le choix de celui en faveur duquel il sera exécuté. Il s'accole à S.... pour le tromper; il le trompe pour n'avoir pas à le craindre. Il ne voit, dans ses collègues, qu'un limon grossier et inerte privé de sentiment, d'idées et de volonté. Enfin, toute [170] incertitude cesse ; et Bonaparte, qui n'a été que le général du directoire au 18 brumaire (13 décembre 1799), hérite de sa puissance, et fixe le sort de chaque directeur. Il proscrit celui dont il s'est servi; dans un autre, la pourpre sénatoriale paie la nullité : celui qui pourrait ne s'y pas condamner, il le gorge de richesses et l'abreuve de honte. Tout est soumis. Dès le 19 brumaire, les hommes forts en expérience révolutionnaire, et, parmi ces hommes, le plus éminent par son esprit, ses qualités, sa réputation, rompent le lien d'une précédente confédération, se détachent de celui qui l'avait cimentée, se réunissent à Bonaparte, sans mission, par des motifs divers, et de leurs conceptions sort la république consulaire, dont un chef d'armée s'était, à la manière du Pape Sixte-Quint, déclaré le premier magistrat.

» Bonaparte fut traité comme le possesseur légitime de la suprême puissance. Sa gloire militaire est le titre avoué de son élévation; la crainte et la vénalité en furent les véritables causes. Le 18 brumaire, jour de deuil et de terreur, glaçait encore tous les esprits. On sentait ce qu'un tel magistrat pouvait entreprendre; mais l'homme de bien ne le disait que par son silence; tandis que les intrigans et les [171] ambitieux remplissaient les airs de leurs louangeuses clameurs, que les poètes prophétisaient le grand homme, le grand siècle des règnes. d'Astrée, de Marc-Aurelle et de Trajan.

» C'est maintenant une toute autre agitation, un autre mouvement. Quels concours d'intrigues et de bassesses, de mensonges officieux, de calomnieuses- révélations ! Tous les ennemis du directoire sont les amis du nouveau gouvernement, Et qui ne veut pas avoir été l'ennemi du directoire ? A peine l'ingratitude de Bonaparte envers, B.... (qui peut-être se souvenait trop de ses bienfaits envers Bonaparte) est connue, que les bas courtisans du directeur se déclarent ses ardens détracteurs. Tous courent aux places; les hommes qui en sont dignes attendent d'y être appelés. C'est le petit nombre, et dans ce petit nombre il y aura peu d'élus. Les prétendans et les protégés circulent de la rue de la Victoire au Luxembourg, de la rue Taitbout aux Tuileries. Toutes les avenues sont obstruées. On se heurte, on se croise. Les femmes, et quelles femmes! restent en possession du crédit et de la faveur. Cela ne peut être autrement. Le droit est fondé sur les stipulations avouées ou secrètes, sur des échanges et des compensations admises dans les républiques comme dans les monarchies. …

[172]

» S'il est vrai qu'Auguste eût pu régner comme régna Tibère, il n'est pas moins certain que Bonaparte pouvait franchir, d'un pas, les divers degrés qui l'ont conduit de la dictature consulaire à la monarchie impériale, de celle-ci au despotisme militaire le plus absolu, et gouverner dans le principe comme il a gouverné dans la suite. Il se serait épargné bien des soins, à la France bien des malheurs. Son régime aurait été franchement dur, peut-être cruel, au lieu d'être machiavélique, et pour ainsi dire frauduleux; car à de pompeuses promesses répondirent toujours des lois plus fiscales, des conscriptions plus meurtrières, des guerres plus désastreuses. On a dit, même lorsqu'il était le plus craint (et je ne suis pas très-éloigné de le croire sur parole), que son caractère se composait de l'orgueil insensé de Caligula, des basses inclinations de Commode, de la triste et sombre politique de Tibère, et d'une insensibilité pour tout ce qui est humain, dont aucun de ces médians princes n'approcha jamais. …[55] »

[173]

L'historien croit que ce portrait est exagéré; peut-être la postérité en jugera-t-elle autrement.

Bonaparte s'est à peine rendu maître de l'autorité, qu'il crée une représentation nationale à sa manière. Une des chambres législatives était composée de cinq cents membres; il la réduit à trois cents. L'autre, connue sous le nom de conseil des anciens, était composée de deux cents cinquante, il la réduit à quatre-vingts, et lui donne le nom de sénat-conservateur. L'initiative des lois prenait naissance dans le sein de la représentation nationale; Bonaparte s'en empare et la fait exercer par ses agens. Les projets de lois étaient soumis à une discussion publique: Bonaparte ordonne que les séances de son sénat seront secrètes, et que le corps législatif fera la loi en statuant par scrutin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres. Il crée un corps, appelé tribunat, auquel il donne le droit de parler sur les projets de loi; mais il déclare que les vœux manifestés par ce corps n'auront aucune suite nécessaire, et n'obligeront aucune autorité constituée à une délibération. Bientôt craignant que les discussions du tribunat n'entravent son autorité, il épure les tribuns, c'est-à-dire, qu'il destitue ceux auxquels il soupçonne des talens, du courage ou de la probité; il finit par [174] détruire le tribunat, et ne conserve plus qu'une assemblée de muets, dont les membres sont élus par sou sénat. Il anéantit donc la représentation nationale. Voilà l'homme de la révolution!

Dans toutes les communes, et dans les chefs-lieu des départemens, il existait des administrations dont les membres étaient à la nomination du peuple. Bonaparte craignant de trouver autant de centres d'opposition qu'il y avait d'administrations, les détruit d'un seul coup, en s'emparant du droit d'en nommer les membres, ou de les faire nommer par ses agens. Il s'empare en même temps du droit de nommer les juges, et il veut qu'ils ne soient inamovibles qu'après cinq années d'exercice; et comme s'il craignait que les tribunaux ne soient pas encore assez sous sa dépendance, il place à côté d'eux des tribunaux spéciaux qu'il charge de prononcer dans tous les cas où son gouvernement sera intéressé. Ne pouvant pas détruire l'institution du jury, il veut que les jurés soient désignés par ses préfets ; ce qui ne les rend pas moins à craindre que les juges spéciaux. Que devient la révolution ?

Aucune responsabilité n'est établie pour les ministres ou pour leurs subordonnés; bien loin de là, il est déclaré que nul agent du gouvernement ne pourra être mis en jugement sans une [175] autorisation de son conseil, ce qui établit dans l'état autant d'inviolables qu'il y a d'agens de l'autorité. La presse entièrement asservie, n'est plus qu'un moyen de tromper le public. L'éducation de la jeunesse est mise exclusivement dans les mains de l'autorité; et la religion elle-même, ou pour mieux dire ses ministres, ne sont employés qu'à consolider le pouvoir de Bonaparte et de sa dynastie. En un mot, toutes les forces de l'état sont consacrées à créer un siècle pour un individu. Il fallait, dit Bonaparte, consolider mon ouvrage, en donnant à la France des institutions conformes an nouvel ordre social qu'elle avait adopté. Il fallait créer mon siècle pour moi.[56]

Toutes les garanties constitutionnelles, qui étaient le véritable objet de la révolution, étant anéanties, les Français se sont trouvé à la discrétion de Bonaparte, et le régime auquel ils ont été soumis a été bien plus dur, bien plus cruel que celui qui existait avant la révolution. Le décret sur les prisons d'état, a remplacé les lettres de cachet. Le décret sur la censure des écrits, a remplacé l'ancienne censure. Les préfets ont pris la place des intendans. Les droits réunis ont été substitués aux impôts de l'ancien régime. [176] L’université impériale et la conscription, ont rendit Bonaparte propriétaire de tous les jeunes gens au-dessous de vingt-un ans. Le sénatus-consulte sur les gardes nationales, lui a livré toute la population mâle depuis l'âge de vingt-un ans jusqu'à soixante. Les préfets ont été chargés de faire l'inventaire des filles à marier, afin que Bonaparte pût les distribuer à ses soudarts, chacun selon son mérite. Enfin les Français ont perdu tous leurs droits: Bonaparte a pu s'emparer de leurs biens, de leurs personnes, de leurs enfans, et même de leurs pensées. « J'avais répandu partout, dit-il (page 75), une impulsion uniforme, parce qu'on ne donnait qu'un seul mot d'ordre dans l'empire. Aussi, tout se mouvait dans cette machine ; mais le mouvement ne s'opérait que dans les cadres que j'avais préparés. »

» On peut regarder à cette époque, dit M. de Montlosier, la France entière comme envahie. La famille était envahie par la conscription ; l'intérieur de la maison par la nécessité d'avoir des domestiques et des ouvriers légitimés par la police; la propriété par un accroissement continuel d'impôts non consentis. Des recherches faites partout sur la fortune des filles à marier, faisaient présager que dans peu les pères ne pourraient pas plus disposer de leurs filles que de leurs enfans mâles. Les juges ne pouvaient plus [177] avoir la propriété de leurs consciences, les administrateurs celles de leurs opinions. En matière d'état, les rédacteurs les plus affidés n'avaient pas même la propriété de leurs rédactions : présentés la veille, leurs rapports se trouvaient le lendemain dans le Moniteur, altérés, dénaturés. Ici la pensée était torturée, falsifiée; là elle était franchement commandée. Ceux qui pouvaient parler n'avaient pas le droit de la parole. Les muets n'avaient pas le droit de se taire. La France en était venue au point que le silence avait quelque chose de factieux. On parle quel-fois des préfets, il ne faut pas se les représenter comme quelque chose qui a un corps et une ame ; c'étaient des instrumens. Leurs mouvemens partaient du haut du ministère de l'intérieur, de la même manière que ceux du télégraphe. En quelque situation que ce fût, il n'y avait plus moyen de se conserver individu; on ne pouvait être que membre. Ce membre n'avait pas la permission de s'animer. Tout le cœur, toute l'aine-de la France étaient aspirés par un seul homme. Il n'y avait plus qu'un seul esprit en France : tout le reste était devenu matière » (1).[57]

[178]

Et qu'on ne s'imagine pas que cet état d'envahissement était temporaire. Si Bonaparte dit, en parlant de son consulat (page 41), que la révolution avait des ennemis trop acharnés au-dedans et au-dehors, pour qu'elle ne fût pas forcée d'adopter une forme dictatoriale, comme toutes les républiques dans les momens de danger; s'il reconnaît (page 46) qu'il existait une république de nom, une souveraineté de fait, une représentation nationale faible, un pouvoir exécutif fort, et une armée prépondérante; il ajoute (page 71): « Il n'y avait en réalité, dans l'état, qu'une vaste démocratie menée par une dictature. Cette espèce de gouvernement est commode pour l'exécution; mais elle est d'une nature temporaire, parce qu'elle n'est qu'en viager sur la tête du dictateur. Je devais la rendre perpétuelle en faisant des institutions à demeure. »

Bonaparte voulant établir à perpétuité une forme de gouvernement qui livrait à l'arbitraire la nation toute entière, et qui anéantissait sans retour les institutions pour lesquelles les Français avaient fait les plus grands sacrifices était donc l'ennemi le plus redoutable de la révolution. Cette vérité est évidente pour quiconque a assez de capacité pour lier deux idées ensemble ; [179] lui-même ne peut s'empêcher de la reconnaître dans différens passages de son mémoire. Supposant que les Bourbons, avant leur retour, avaient l'intention de rétablir les choses sur le pied où elles étaient avant la révolution; il dit, en parlant de la conspiration du 3 nivose, qu'il attribue à des royalistes : Rien n'était prêt en France pour les Bourbons.[58] Les royalistes m'auraient assassiné, dit-il, en parlant de la conspiration de Georges, qu'ils n'en auraient pas été plus avancés. Chaque chose a son temps.[59] Plus loin, il ajoute : Mon autorité s'accrut, parce qu'on l'avait menacée. Il n'y avait rien de prêt en France pour une contrerévolution.[60] Il suppose, dans tout le cours de son mémoire, que les rois alliés étaient à là tête de la faction qui voulait rétablir l'ancien régime; il affirme qu'il y avait impossibilité absolue de concilier le régime ancien et le régime nouveau, et cependant il dit qu'il s'imagina que ces princes pourraient s'allier de bonne foi avec lui, parce que c'était le parti le plus sûr.[61] La politique des princes ; ajoute-t-il,[62] devait pencher maintenant en ma faveur, parce que [180] mon metier n'était plus d'ébranler les trônes . mais de les affermir; j'avais rendu de nouveau la royauté formidable. En cela j'avais travaillé pour eux … Qui aurait pu deviner, continue-t-il, que, séduits par la haine qu'ils avaient pour moi, ils abandonneraient le parti du trône, et remettraient eux-mêmes la révolution dans leurs états, pour en être tôt ou tard les victimes! Mais, ajoute-t-il (page 115), trop de préventions obstruaient les yeux des souverains, pour qu'ils pussent voir le danger là où il était. Ils crurent le voir là où était le secours.

Ainsi, il est bien évident, et par les faits qui ont eu lieu, et par le manuscrit venu de SainteHélène,, que Bonaparte a constamment travaillé à détruire ce que la révolution avait produit d'utile ou de bon; que par conséquent toutes les guerres qu'il a entreprises n'ont été faites que pour satisfaire ses passions personnelles; que les princes ou les peuples qui l'ont combattu, avaient pour objet, non de faire rétrogader la révolution, comme il le dit, mais de mettre des bornes à son ambition : leur objet à cet égard est si peu équivoque, que, dans l'alternative de s'allier à Bonaparte ou de remettre la révolution dans leurs états, ils se sont déterminés pour ce dernier parti.

[181]

Que faut-il donc penser de Bonaparte, lorsqu'il dit qu'il avait favorisé le parti qui, au 18 fructidor, était resté maître de la république, parce que c'était le sien, et parce que c'était le seul qui pût faire marcher la révolution ; qu'il était à la tête de la grande faction qui voulait anéantir le système sur lequel roulait le monde depuis la chute des Romains; que tout pacte était impossible entre les deux factions; que, seul, il promettait à la France de consolider l'œuvre de la révolution;[63] enfin, qu'il fallait que la grande révolution du 19e siècle s'achevât sans retour, ou qu'elle s'étouffât sous un monceau de morts?[64] Il faut penser qu'il fait ici comme il a fait dans toutes les circonstances où il a cru avoir besoin de l'opinion : il met les mots à la place des choses. On pourrait croire aussi qu'il veut se montrer révolutionnaire aux yeux des hommes amoureux de changemens, et partisans des anciennes monarchies aux yeux de ceux qui veulent les soutenir; mais si son intention était en effet de flatter les deux partis, il leur suppose, à l'un et à l'autre, un peu trop de bêtise; ses ridicules forfanteries ne peuvent plus en imposer à personne.

[182]

Bonaparte se vante d'avoir maintenu l'égalité: il se moque de nous ; n'est-ce pas lui qui a établi la plus dure et la plus intolérable des inégalités, celle des gens à sabre et celle des pékins, comme il les appelait ? Qu'on nous dise si un bourgeois, ou même un soldat, pouvait réclamer la protection des lois contre une injustice d'une personne de la famille de Bonaparte, ou même de sa cour; si l'intérêt du contribuable, de l'administré n'était pas toujours sacrifié à celui de l'homme en place et de l'administration ? Jamais cet homme n'a mieux montré qu'il était étranger à tout sentiment d'égalité, que lorsqu'il s'est vanté d'avoir protégé l'égalité.

Dans un état où l'égalité règne, la loi y est égale pour tous. Tout homme qui ne blesse pas les lois, peut marcher tête levée; le puissant, soit par ses places, soit par la faveur du chef, tremble d'y insulter le plus obscur citoyen; les fonctions publiques y sont remplies, non par ceux qui se montrent les lâches adulateurs de celui qui gouverne, mais par ceux qui, par leur probité, leur capacité, leurs habitudes, peuvent sacrifier au public, de la manière la plus utile, une partie de leur temps, en exigeant de lui les salaires les moins considérables. Or, qu'on nous dise si c'est à ces caractères qu'on peut reconnaître le règne de [183] Bonaparte. La noblesse impériale ne blessait pas l'égalité, dit-il, parce qu'on pouvait y arriver de partout; mais cette noblesse n'était-elle pas héréditaire ? Ne jouissait-elle pas du privilége des majorats ? Le pouvoir ne lui était-il pas exclusivement réservé ? Et si elle n'existait, comme il le dit lui-même, que par le pouvoir dont elle jouissait, sa perpétuité ne rendait-elle pas nécessaire l'hérédité des places dans les familles ? On y arrivait de toutes parts. Certes, voilà une belle consolation! Ne dirait-on pas qu'avant la révolution, on faisait venir des hommes du ciel pour faire des nobles, et que la noblesse se recrutait ailleurs que parmi les roturiers ? Avant la révolution, les non-nobles étaient des roturiers, des vilains; sous Bonaparte, ils étaient des pékins ; les premiers étaient quelquefois menés avec le bâton; les seconds étaient plus souvent menés avec le sabre : il n'y a pas là de quoi s'enorgueillir. Avant la révolution, le prince le plus guerrier n'eut pas écrit, un homme n'est RIEN, s'il n'est précédé d'une réputation militaire;[65] il n'y a de vraiment imposant que la gloire militaire;[66] la gloire ne s'obtient que sur les champs de bataille;[67] j’ai fait un ordre qui honore les [184] administrateurs, parce qu'il a reçu, de mes soldats, un brevet d'honneur.[68] Attila n'eût pas tenu un autre langage.

Si Bonaparte a détruit les principes de législation que la révolution avait établis, il n'a pas mieux respecté les principes de politique extérieure. Par leur constitution de 1791, les Français avaient déclaré qu'ils renonçaient à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, et qu'ils n'emploieraient jamais leurs forces contre la liberté d'aucun peuple. Cette déclaration, faite par une assemblée qui ne reconnaissait aucune autorité au-dessus de la sienne, était incontestablement l'expression du vœu national : or, Bonaparte peut-il dire qu'il l'a respecté, lui qui, en paraissant en Italie, y prend le langage du maître; qui prétend qu'il n'était pas seulement chargé de gouverner la France, mais de lui soumettre le monde; qui donnait Venise à la Lombardie, et le Tyrol à la Bavière; qui asservissait des peuples pour les donner à ses frères ; qui s'empara de l'Italie, de Naples, de la Hollande, du Piémont, d'une partie de l'Allemagne, et qui fit une guerre atroce à l'Espagne et à la Russie, parce que la première ne voulut [185] pas recevoir le roi Joseph, et que la seconde ne voulut pas se laisser réduire à une complète nullité, et prétendit rester maîtresse chez elle?

Bonaparte prétend qu'il faisait la guerre pour porter les principes de la révolution dans les états dont il faisait la conquête; c’est une imposture grossière qu'il prend soin lui-même de réfuter. Lorsque le vieux roi d'Espagne eut été forcé d'abdiquer, le parti qui se trouva maître du pouvoir, ne demandait, dit Bonaparte (p. 92), qu'un gouvernement capable, et une autorité qui fût en état d'ôter la rouille qui couvrait ce pays, afin de lui rendre de la considération au-dehors, et de la civilisation au-dedans. Or voilà le parti qu'il a voulu détruire, pour lui substituer le roi Joseph et une cour digne de lui. Ses autres guerres n'ont pas eu un motif beaucoup plus élevé.

Releverons-nous maintenant les mensonges, les contradictions et les absurdités qui fourmillent dans son mémoire? Bonaparte dit que, lorsqu'il proposa d'élire trois consuls, les républicains se défièrent de sa proposition, parce qu'ils entrevirent un élément de dictature dans ce triumvirat;[69] qu'il accusa les Brutus du coin, de la conspiration du 3 nivose;[70] que les républicains [186] s'effrayèrent de la hauteur où le portaient les circonstances; qu'ils se défièrent de l'usage qu'il allait faire de son pouvoir;[71] et plus loin, il affirme que les républicains n'ont jamais redouté l'empire.[72] Il assure que le système sur lequel il avait fondé l'empire était ennemi né des anciennes dynasties; qu'il savait qu'entre elles et lui la guerre devait être mortelle;[73] et cependant, il soutient qu'il était de l'intérêt de ces dynasties de s'allier à lui, qu'il avait travaillé pour elles, et qu'en l'attaquant, elles ont abandonné le parti du trône.[74] Il dit qu'à son retour de l'île d'Elbe la France l'aimait comme son sauveur; que son entreprise lui avait rendu la confiance des Français; qu'il était de nouveau l'homme de leur choix;[75] et il convient cependant que la caste impériale se dégoûta de lui; que la foule de la nation leva les épaules; que les républicains se défièrent de son allure, parce qu'elle n'était pas naturelle; qu'il n'y avait plus de dévouement pour lui dans les chefs de l'armée, et enfin qu'il partit pour son quartier-général, seul contre le monde entier.[76]

Bonaparte, dira-t-on, a fait beaucoup de [187] fautes ; mais on ne peut pas l'accuser d'avoir été un sot et d'avoir eu de courtes vues. Peut-être. Un jour un empereur romain se met en tête qu'un homme qui gouverne un grand peuple doit nécessairement avoir une grande importance militaire: il forme en conséquence une nombreuse armée, rassemble ses machines de guerre, et se met en campagne. Il marche jusque sur le bord de la mer sans avoir vu un seul ennemi: ne pouvant aller plus loin, ne trouvant personne à tuer, et ayant un desir très-vif de se mettre en vue et d'attirer l'attention sur lui, il ordonne à ses soldats de ramasser des coquilles, et rentre dans sa ville avec les honneurs du triomphe. Si pour arriver à ses coquilles, cet empereur avait fait massacrer sept ou huit cent mille hommes, on aurait bien pu dire qu'il était un grand sabreur; mais nous ne pensons pas qu'on lui eût déféré le titre de grand génie. Si, à la manie de sacrifier des armées pour obtenir des résultats mesquins, ridicules ou absurdes, cet empereur eût joint l'égoïsme le plus impudent et le plus stupide; s'il eût été destitué de tout sentiment de morale et d'humanité; s'il eût commis et avoué les crimes les plus abominables pour arriver à une fin de laquelle ces crimes devaient l'écarter, on aurait pu lui conserver encore son titre de grand sabreur, mais on ne lui [188] eût pas donné le titre de grand homme ou de grand génie. Or cet homme, c'est Bonaparte ; ce serait Caligula, si Caligula avait été un donneur de batailles.

Suivez en effet Bonaparte depuis le commencement de sa carrière jusqu'à la fin ; comparez les objets qu'il s'est proposé aux sacrifices qu'il a faits pour les obtenir, et dites-nous ensuite s'il avait des vues beaucoup plus étendues que celles de l'empereur romain. Il forme le dessein d'aller en Egypte, et il sacrifie pour cela l’armée d'Italie et la marine française. Son but était, dit-il, de se mettre en évidence, de fixer l'attention pour rester en vue.[77] Avait-il un but plus grand que celui de l'empereur de Rome? Arrivé en Egypte, il tente la conquête de la Palestine et y perd une partie de son armée. Son objet était d'employer son temps à quelque chose.[78] N'aurait-il pas mieux fait de ramasser des coquilles? Il revient en France, rassemble une armée, et l'envoie à Saint-Domingue, bien convaincu que l'expédition ne peut pas réussir. Quel était son dessein ? il nous le dit lui - même, il voulait donner une pâture à la curiosité des oisifs.[79] N'eût-il pas beaucoup mieux fait d'imiter [189] Caligula ? Se trouvant désœuvré, il forme un projet de descente en Angleterre ; il conduit son armée à Boulogne; il fait des préparatifs qui coûtent à la France sept ou huit cents millions. Le motif de cette grande entreprise était de passer son temps, n'ayant rien de mieux à faire.[80] N'eût-il pas mieux fait de ramasser des coquilles? Pour notre malheur, la nature lui a donné un frère à demi-imbécille; il forme le projet d'en faire un roi, et l'envoie en Espagne, où il perd successivement trois armées sans pouvoir arriver à son but. Ne valait-il pas encore mieux qu'il ramassât des coquilles ? Enfin, il envoie une armée immense eu Russie, et elle y périt, parce que le grand homme n'a pas prévu qu'il y ferait froid en hiver. L'objet de cette expédition était, dit-il, d'exécuter un système qui n'était bon à rien s'il n'était pas complet,[81] et qui ne pouvait être complété que par une absurdité:[82] Bonaparte allait en Russie avec une armée formidable, pour empêcher la contrebande et brûler des marchandises anglaises.[83] Il eût mieux fait mille fois de ramasser des coquilles suèdes bords de la Méditerranée. On peut donc être un fort grand sabreur, et avoir des vues très-courtes, un esprit très-borné.

[190]

Bonaparte n'est pas seulement un esprit faux et un homme à courtes vues, il lui arrive aussi très-souveut d'être un sot. Nous pourrions en trouver de nombreux exemples dans son histoire; mais, pour ne pas trop nous écarter, nous ne les chercherons que dans son mémoire. L'homme qui sacrifie tout à ses passions, est un être essentiellement vicieux; mais l'homme qui fait parade de son égoïsme, est un être essentiellement sot. Celui qui commet un crime pour arriver à une fin dont ce crime doit l'éloigner, est un brigand et un esprit faux; mais quel titre donner à celui qui s'en vante ? Qui obligeait Bonaparte à nous dire qu'il s'était attaché à Barras, parce qu'il n'avait pas pu s'attacher à Robespierre ? Qui lui demandait l'aveu de l'assassinat du duc d'Enghien ? Ne pouvait-il pas dénier l'assassinat de Pichegru, sans dire, pour unique raison, que cet assassinat lui était inutile, et sans ajouter qu'il avait des juges pour le condamner et des soldats pour le fusiller ? Avait-il besoin, pour se justifier de l'expédition d'Espagne, de dire qu'il n'avait pas usé d'assez de perfidies pour tromper les Espagnols ?

Il ne faut cependant pas être injuste, et refuser au mémoire de Bonaparte toute espèce de mérite. Nous connaissions assez le caractère de celui qui en [191] est le héros, et le caractère de ses courtisans ; mais il y avait encore des hommes abusés que ce mémoire détrompera. Ils y verront que Bonaparte et les siens ont été les hommes, non des principes, mais des vices de la révolution, et qu'ils avaient tous fondé leur existence sur l'asservissement de la partie la plus saine de la nation. J'offris à la nation de la liberté, dit Bonaparte en parlant de son retour de l'île d'Elbe; cette liberté produisit son effet ordinaire … La caste impériale se dégoûta, parce que j'ébranlais le système auquel elle avait attaché ses intérêts.

Mais ce mémoire est-il véritablement de Bonaparte? Nous ne pouvons dire à cet égard que notre avis, puisque nous n'avons aucune preuve positive. Nous pensons donc qu'il est de lui; parce que nous ne croyons pas qu'il existe un autre homme capable d'avoir écrit de pareilles turpitudes. L'on y remarque quelques anachronismes; l'ordre des faits s'y trouve quelquefois interverti. Pour certaines personnes, c'est une raison d'en suspecter l'authenticité; pour d'autres, c'est une raison d'y croire. Si un autre homme que Bonaparte, disent celles-ci, avait fait ce mémoire, il ne l'aurait fait que les pièces sous les yeux, et ne serait pas tombé dans les erreurs qu'on y remarque.

[192]

Voici, au reste, l'avertissement que l'éditeur anglais a mis en tête du manuscrit:

« This work, which is equally distinguished by its spirit and its ingenuity, was given to the Publisher, with an assurance of its being brought from St. Helena, though an air of mystery was affectedly thrown round the mode of its conveyance.

» Whether it be really written by Buonaparte, or by some confidential friend, is a matter that must be left entirely to conjecture. It bears some resemblance to his style, more to his manner, and is altogether just what the ostensible Author, or and able apologist under his name, might be expected to say of his opinions, motives, and actions. «


Endnotes

[1] On lit entête de la brochure deux avertissemens,. un de l'auteur, l'autre de l'éditeur; nous allons rapporter ici le premier ; le second sera placé à la fin du manuscrit.

« Je n'écris pas des commentaires : car les événemens de mon règne sont assez connus , et je ne suis pas obligé d'alimenter la curiosité publique. Je donne le précis de ces événemens, parce que mon caractère et mes intentions peuvent être étrangement défigurés , et je tiens à paraître tel que j'ai été aux yeux de mon fils, comme à ceux de la postérité.

» C'est le but de cet écrit. Je suis forcé d'employer une voie détournée pour le faire paraître. Car s'il tombait dans les mains des ministres anglais , je sais , par expérience , qu'il resterait dans leurs bureaux. »

[2] Page 46.

[3] p. 59.

[4] p. 49.

[5] p. 14.

[6] p. 22.

[7] p. 22.

[8] p. 32.

[9] Page 34.

[10]p. 41

[11] p. 32.

[12] p. 37.

[13] p. 12.

[14] p. 14.

[15] p. 18.

[16] p. 27 et 28.

[17] p. 31.

[18] p. 32.

[19] p. 34.

[20] p. 35.

[21] p. 40.

[22] p. 61.

[23] p.64.

[24] p. 65.

[25] p. 66.

[26] p. 67.

[27] p. 70.

[28] p. 90.

[29] p. 93.

[30] Page 102.

[31] p. 103.

[32] p. 70.

[33] p. 109.

[34] p. 115 et 116.

[35] Page 122.

[36] p. 123.

[37] p. 124.

[38] p. 128.

[39] p. 137.

[40] Pages 143 et 144.

[41] p. 144 et 145.

[42] p. 144.

[43] p. 147.

[44] «Voici, avec la plus grande exactitude, dit M. Warden, l'extrait d'une conversation avec le général Bertrand, et dans laquelle, sur-tout au commencement, il manifesta une vive émotion. Il reconnut sans déguisement, et déplora en homme sensé l'excès de l'ambition de Bonaparte. ....

— » Napoléon, continua Bertrand, est réellement un homme rare et extraordinaire.

— » Cela n'est pas douteux; mais je voudrais voir en lui un peu plus de l'homme ordinaire. Si je le voyais caresser des enfans, comme vous faites votre Hortense et votre Henri ; si je le voyais jouer avec un chien, ou flatter un cheval de la main, j'éprouverais pour lui des sentimens tout différens de ceux qu'il m'inspire aujourd'hui.

— » Croyez moi, cher docteur, c'est un homme qui ne ressemble en rien aux autres.

— » Soit : mais, encore une fois, je voudrais qu'il eût quelques-unes de leurs qualités; je voudrais apprendre que l'an voit par fois se manifester en lui des sentiment tendres et affectueux, tels que ceux d'un bon père et d'un bon mari.

— » C'est ce que je puis vous certifier. La nature ne lui a pas refusé un cœur, dans le sens que vous y attachez. Mais il ne peut ni ne veut en faire parade. Peut-on attendre d'un tel homme quelque chose de frivole ou de puérile ? Or c'est ce que paraîtrait, dans un semblable caractère, l'aimable et gracieuse simplicité de la vie domestique : d'ailleurs les qualités individuelles de l'homme disparaissent en lui, aux yeux de ceux qui ne l'aperçoivent qu'environné de tout l'éclat de sa vie publique.

» Mais enfin, général Bertrand, tout cet éclat est maintenant éclipsé: et je voudrais, par intérêt pour lui, et pour l’honneur de la nature humaine, que l'on pût distinguer en lui quelque chose qui ressemblât à un sentiment affectueux. »

Correspondance de Guillaume Warden, chirurgien, à bord du vaisseau de S. M. britannique, le Northumberland, qui a conduit Napoléon Bonaparte à l'île de SainteHélène.— Edition de Bruxelles, pages 171—173.

[45] Page 31.

[46] p. 34.

[47] p. 73.

[48] p.58. Bonaparte se juge ici, comme nous l’avons jugé nous-mêmes, Censeur Européen, tome 1er, p. 41, 42, et 43.

[49] Page 27.

[50] p. 46.

[51] p. 6.

[52] p. 111.

[53] Les détails de cette conspiration se trouvent dans un mémoire publié en 1815, par F … B. ....

[54] Page. 33.

[55] Essai historique et critique sur la révolution française, ses causes et ses résultats, avec les portraits des hommes les plus célèbres, troisième édition, par M*** tome 3, pages 23 et suiv.

[56] Page 70.

[57] De la Monarchie française, par M. le comte de Montlosier, tom. 3, pages 320 et 321.

[58] Page 48.

[59] p. 53.

[60] p. 55.

[61] p. 82.

[62] p. 113.

[63] Page 56.

[64] p. 122.

[65] Page 22.

[66] p. 32.

[67] p. 37.

[68] Page 74.

[69] Page 32.

[70] p. 48.

[71] Page 49.

[72] p. 57.

[73] p. 80.

[74] p. 115.

[75] p. 142.

[76] p. 145 et 147.

[77] Page 27.

[78] p. id.

[79] p. 47.

[80] Page 52.

[81] p. 89.

[82] p. 111.

[83] p. 112.