Charles Comte, “Des sectes politiques. Dialogue entre un Royaliste, un Royaliste constitutionnel, un Républicain et un Métaphysicien.” Le Censeur. T. 1, No. 2. ( July 1814)

Charles Comte (1782-1837)  

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

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Source

[CC??], “Des sectes politiques. Dialogue entre un Royaliste, un Royaliste constitutionnel, un Républicain et un Métaphysicien.” Le Censeur. No. 2. (1-5 July 1814), pp. 41-57.

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Text

[41]

DES SECTES POLITIQUES.

Dialogue entre un Royaliste pur , un Royaliste constitutionnel , un Républicain et un Métaphysicien.

La philosophie , la religion et la politique ont produit un grand nombre des sectes ; mais la première est , je crois, la seule dont les divisions n'ont point ensanglanté la terre. Ce qui prouve, ce me semble , que si les philosophes se sont souvent égarés, ils sont du moins les seuls qui ont cherché la vérité de bonne foi , et qui n'ont pas été guidés dans leurs recherches par la soif des richesses et des dignités. Locke et Condillac ont paru ; et devant leurs sages écrits , les sectes philosophiques se sont dissipées comme des ombres devant la lumière. Bannis sans retour de la France et de l'Angleterre , elles se sont retirées, dit-on , en Allemagne, d'où elles seront encore bannies, aussitôt que les écrivains de cette nation daigneront se rendre compte de la valeur des mots qu'ils emploient.

Les sectes religieuses n'ont pas été si douces ; comme Jes sectaires avaient à discuter sur des mystères , sur des richesses et sur des honneurs, il leur était un peu plus difficile de s'entendre et de renoncer à leurs [42] prétentions. Cependant, après bien des discussions, des injures , des excommunications, des assassinats , des massacres et des guerres civiles , les fureurs se sont calmées; et, selon l'usage ordinaire , on a fini par où l'on aurait dû commencer; c'est-à-dire que , ne pouvant s'entendre, chacun est resté dans sa croyance, sans s'inquiéter de celle d'autrui. Un jour peut-être quelques rayons de la lumière que Locke et Condillac ont portée dans la philosophie tomberont sur les sectes religieuses ; alors elles disparaîtront à leur tour, et les hommes se rouiront sous le même culte. Cela doit arriver , n'en doutons pas , car toute secte est fille de l'erreur , et nulle erreur ne saurait être éternelle.

Aux fureurs des sectes religieuses ont succédé les fureurs des sectes politiques; et nous avons eu des royalistes purs , des royalistes constitutionnels , des aristocrates, des démocrates, des jacobins et des sansculottes. La plupart de ses sectaires n'ont été ni moins a'rdens dans leurs persécutions ou dans leurs vengeances que les sectaires religieux; car , tandis que les plus forts s'occupaient à proscrire les plus faibles, ceux-ci , pour soutenir l'autel et le trône, allaient exciter la guerre civile , ou piller les diligences. Enfin , après avoir commis beaucoup de crimes , répandu bien du sang , ils ont tous posé les armes, moins par raison que par lassitude! Maintenant chacun se presse autour du trône , et vient demander la récompense des nobles services qu'il a rendus à la patrie.

[43]

Ce temps de calme donne lieu à un nouveau genre de guerre ; c'est celle des pamphlets. Il n'est pas un écrivain, quelque chétif qu'il soit , qui ne veuille dire son mot sur le gouvernement qui convient à la France. Les uns, et ce sont les plus fanatiques , se proclament Royalistes Purs , et prétendent que les Français ont commis un crime abominable, quand ils ont eu l'audace de présenter une constitution à leur maître légitime. Les autres qui ne croient pas aux rois par la grâce de Dieu, sont fortement persuadés que nous devons avoir un Roi; mais ils soutiennent que nous n'avons point de, maîtres légitimes; que les rois n'existent que pour l'intérêt et par la volonté des peuples; et qu'ainsi c'est aux peuples seuls qu'appartient le droit de déterminer les règles suivant lesquelles ils veulent être gouvernés. Ceux-ci ont écrit sur la bannière qui précède leurs innombrables phalanges, Royalistes Constitutionnels. Il est une troisième secte qui ne fait point de pamphlets, et qui ne porte point de bannière: c'est celle de ces hommes sévères que le nom de Roi fait reculer d'horreur , et qui auraient banni jusqu'au Roi des sacrifices s'ils avaient eu le bonheur de.naître Romains. Ces derniers s'appellent des républicains.

Témoin d'une discussion qui s'est élevée le jour même où la constitution a été promulguée, entre un royaliste pur, un loyaliste constitutionnel, un républicain , et un métaphysicien qui voulait les concilier , je vais en faire part au public; cela me dispensera de l'examen particulier de tous les ouvrages [44] qui, depuis quelques jours, ont paru sur cette matière.

Le Royaliste pur. Enfin nous voilà revenus sous l'antique gouvernement de nos pères , sous ce gouvernement doux et paternel qui a fait leur bonheur et leur gloire pendant quinze siècles.

Le Républicain. Quoi! vous pouvez désirer de vivre sous un gouvernement monarchique! et ne savez vous pas que, suivant l'expression de Montesquieu , dans les monarchies, la politique fait faire les grandes choses avec le moins de vertu qu'elle peut ; que l'Etat subsiste indépendamment de l'amour pour la patrie , du désir de la vraie gloire, du renoncement à soi-même; que les lois y tiennent la place de toutes ces vertus dont on n'a aucun besoin et dont l'Etat vous dispense; que si dans le peuple , il se trouve quelque malheureux honnête homme, le cardinal de Richelieu, dans son testament politique, insinue qu'un monarque doit se garder de s'en servir. Tant il est vrai , ajoute Montesquieu , que la vertu n'est pas le ressort de ce gouvernement?

Le Royaliste pur. Il est vrai que, dans un gouvernement monarchique, la vertu est inutile; mais n'est-elle pas remplacée par l'honneur , c'est-à-dire par le préjugé de chaque personne et de chaque condition?

Le Républicain. Quel est donc ce misérable honneur dont vous nous parlez; et que peut-il produire de bon, puisqu'il se concilie avec tous les vices ? Ouvrez l'Esprit des lois, et vous lirez dans le chap. V du liv. III:

« L'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans [45] l'orgueil, le désir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie , la trahison , la perfidie, l'abandon de tous ses engagemens, le mépris des devoirs du citoyen , la crainte de la vertu du prince , l'espérance de ses faiblesses , et plus que tout cela, le ridicule perpétuel jeté sur la vertu , forment , je crois, le caractère du plus grand nombre des courtisans , marqué dans tous si les lieux et dans tous les temps. Or, il est très-malaisé que la plupart des principaux d'un Etat soient malhonnêtes gens, et que les inférieus soient gens de bien; que ceux-là soient toujours trompeurs, et ceux-ci consentent à n'être que dupes. »

Voilà quelles sont les mœurs d'une nation soumise à un gouvernement monarchique: et avec de telles mœurs , il est impossible que le peuple ne soit pas misérable , et que le gouvernement ne finisse pas par être renversé. On a cru, sur la foi de Montesquieu , qu'un gouvernement pouvait être soutenu par le préjugé de chaque personne et de chaque condition. Mais qu'en est-il arrivé? C'est que les lumières ont dissipé les préjugés; que dès-lors le trône s'est trouvé sans appui; qu'il s'est écroulé presque de lui-même; qu'il a entraîné dans sa chute tout ce qui l'environnait, et que les hommes qui avaient perdu leurs préjugés, mais qui avaient conservé leurs mauvaises mœurs , se sont déchirés entre eux comme des bêtes féroces. Pour rétablir la monarchie, il faudrait rétablir les préjugés , et cela est impossible ; il faut donc [46] que nous ayons un gouvernement républicain.


Le Royaliste pur. « Quoi ! du jacobinisme encore ? et du jacobinisme le plus pur , au moment même où la France se flattait d'avoir trouvé le terme des désastres et des forfaits qu'elle doit à la secte infernale! Ah ! vous êtes un homme déhonté , un pédant, un ignorant, un monstrueux jacobin qui.... prescindons.... .[4] » ( A ces mots le royaliste pur lança des regards effroyables sur le républicain , la colere le suffoqua , et vox faucibus haesit. )

Le Royaliste constitutionnel. Nous ne devons plus songer à établir une république en France : l'expérience que nous en avons déjà faite , doit nous en avoir dégoûtés pour toujours. Mais il ne faut pas non plus une monarchie qui soit comme autrefois , fondée sur l'inutilité de la vertu , sur les préjugés de chaque personne et de chaque condition , et sur les vices que Montesquieu reproche aux courtisans de nos anciens Rois. Il faut une constitution librement discutée par les représentans du peuple , et présentée à l'acceptation du Roi quelle nommera ; il faut en un mot une monarchie constitutionnelle.

Le Royaliste pur. Ah! qu'osez-vous proposer! Ne savez-vous pas qu'imposer des conditions à un Roi légitime , c'est l'abaisser; que le soumettre à prêter serment de la maintenir , c'est lui faire prendre le ciel à témoin de la plus honteuse des [47] capitulations; que nous souhaitons qu'il règne par la force, et qu'il ne cesse jamais d'être investi de la puissance la plus absolue ;[1] que l'église repousse de son sein ceux qui osent dicter des lois à celui de qui ils doivent en recevoir[2] ; que Louis XVIII même ne peut pas nous donner une nouvelle constitution; qu'il pourra, s'il le veut (ce dont Dieu nous préserve !) renoncer à son titre de roi de France; mais que la couronne des Bourbons est héréditaire par une constitution qui existe aujourd'hui dans toute sa force; qu'il ne' peut pas priver son digne frère et ses dignes enfans de l'hérédité à laquelle un vrai droit les appelle[3]; enfin que nous désirons tous une monarchie pure.

Le Métaphysicien. Vous dites de fort bonnes choses , je n'en doute pas. Toutefois , je dois vous avouer que je n'ai pas le bonheur de vous entendre.. Vous prononcez les noms de Roi, de Roi légitime, de monarchie pure, de monarchie constitutionnelle, de république, de droit à la couronne; voudriez-vous' m'expliquer le sens de chacun de ces mots?

Le Royaliste pur. Ouvrez le dernier écrit de M. de Chateaubriand, et vous y lirez, page 57, que les fonçons attachées au titre de Roi sont si connues des Français, qu'ils n'out pas besoin de se les faire expliquer; que le Roi leur représente aussitôt' l'idée de l'autorité légitime de l'ordre , de la paix, de la [48] liberté légale et monarchique. Les souvenirs de la vieille France , la religion les antiques usages, les mœurs de la famille, les habitudes de notre enfance , le berceau , le tombeau , tout se rattache à ce mot de Roi.

Le Républicain. Quel étrange galimathias ! Et que peuvent avoir de commun les fonctions de Roi avec les berceaux et les tombeaux ? Le mot Roi rappelle , dites-vous, les souvenirs de la vieille France; mais la féodalité, la torture , les épreuves au fer brûlant , ou à l'eau bouillante les rappellent aussi, est-ce une raison pour y revenir? Ce mot représente, l'idée l'autorité légitime ; mais qu'est-ce que l'autorité légitime , et comment l'idée de cette autorité se rattache-t elle au mot Roi plutôt qu'au mot République, Comment ce mot peut-il rappeler les habitudes de notre enfance? Croyez-vous que nous n'avons vécu qu'avec des Rois et que le gouvernement républicain , sous lequel tous les hommes qui sont aujourd'hui dans la force de l'âge ont été élevés , leur a donné des professeurs . pour leur inspirer l'amour de la royauté? Que,la définition de M. Cliâteaubriant soit bonne pour quelques vieux courtisans , élevés. avec des princes , je le conçois ; mais convenez qu'elle est absurde pour tous les Français..

Le Royaliste constitutionnel. La définition de M. C..... , ne donne pas une idée exacte du monarque ; Montesquieu en avait donné une idée plus juste en disant que le gouvernement monarchique est celui où un seul gouvêrne , mais par des lois fixes et établies.

Le Métaphysicien. Celte définition n'est ni plus [49] claire ni plus exacte que la précédente; car si le monarque gouverne par des lois fixes et établies, il s'ensuit que ces lois sont indépendantes de sa volonté, et que par conséquent ce n'est pas lui qui les fait. Il existe donc dans l'État un pouvoir antérieur au sien ; et ce pouvoir ne peut pas périr, puisque, s'il périssait, le Monarque , ou le Roi , ne gouvernerait plus par des lois fixes et établies. Quelles sont d'ailleurs les idées attachées au mot Gouvernement? Si ce mot signifie seulement celui qui fait exécuter les lois , il est clair que, dans tous les états possibles, il faut un chef qui gouverne par des lois fixes et établies.

Ls titre de Roi n'a point une signification absolue; car les idées qu'on y attache sont plus on moins étendues , selon que les institutions de chaque pays donnent à l'homme qui en est revêtu, des droits plus ou moins limités. Sparte avait des Rois héréditaires qui gouvernaient par des lois établies, et cependant on dit que Sparte était une république. La France avait des Rois héréditaires qui gouvernaient aussi par des lois établies, et cependant la France était une monarchie. Or, supposons que le pouvoir des Rois de Sparte se fût graduellement accru, on que celui des Rois de France eût graduellement diminué ; quel et le moment précis où Sparte serait devenue une monarchie, et où la France aurait été changée en une répnblique? La solution de cette question est sans doute de la plus haute importance; car, s'il faut en croire Montesquieu , au moment où l'Etat quittera le titre de république pour prendre celui de monarchie, les [50] citoyens doivent perdre leurs vertus , acquérir de l'honneur, c'est-à-dire des préjugés, et contracter tous les vices imaginables.

On ne sait donc pointée qu'on dit quand on demande un Roi: et on ne le sait pas mieux quand on demande une république. Montesquieu définit en effet le gouvernement républicain celui où le peuple en corps , ou seulement une partie du peuple, a la souveraine puissance. Mais, dans aucun pays, le peuple n'a jamais eu la souveraine puissance toute entière ; toujours il a été obligé d'en laisser une partie à ses magistrats ; or, s'il suffit qu'une partie du peuple partage la souveraine puissance pour que l'Etat soit une république, il est évident que la France et l'Angleterre sont aujourd'hui des républiques, puisque , sans le concours du peuple , aucune loi n'y peut être formée. Pourquoi donc les Français se sont-ils si cruellement déchirés entre eux pendant la révolution? pour des mots; les uns voulaient'qu'on appelât la France un Royaume , les autres voulaient lui donner le nom de République; et. c'est la différence de deux ou trois lettres, qui a été la cause originaire de la mort de cinq ou six millions de Français. Il est si vrai qu'on ne s'est battu que pour des mots, que si aujourd'hui quelqu'un voulait donner à la France le nom de république et au Roi le titre de consul ou de président, sans rien changer an fond de nos institutions , il occasionnerait probablement une guerre civil.

Cependant, écoutez nos graves jurisconsultes, et vous lea entendrez raisonner sur ces deux mots de [51] roi et de monarchie, comme si dans la nature il existait des êtres de ce nom, indépendans des instituions humaines. L'un vous dira gravement que la justice est une émanation du Roi, l'autre vous soutiendra qu'il est de l'essence de la monarchie d'avoir des nobles, des droits féodaux, et des justices seigneuriales et ecclésiastiques; un troisième dira que de leur nature les Rois sont toujours mineurs; en un mot, on ne xfait que réaliser des abstractions, et leur donner des attributs qui doivent résulter, non de tel ou tel mot, mais des lois constitutionnelles de l'État.

Le Royaliste pur. Prétendez-vous, à l'example de tant d'autres, contestrer les droits et l'autorité du Roi légitime, pour établir ceux de l'usurpateur?

Le Métaphysicien. Je ne conteste rien, et si j'osais prétendre quelque chose, ce serait qu'on cherchât à s'entendre quand on dispute. Je crois avoir démontré que le mot roi ne rappelle pas lui-même aucune idée déterminée; et il me semble que la signification du mot légitime, n'est pas beaucoup mieux fixé. Jusqu'ici j'avais cru que ce mot signifiait conforme à la loi; d'où j'avais conclu qu'un Roi ne pouvait être légitime qu'autant que son autorité était fondée sur les lois de l'Etat; et comme it me semblait que les lois étaient antéterieures aux Rois légitimes, et qu'elles ne s'étaient pas faites elles-mêmes, j'avais pensé qu'elles devaient être l'ouvrage des nations; ce qui m'amenait naturellement à cette conséquence, que si les peuples avaient eu le droit de faire les lois et [52] des Rois légitimes, ils avaient pu également les défaire et en faire d'autres à leur volonté. Je tenais d'autant plus à cette opinion , qu'il aurait été cruel pour moi de penser que nos pères avaient commis un crime énorme en chassant du trône l'indigne descendant de Charlemagne pour y placer Hugues Capet, et que je ne pouvais pas me résoudre à considérer cet illustre Monarque comme un usurpateur.

Mais depuis deux mois mes idées ont bien changé; nos écrivains, grands et petits, m'ont appris que j'étais dans l'erreur : je vois clairement aujourd'hui qu'un roi légitime, est un homme qui tient les rênes du gouvernement et qui donne des places, des pensions et des rubans ; et qu'un usurpateur est celui qu on a chassé du trône et qui ne peut plus rien donner. Il est vrai que tout le monde n'attache pas le même sens à ces mots; mais il faut espérer que , puisque nos écrivains et nos magistrats ont réformé la langue les membres de l'institut se hâteront d'en réformer le vocabulaire.

Le Royaliste pur. Vous calomniez nos écrivains, nos magistrats , et surtout notre illustre noblesse; car vous ne pouvez pas ignorer que , s'ils ont servi la cause de l'usurpateur , s'ils lui ont prodigué des louanges , ils n'en désiraient pas moins, en secret, le retour de nos princes légitimes. D'ailleurs nos grands écrivains, tel par exemple que M. Chateaubriand, ne l'ont jamais loué , comme vous pouvez vous en convaincre par son dernier écrit.

Le Républicain. Ouvrez le Génie du Christianisme, [53] cet ouvrage fameux dans lequel on prouve que Racine n'aurait pas fait sa tragédie de Phèdre s'il n'avait pas cru à la Ste.-Vierge; et vous lirez dans la préface :

« Je pense que tout homme qui peut espérée de trouver quelques lecteurs , rend un service à la société, en tâchant de rallier les esprits à la cause religieuse; et, dût-il perdre sa réputation, comme écrivain, il est obligé, en conscience, de joindre sa force, toute petite qu'elle soit, à celle de l'homme puissant qui nous a retirés de l'abîme.

» Celui , dit M. Lalliy-Tolendal, à qui toute force a été donnée pour pacifier le monde , à qui tout pouvoir a été confié pour restaurer la France , a dit au prince des prêtres , comme autrefois Cyrus : Jehovah, le dieu du ciel, m'a livré les royaumes de la terre,[5] et il m'a commis pour relever son temple. Allez , montez sur la montagne sainte de Jérusalem, rebâtissez le temple de Jehovah.

» A cet ordre tous les Juifs , et jusqu'au moindre d'entre eux, doivent se hâter de rassembler les matériaux pour la reconstruction de l'édifice. Obscur Israélite, j'apporte aujourd'hui mon grain de sable. »

Vous voyez que l'obscur Israélite, M. de C. . , qui se hâtait de seconder le nouveau Cyrus auquel le ciel avait donné les royaumes de la terre, ne le considérait pas alors comme un usurpateur; ce qui semblerait prouver en effet qu'un usurpateur est un Roi détrôné dans le langage moderne.

[54]

Le Royaliste pur. Ah! sans doute, quand M. de C.... écrivait cela, le tyran n'avait pas assassiné le duc d'Enghien , étranglé Pichegru, exilé Moreau , arrêté le roi d'Espagne, etc., etc.

Le Républicain. Je l'ignore; mais voici ce qu'on lit dans le fameux discours qui devait être prononcé devant l'institut, et dans lequel M. de C... montra tant de courage contre M. de Chenier, quand il fut mort.

« Mais quel temps ai-je choisi, Messieurs, pour vous parler de deuil et de funérailles? Ne somme-snous pas environnés de fêtes ? Voyageur solitaire, je m'éditais , il y a quelques jours , sur la ruine dés empires détruits, et je vois s'élever un nouvel empire. Je quitte à peine les tombeaux où dormaient des nations ensevelies , et j'aperçois un berceau chargé des destinées de l'avenir. De toutes parts retentissent les acclamations du soldat. César prépare son triomphe ; les peuples racontent des merveilles. Les monumens élevés , lés cités embellies, les frontières de la patrie baignées par les mers bienfaisantes qui portaient les vaisseaux des Scipions , et par les mers reculées que ne vit pas Gernianicus.

» Taiidis que le triomphateur s'avance, entouré de ses légions , que feront les tranquilles enfans des muses? ils marcheront à la tête du char pour lui rappeler qu'il' sst homme, et mêler aux chants guerriers les touchantes images qui faisaient pleurer Paul Emile sur les malheurs de Persée.

» Et vous, fille des Césars , sortez de vos palais. avec votre jeune fils dans vos bras, venez ajouter [55] la grâce à la grandeur ; venez attendrir la victoire, et tempérer l'éclat des armes par la douce majesté d'une reine et d'une mère. »

Le Royaliste pur. Tous, ces discours ne prouvent rien, et je suis bien persuadé qu'au moment où il les écrivait, M. de C..... disait au fond de son cœur:

« Buonapatie est un faux grand homme; la magnanimité qui fait les héros et les véritables rois , lui manque. De-là vient qu'on ne cite pas de lui un seul de ces mots qui annoncent Alexandre et César ....... La France sera-t-elle une propriété forfaite? Doit-elle demeurer à un Corse par droit d'aubaine? Ah! pour Dieu , ne soyons pas trouvés en telle déloyauté, que de déshériter notre naturel seigneur, pour donner son lit au premier compagnon qui le demande... Et les Bourbons y sont-ils? Où sont les prince?2, viennent-ils? Ah! si l'on voyait un drapeau blanc ..... L'horreur de l'usurpateur est dans tous les cœurs. Il inspire tant de haine que.....[6] »

Ici le royaliste pur fut interrompu par une personne qui vint nous donner lecture de la charte constitutionnelle : et comme on devait bien s'y attendre, elle ne satisfit ni le républicain , ni le royaliste constitutionnel , ni le royalisme pur. Quoi! disait le premier, l'an dix-neuvième de notre règne ....!Ah! quelle indignité! disait le second; nous avons concédé , fait concession et octroi ..... Dieu ! disait le troisième, tout est donc perdu; les biens de l'église et les biens des émigrés ne seront point rendus; et, [56] pour comble d'horreur , le roi ne pourra pas, à son gré, lever des impôts sur ses sujets , pour récompenser ses fidèles serviteurs. Non, cela ne peut pas tenir... Allons trouver M. Dard ou M. Falconet, ils ont des talens et du courage, et ils sauront bien démontrer à la nation que cette charte constitutionnelle est contraire au droit divin, et qu'elle ne peut se concilier ni avec le droit canon ni avec les décisions des papes.

Messieurs, dit le métaphysicien, n'allez pas allumer de nouveau la guerre civile pour des mots, ou pour des biens que vous ne sauriez obtenir. Vous vous affligez que le Roi ait daté la charte constitutionnelle de la dix-neuvième année de son règne; mais qu'est-ce que cela signifie? Si le rédacteur a voulu dire par ces mots, qu'il y avait dix-neuf ans que le prince qui nous gouverne avait pris le titre de Roi de France, je ne vois pas pourquoi vous vous en affligeriez si fort ; car ce fait, qui vous est absolument étranger , ne peut blesser ni vos droits ni vos intérêts. Que si le rédacteur de la charte constitutionnelle a voulu dire que le Roi nous gouvernait depuis dix-neuf ans , tout ce que nous pouvons en conclure, c'est que cet homme, quel qu'il soit, arrive probablement de quelque île déserte, où il aura ignoré tout ce s'est passé en Europe depuis vingt-cinq ans.

Vous vous plaignez de ce que le préambule porte que le Roi octroie et concède la charte constitutionnelle : mais ce n'est encore là qu'une erreur de fait. Lisez la constitution de 1791 acceptée par LouisXVI, [57] et la constitution de l'an 8, et vous verrez qu'elle garantissent aux Français tous les droits qui sont consacrés par la nouvelle charte. N'allez donc pas vous embarrasser dans de nouvelles disputes; songez que le temps que vous emploierez à défendre la constitution, sera plus utile à la France que celui que vous emploieriez à la critiquer. Que si vous croyez qu'elle renferme quelques défauts , vous pouvez en solliciter la correction auprès de la chambre des députés; mais, en attendant, obéissez aux lois et servez la patrie. Pour vous , monsieur le royaliste pur, craignez de souiller votre pureté, en faisant voir à toute la France que les marques d'attachement que vous avez données an Roi légitime, n'avaient pour objet que de couvrir votre cupidité.

 


 

Endnotes

[1] Adresse de la ville de Nîmes.

[2] Discours de l'évèque de Mende.

[3] Du principe de l'Obstination des Jacobins par l'abbé Barruel.

[4] Du Principe et de l'Obstination des Jacobins, par l'abbé Barruel.

[5] II ne les a donc pas usurpés.

[6] Bourbons, par M. de Chateaubriand.