Charles Comte, "De l'Autorité légitime et du gouvernement parlementaire” (Le Censeur,T. 5, March 1, 1815)

Charles Comte (1782-1837)  

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

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Source

[CC??], “De l'Autorité légitime et du gouvernement parlementaire” Le Censeur, T. 5, (March 1, 1815), pp. 32-52.

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DE L'AUTORITÉ LÉGITIME ET DU GOUVERNEMENT PARLEMENTAIRE.

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Les journaux ministériels et les écrivains du jour, partisans de la royauté absolue, font retentir presque à chaque phrase les mots d'autorité légitime, sans nous expliquer ce que c'est que cette autorité. Nous savons seulement que ceux qui l'ont en main prétendent la tenir de Dieu : ils nous le répètent dans tous leur actes, pour que personne n'en doute ; mais, instruits par l'histoire que les erreurs les plus grossières ont tour à tour obscurci l'esprit humain, nous sommes excités par la défiance ;et, suivant les principes de Descartes, nous voulons examiner avant que de croire.

Les forts de la terre en ont imposé à nos ancêtres par des augures et des oracles; les tyrans les plus injustes, des monstres qui ont fait le malheur des générations, se sont [33] toujours associé Dieu, pour inspirer la soumission et la crainte. Alexandre se fait déclarer fils de Jupiter Amnon ; de nos jours même une bouteille d'huile descendue du ciel rendait nos rois sacrés et inviolables. Il serait trop long de rapporter toutes les erreurs qui ont été employées jusqu'à ce jour pour appuyer le despotisme ; nous nous hâtons de poser la question.

Qu'est-ce qu'une autorité légitime ; ou, pour mieux commencer, qu'est-ce que l'autorité?

L'autorité est le droit de commander joint au pouvoir de se faire obéir; le droit doit toujours être accompagné du pouvoir; car l'effet de l'autorité cesse aussitôt qne le pouvoir manque; mais l'autorité ne doit avoir de pouvoir que celui des individus sur qui elle s'applique, et ceux-ci ne le donnent qu'autant que l'autorité agit à leur gré et pour leur avantage. Toute autorité suppose donc le consentement de ceux sur qui elle s'applique ; et quand le consentement cesse, le pouvoir doit cesser aussi, et l'autorité s'évanouit, à moins que celui qui l'a en main [34] n'établisse une force étrangère à la société qui lui soit propre. C'est une force de cette nature qui constitue toujours l'autorité de la tyrannie et du despotisme. Telle est l'autorité des conquérans sur les peuples conquis -; celle des Alexandre, des Tamerlan, des Tamas Koulikan; celle des tyrans, tels que Néron, Caligula; des brigands, tels que les pirates d'Alger et de Maroc, des assassins et des voleurs de grand chemin. Cette autorité peut-elle être appelée légitime? est-ce celle qu’on veut faire descendre du ciel? Voudrait-on la rendre complice de toutes les horreurs qu'elle a commises? Elle est, à la vérité, fondée sur la force, et la force vient de Dieu! Mais le pouvoir de celui qui assassine un tyran vient aussi de Dieu ! Mais le pouvoir d'un peuple désespéré qui chasse un roi ou qui le fait périr sur l'échafaud vient encore de Dieu ! Faut-il donc associer Dieu à tous les crimes de la terre, et suffira-t-il d'être le plus fort pour avoir le droit de commettre les actions les plus horribles? Quelle morale! quelles conséquences ! Si Dieu avait confié l'autorité à quelqu'un pour commander aux [35] hommes, celui-là devrait être d'une nature supérieure; et ses intérêts particuliers ne devraient jamais se trouver en opposition avec l'intérêt de ses sujets ; il serait juste par sa nature; il aurait la force inhérente pour se faire obéir. Que ceux qui nous disent avoir une mission du ciel nous en donnent des preuves. Ne sont-ils pas hommes? sont-ils plus justes? Qu'on lise l'histoire. Auraient-ils des lettres de commandement? Qu'ils les fassent enregistrer. Mais non ; ils ne peuvent donner aucune preuve, et ils ordonnent de les croire sur parole!

Pour savoir quelle est l'autorité qui doit gouverner l'homme en société, il faut examiner quelle est sa nature. Chaque homme isolément possède la faculté de veiller à sa conservation et de chercher son bien- être particulier. Pour choisir les moyens, il a sa raison ; pour les appliquer, il a sa force individuelle. Les hommes, en se réunissant en société, n'ont pas changé de nature ; ils ont en masse conservé les mêmes facultés; ils ont mis en commun la raison et la force pour veillera leur conservation et à leur bien-être ; [36] la raison commune doit choisir les moyen ; la force commune doit les appliquer, la raison commune doit donc faire la loi; et le magistrat qui est approuvé par elle pour la faire exécuter, n'a pas le droit d'y substituer sa volonté arbitraire ; il ne peut que commander en son nom; il ne peut employer d'autre force que la force commune : s'il y substituait une force étrangère à la nation, il serait dangereux à l'état, il pourrait acquérir l'autorité des despotes et opprimer la nation.

La force qui soutient l'autorité des gouvernemens despotiques est de trois sortes; celle des soldats mercenaires, celle de la corruption, celle de l'ignorance et des préjugés. C'est avec ce triple ressort qu'une trentaine d'hommes se sont emparé de toute l'espèce humaine pour en faire leur propriété; c'est de là que découlent tous les malheurs de la civilisation; mais ces ressorts doivent être brisés par les progrès de l'esprit humain et de la raison, lorsque les lumières sont répandues dans toutes les classes de la société. La force des soldats mercenaires disparaît devant la force nationale mise en mouvement [37] par un mécontentement général. La force de corruption est contenue par la masse des hommes éclairés que le gouvernement n'a pas le moyen de corrompre. La force d'ignorance et de préjugé disparaît devant le progrès des lumières et de la raison. D'après cela nous osons nous flatter que l'Europe ne peut pas rester plus long-temps soumise à l'autorité absolue. Les rois peuvent essayer encore leur dernière ressource en cherchant d’arrêter les progrès de l'esprit humain ; ils peuvent abolir la liberté de la presse, circonscrire l'instruction publique, rappeler les moines, favoriser les prêtres, leur rendre à tous leurs anciennes richesses et leurs anciens priviléges (à ce prix, ces pieux personnages s'associeront à eux pour obscurcir la raison et ressusciter les préjugés); ils peuvent essayer d'accumuler les propriétés dans les mains de quelques classes privilégiées; ils peuvent faire des lois fiscales, établir des régies, afin de détruire le commerce et l'industrie, et de replonger le peuple dans une misère abrutissante ; mais osent-ils concevoir l'espérance de réussir? Une pareille [38] entreprise ne révolterait-elle pas tous les peuples? Elle rencontrerait encore d'autres obstacles; tous les rois devraient agir de concert pour l'exécution d'un tel projet, mais ils sont divisés d'intérêt, et leur réunion est impossible; d'ailleurs, il y a des nations libres sur le globe, il faudrait les ramener sous le joug du despotisme, ce qui n'est pas en leur pouvoir ; sans cela, les maîtres orgueilleux des peuples asservis ne seraient eux-mêmes que des esclaves couronnés, des marchands de Londres, et des citoyens des Etats-Unis d'Amérique.

Que les écrivains défenseurs du royalisme absolu cessent donc de nous prêcher cette doctrine; ils ne peuvent pas faire rétrogader l'esprit humain, ils ne peuvent pas même arrêter sa marche, il ne tient pas à eux de faire que l'imprimerie, que la navigation, que la poudre à canon ne soient pas inventées ; ce temps est passé, où une poignée de nobles, encaissés dans leurs armures de fer et montés sur de pesans chevaux, écrasaient sans danger des troupeaux de vilains qui n'avaient pas le moyen de les combattre à armes [39] égales. Les progrès de l'esprit humain sont l'ouvrage de la nature ; les sciences et les arts en sont découlés, il est aussi impossible de les plonger dans l'oubli que de faire remonter les fleuves vers leurs sources. L'état où nous sommes serait le pire de tous; nous pourrions regretter les temps passés avec les royalistes purs ou impurs, mais il faudrait nous soumettre aux rigueurs du destin. Cependant la liberté des peuples, que le siècle nous amène, est-elle donc un si grand mal? le gouvernement despotique serait-il le meilleur des gouvernemens ? Linguet aurait-il eu raison? les habitans de Constantinople seraient-ils plus heureux que ceux de Londres et Philadelphie?

Rentrons dans la question : nous avons dit que la loi seule était l'autorité légitime; que, lorsque le magistrat chargé de son exécution y substituait sa volonté arbitraire, l'autorité cessait d'être légitime, et la nation tombait sous le despotisme; mais ce qu'on croit être une loi, n'est pas toujours une véritable loi. La véritable loi doit être l'expression du vœu général, ou au moins celui de [40] la majorité. Si un peuple pouvait se réunir en masse, et qu'il pût voter avec connaissance de cause sans être trompé ni influencé, là loi serait toujours l'expression de la volonté générale; cela étant impraticable, on est obligé de recourir à la représentation, mais la représentation est souvent fausse: elle l'est si les représentans se laissent corrompre par les ministres, s'ils ont des intérêts opposés à ceux des représentés, enfin s'il y a quelque classe d'hommes qui ne soit pas représentée. On peut obvier à ces vices par la publicité des séances des représentans, par le droit accordé à tout citoyen d'adresser des pétitions et des mémoires, par l'entière liberté de la presse, qui est nécessairement le complément de la représentation. Avant de mettre un projet de loi en discussion, il devrait être rendu public,afin que chaque citoyen, après en avoir pris connaissance, pût faire part de ses observations à ses représentans. Il faudrait que les ministres fussent responsables du crime de corruption ; car ils ne sont pris moins coupables en achetant des lois qui détruisent la liberté ; que s'ils faisaient [41] marcher du corps d'armée pour remplir le même but; il y aurait tout au plus entre ces deux crimes la seule différence qu'il y a entre un vol sur un grand chemin, commis avec violence, et un vol fait avec adresse à l'entrée de l'opéra. Les colléges électoraux, à chaque réunion, devraient être autorisés à faire publiquement l'éloge ou la censure de leurs représentai qui, ayant terminé leur mission, rentrent dans la classe de simples particuliers.

On ne saurait trop prendre de mesures pour s'assurer de la bonté de la représentation. Si elle est fausse, il n'y a point de liberté; que dis-je, le despotisme n'en est que plus affreux, caché sous le masque trompeur des institutions. Le peuple, obéré par tant d'impôts, absorbé par le luxe du gouvernement et l'inutilité de beaucoup d'emplois, est encore obligé de fournir, aux dépens de sa sueur, les moyens de corrompre ceux qui doivent le protéger.

La nation qui est mal représentée n'est pas à l'abri des secousses; elle marche au contraire de révolution en révolution, car l'opinion publique n'accompagne pas ses lois; et [42] les partisans du despotisme, forts par le mal qu'ils ont causé, disent alors que la liberté est une abstraction, et que le pouvoir absolu peut seul gouverner les hommes. La nation qui est bien représentée jette au contraire les fondemens d'une autorité légitime inébranlable; elle est à l'abri de toute révolution, ou, pour mieux dire, elle s'établit en révolution permanente, mais douce, mais progressive, afin de suivre sans secousse les progrès de la raison, et les variations de l'opinion.

Il est aisé de distinguer la véritable représentation de la fausse. La véritable ne produit que des lois conformes à l'opinion publique. Ainsi, toutes les fois qu'il paraît une loi que l'opinion réprouve, on peut dire à coup sûr que la représentation qui l'a produite est fausse.

Il résulte de ce que nous venons de dire, que, pour établir une autorité légitime inébranlable, il faut une bonne représentation qui soit toujours l'organe de la volonté générale ou de la raison commune, qui seule a le droit de faire la loi. Mais, pour que cette [43] raison commune puisse s'exprimer ou se former en corps d'esprit public, il faut un bon système d'éducation publique, et la liberté de la presse, afin que les individus épars puissent se communiquer leurs idées, et les transmettre à la connaissance des représentons. Il faut aussi une force commune bien organisée ; sans elle, les lois pourraient être entravées dans l'exécution et le magistrat chargé de les appliquer, pourrait, en employant une force étrangère, leur substituer sa volonté arbitraire. Il faut aussi que la nation puisse se défendre contre les ennemis extérieurs, et elle ne peut être à l'abri de tout danger que par une bonne organisation de la force commune. On doit soupçonner les intentions d'un premier magistrat qui, sous prétexte de vouloir donner du repos à la nation, n'aurait sur pied que des troupes mercenaires et étrangères, et qui ferait commander ces troupes par des hommes privilégiés et distincts dans la société ; ainsi toute force étrangère doit être suspecte à une nation qui veut maintenir sa liberté.

Après avoir exposé ce que c'est qu’une [44] autorité légitime, et assigné les moyens de l'établir sur des bases solides, nous conviendrons cependant que, dans l'état où se trouvent actuellement les peuples de l'Europe, il faut dans le gouvernement un contre-poids modérateur de l'opinion. Sa marche trop hardie pourrait nous plonger dans l'anarchie; il faut la modérer, mais il ne faut pas la faire rétrogader ni l'arrêter entièrement. Le gouvernement parlementaire, tel que celui que nous avons, remplit parfaitement le louable but de modérer l'esprit de réforme, et d'arriver sans secousse à la hauteur de l'opinion. Si les représentans veulent marche trop vite, le roi et la chambre des pairs ralentissent leur marche. Une constitution parlementaire peut être comparée à un char qui doit descendre une rampe ; le charretier enraye une roue, met des chevaux en arrière pour retenir; mais il n'arrête pas entièrement la marche du char, il fait son chemin peu à peu vers le gîte, il ne met pas tous ses chevaux pour tirer en arrière et rétrogader. Cette comparaison nous a paru propre à expliquer le mécanisme des trois pouvoirs législatifs [45] du gouvernement parlementaire, que nous croyons être celui qui convient le mieux aux peuples de l'Europe. Il est donc nécessaire, avec une telle forme de gouvernement, qu'il y ait deux partis, celui qui veut marcher en avant, et celui qui retient; mais comme il faut suivre l'opinion publique, le parti modérateur doit lâcher à propos. Mais si les représentations de la chambre des députés est fausse, soit par corruption, soit par esprit de parti, soit par faiblesse, et qu'elle se joigne au parti ministériel, alors tout tire dans le même sens, le gouvernement rétrograde vers le despotisme, et l'opinion publique alarmée replace l'état sur le volcan des révolutions. Si les ministres veulent éviter ce danger, qu'ils cessent de corrompre ou d'influencer; que les représentans, avant de voter, examinent si la loi qu'on propose est approuvée ou repoussée par l'opinion publique, et. qu'ils votent en conscience sans avoir égard à aucune autre considération.

Si la représentation actuelle était une véritable représentation, il faudrait convenir que l'esprit de liberté doit être bien général en [46] France. puisque le choix en ayant été fait sous l'influence tyrannique de Bonaparte, il ne se serait pas trouvé dans sa nombreuse population assez de partisans du pouvoir absolu pour composer à son gré une assemblée de députés, et donner par là à ses actes une apparence de légitimité. On s'aperçoit bien que cette assemblée se ressent des vices du choix; cependant il faut convenir qu'il y a encore une masse assez imposante qui marche dans le sens de l'opinion publique, et qui a entravé les projets des ministres dans plusieurs circonstances.

Mais si la loi est la seule autorité légitime, qu'est-ce donc que le roi dans un gouvernement parlementaire?

Le roi est le magistrat suprême chargé de faire exécuter la loi et de diriger la force commune. Ses fonctions sont grandes, importantes et sacrées; il est le levier social, le point d'appui de l'ordre, de la sûreté et de la stabilité; il doit être environné de respect et d'amour. Les marches du trône doivent être rendues inaccessibles par l'hérédité, afin de comprimer toutes les ambitions, et pour [47] donner à l'état une stabilité invariable. Mais ce culte, ce respect, cette prérogative héréditaire ne doit jamais devenir un prestige nuisible à la liberté. C'est pourquoi le roi doit avoir le pouvoir de faire le bien et non celui de faire le mal; et, pour atteindre ce but, la royauté doit être divisée en deux parties. La royauté de représentation et de culte politique, qui est toute entière dans la personne du roi ; la royauté executive qui appartient aux ministres. Dans la royauté de représentation et de culte politique, on adore, pour ainsi dire, dans la personne du roi, la raison commune ou la loi et la force commune, ainsi qu'on adorait autrefois le Temps dans Saturne et la Sagesse dans Minerve. Mais pour que le roi soit inviolable, et que le culte qu'on lui rend ne soit pas absurde et dangereux, il faut que la royauté executive ou les ministres soient responsables envers la nation ; sans cela, le gouvernement, quoi qu'il fût, ne serait qu'un despotisme plus ou moins déguisé par des institutions trompeuses. De là on doit conclure que le roi ne peut pas se mettre en personne à la tête des armées,[48] parce que les ministres ne peuvent pas lui transmettre des ordres; s'il entreprenait quelque chose contre la liberté ou la sûreté de l'état, la responsabilité ne pourrait pas peser sur eux. Dans cette hypothèse, le roi cesserait d'être inviolable, ainsi que dans toutes celles où les ministres seraient décharges de la responsabilité.

La chambre des pairs, dans un gouvernement parlementaire, est la partie aristocratique de ce gouvernement. Elle est intermédiaire entre la partie royale et la partie démocratique, qui est la chambre des députés. Le but de sou institution est d'arrêter la tendance de la royauté vers le despotisme, et la tendance de la chambre des représentans vers la démocratie-pure. C'est dans cette chambre que doivent s'engloutir les grandes fortunes, les ambitions de toute espèce, les grandes réputations qui pourraient troubler l'état, si ceux qui les possèdent étaient admis dans la chambre des représentans : la pairie est donc une espèce d'ostracisme politique. Il faut que le sort des pairs soit si brillant et si assuré, qu'ils n'aient plus rien à désirer que de s'y maintenir; [49] l’hérédité nous paraît nécessaire pour qu'ils paissent bien remplir le but pour lequel ils sont établis. Ils ne doivent avoir besoin ni de la faveur du roi ni de celle du peuple; leur existence doit être indépendante. Sous ce rapport, il nous paraît qu'il manque encore quelque chose à la pairie de France, par exemple, de grands majorats, et sur-tout le sentiment de leur dignité, qui ne peut naître que de leur entière indépendance. Il, est inconvenant que des pairs sollicitent à la cour des fonctions infiniment au-dessous de leur rang. Un pair ne doit être que pair ; toutes les autres fonctions le dégradent, excepté le ministère, qui fait partie de la royauté.

Il serait possible de trouver une forme de gouvernement théoriquement meilleur que le parlementaire; mais il faut gouverner les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être. C'est pourquoi nous n'hésitons pas de croire que le gouvernement parlementaire, tel que nous l'avons dépeint, est celui qui convient le mieux aux vieilles nations de l'Europe, corrompues et divisées par des [50] anciennes institutions, des anciennes habitudes et des préjugés qu'on ne saurait détruire lout-à-coup sans porter atteinte à la civilisation.

Ce qui a prolongé les troubles de la France, c'est l'impossibilité de l'établissement de la pairie dès le commencement de la révolution. Sous Louis XVI, les possesseurs de grandes fortunes et de grands noms étaient opposés aux changemens du gouvernement et ne pouvaient pas être employés à arrêter la tendance de la royauté vers le despotisme; ils lui auraient au contraire donné de nouvelles forces; et, avec une telle pairie, la liberté de la nation n'aurait pu s’établir. La chambre des pairs a donc dû manquer à nos premières institutions; et, par cela seul, la partie démocratique du gouvernement a dû culbuter la partie royale. La France se trouve aujourd'hui dans une meilleure position. Le cours de notre révolution a mis en évidence des noms ignorés autrefois, et de nouvelles réputations acquises à juste titre qui peuvent fournir les élémens de la pairie. Quelques noms fameux dans l'ancienne monarchie peuvent être mêlés dans cette institution avec [51] les nouveaux ; mais si la balance n'est pas en faveur de ceux-ci, la pairie penchera trop vers la royauté et cherchera à culbuter la partie démocratique; ainsi le but serait manqué, et nous tomberions dans le despotisme, ou nous serions entraînés dans de nouvelles révolutions.

En rapprochant la révolution d'Angleterre de la révolution Française, on s'aperçoit que l'Angleterre a été mieux servie que nous par le hasard. Les nobles et le peuple étaient réunis contre la royauté; ainsi les Anglais eurent de suite les élémens propres à former leur pairie; et si leur révolution s'est prolongée si long-temps, c'est que la royauté ne voulut pas se tenir dans les limites de son pouvoir; sa lutte opiniâtre fit chasser les Stuart et appeler sur le trône le prince d'Orange, qui, étranger à tous les partis, laissa à chaque chambre ses pouvoirs, et sut se contenir dans les limites de la royauté parlementaire; c'est lui qui consolida le gouvernement anglais, qui fait aujourd'hui notre envie, et qui a porté cette nation au plus haut degré de gloire et de prospérité. L'histoire du passé [52] peut faire naître bien des réflexions; et fa France devrait profiter des leçons de l'expérience que nous fournit celle d'un peuple voisin. Nous n'avons pas à craindre de retomber sous le despotisme : l'opinion prononcée de la nation et celle de tous les peuples de l'Europe qui tendent à améliorer leurs gouvernemens nous en donnent une garantie assurée; mais nous pouvons avoir encore de nouvelles secousses qui prolongeraient nos malheurs, et probablement elles n'amèneraient aucun changement dans nos institutions; elles ne feraient que déplacer les élémens nuisibles à la marche du gouvernement parlementaire qui nous paraît avoir fixé les vœux de la nation.