Anon., “Considérations sur la situation de l’Europe, sur la cause de ses guerres, et sur les moyens d’y mettre fin” (Dec. 1814)

   

 

This is part of an Anthology of writings by Charles Comte (1782-1837), Charles Dunoyer (1786-1862), and others from their journal Le Censeur (1814-15) and Le Censeur européen (1817-1819).

Source

[Anon.], “Considérations sur la situation de l’Europe, sur la cause de ses guerres, et sur les moyens d’y mettre fin,” Le Censeur T. 3, (Dec. 1814), pp. 1-41.

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CONSIDÉRATIONS SUR LA SITUATION DE L'EUROPE, SUR LA CAUSE DE SES GUERRES, ET SUR LES MOYENS D'Y METTRE FIN.[1]

AVANT-PROPOS.

Je parlerai quelquefois de lois arbitraires, de rois despotes, de nations asservies, d'institutions barbares. Je préviens le lecteur que [2] je n'ai pas l'intention de désigner nos lois, ni notre roi, ni nos institutions.

Nos lois sont l'ouvrage des trois pouvoirs législatifs. Notre roi a eu la générosité de nous donner une ordonnance royale qui nous tient lieu de constitution, qu'il a promis d'observer, et qui assure notre liberté. Si nous venions à la perdre, ce ne serait que par la faute de la chambre des pairs et de celle des députés des départemens. Ils ont la faculté de proposer les lois, de les amender, de les rejeter. Si ces lois venaient à nous ôter les concessions que le roi nous a faites, il faudrait que les pairs, le premier corps de l'Etat, descendissent de leur rang; il faudrait que les membres de la chambre des députés se laissassent corrompre par la cour et par les ministres, sans craindre de perdre l'estime publique et d'encourir l'indignation de leurs concitoyens.

Je suis loin de penser qu'il en arrive ainsi; mais ce qui me paraît évident, c'est que le gouvernement marche dans un sens et l'opinion publique dans un autre. Qu'on fasse attention que l'autorité du gouvernement n'a [3] d’autre force que la volonté générale; que le nombre des volontés particulières contraires à son autorité, sont autant de forces de moins; que quand les volontés sont partagées, l'Etat est menacé de troubles. Notre révolution a eu jusqu'ici beaucoup d'analogie avec la révolution anglaise. Nous avons eu un Cromwel, évitons d'avoir un roi Jacques. Si l'union fut toujours nécessaire, elle l'est plus que jamais, dans ce moment où l'Europe, discutant ses intérêts, peut se diviser: si la France doit choisir un parti, soyons réunis pour embrasser le même.

Je veux rechercher ici la cause des maux qui troublent quelques états de l'Europe; j'essaie de découvrir le remède et de l'indiquer à ceux qui peuvent l'appliquer. La matière que je traite me paraît intéresser tous les hommes, les rois autant que les peuples. Les progrès de l'esprit humain que la nature, irrésistible dans sa marche, a amenés, malgré tous les obstacles, la fatale expérience du passé, les craintes qu'inspire l'avenir nécessitent des changemens dans les lois et les gouvernemens. L'opinion qui gouverne le [4] monde les prépare depuis long-temps. Si les rois étaient aussi éclairés que les hommes instruits de leur siècle, ils éviteraient les secousses, et dirigeraient eux-mêmes la civilisation de leurs peuples. Ils le devraient par zèle pour leur conservation et leur intérêt, quand même ils n'y seraient pas excités par l'amour de l'humanité et de leur devoir; mais par une fatalité funeste, ils sont loin en arrière des lumières de leur siècle. Nés pour le trône, ils ont peu communiqué avec le reste des hommes; leur éducation ne leur a donné que de fausses idées suggérées par des flatteurs ou des artisans du despotisme: la vérité ne peut parvenir jusqu'à eux; et, s'il arrive une révolution, la veille de la destruction de leur puissance, ils auront lu dans les journaux des éloges flatteurs, des adresses sollicitées ou commandées par leurs ministres; ils auront entendu autour de leur palais les applaudissemens de quelques groupes soldés; ils auront vu prosternés à leurs pieds les lâches courtisans qui, dans quelques heures, doivent les abandonner pour chercher une nouvelle idole.

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Si quelques ministres ou quelques esclaves titrés lisent ces pages, ils me jugeront trop hardi d'avoir osé traiter une matière qui, disent-ils, est totalement étrangère à celui qui doit se tenir dans la basse région de l'obéissance, et ne pas se permettre de juger les institutions et les actes de l'autorité: mais ne suis-je pas homme? n'ai-je pas souffert des erreurs de nos gouvernemens et du vice de nos institutions? ne serai-je pas encore enveloppé dans les malheurs qui nous menacent? Je suis instruit par l'expérience du passé, je crains l'avenir; je le vois arriver couvert d'une teinte sombre; je le montre à mes semblables, à mes compagnons d'infortune; je voudrais persuader aux rois et aux ministres de conjurer l'orage; voilà pourquoi j'écris.

§. Ier. Causes des guerres qui ont désolé les peuples de l'Europe.

EN lisant l'histoire on trouve à chaque page des descriptions de guerres et de [6] combats. Presque tous les hommes dont la mémoire est parvenue jusqu'à nous, sont des conquérans qui ont ravagé la terre et massacré leurs semblables. Pour un Confucius, un Minos, un Solon, on trouve cent monstres titrés du nom de héros, qui ont saccagé des villes, ravagé des campagnes, et semé au loin la terreur et la mort. Les hommes sont-ils donc destinés à se battre éternellement les uns contre les autres? Les nations ne pourront-elles jamais vivre en paix; et cette espèce d'animaux qui ose se dire exclusivement raisonnable, serait-elle la seule qui s'entregorgerait sur la terre, malgré sa raison qu'elle met toujours en avant pour établir sa supériorité?

Le lion farouche parcourt en despote les sables brûlans d'Afrique; il déchire, pour satisfaire ses besoins, les animaux d'une espèce différente, mais il épargne le lion son pareil; le tigre ne dévore pas le tigre; l'aigle, qui plane dans les airs, porte son œil perçant dans les plus sombres forêts, il fond sur sa proie, mais il respecte le nid et la famille de l'aigle son voisin. L'homme social, l'homme [7] perfectionné par des institutions qu'il ose vanter, tantôt comme un don de la divinité, tantôt comme la plus belle des conceptions, l'homme s'arme contre l'homme son semblable; il va l'attaquer dans des pays lointains, incendie ses villes, ravage ses campagnes et le réduit à une misère désespérante. Est-ce donc à la nature qu'il faut attribuer cet excès de férocité? Aurait-elle été plus ingrate pour l'homme que pour les autres animaux? Cette fureur ne serait-elle pas au contraire le fruit amer de nos institutions et de nos gouvernemens qui nous dépravent et qui nous divisent?

Je conçois que des tribus de sauvages se fassent la guerre pour s'approprier la pêche d'un lac, la chasse d'une forêt: ils sont placés entre la guerre et la famine, ils doivent se battre ou périr. Mais nous, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Espagnols, Russes pourquoi nous faisons-nous la guerre? La nature nous a donné à tous de quoi satisfaire abondamment nos besoins: elle nous a donné même des moyens d'échange pour augmenter mutuellement nos jouissances, et [8] pour établir entre nous des rapports d'harmonie et d'attachement; nous aimons tous les sciences, les arts; nous nous communiquons nos idées et nos découvertes; nous lisons et nous admirons les mêmes auteurs; la même philosophie circule secrètement de Cadix jusqu'à Pétersbourg, de Naples jusqu'à Londres; d'où viennent donc les guerres qui nous divisent et qui font notre malheur?… Elles viennent de l'ambition de ceux qui nous gouvernent, elles viennent, de notre asservissement. La nature indignée punit les peuples de s'être laissés abrutir par le despotisme; elle semble leur dire:

« Espèce dégénérée et abrutie, je vous avais tous également dotés, et vous avez renoncé à l'égalité dans laquelle je vous avais placés; je vous avais donné une loi naturelle, vous l'avez oubliée; vous avez abandonné la vérité pour suivre l'erreur; je vous avais donné la justice pour vous gouverner, vous l'avez chassée, et vous avez établi le despotisme sur son trône! Vous serez punis pour avoir quitté la route que je vous avais tracée. Les hommes que vous vous êtes donnés pour maîtres vous enchaîneront; ils [9] vous dépouilleront du fruit de vos travaux et de votre industrie; ils vous armeront les uns contre les autres, vous vous égorgerez mutuellement pour leur ambition; ils vous abrutiront sous leur despotisme; ils vous mépriseront; ils ne vous laisseront que le partage honteux de servir leurs goûts et leur fureur. Ils vous précipiteront sans cesse dans de nouveaux malheurs, jusqu'à ce que vous assuriez la marche de la civilisation qui, dès son origine, a pris une fausse route; jusqu'à ce que vous ayez mis des lois justes, fondées sur votre nature, à la place de la volonté arbitraire d'un homme qui vous divise au lieu de vous réunir, qui vous trompe pour vous asservir, et qui vous traite enfin comme des troupeaux qu'il dépouille et qu'il égorge à sa volonté. »

§. II. Il se prépare de nouvelles guerres aussi désastreuses que les précédentes.

NOUS sortons à peine d'une guerre[10] sanglante qui avait embrasé l'Europe, que de nouveaux nuages s'amoncèlent, que de nouvelles guerres se préparent. Elles seront aussi désastreuses, aussi terribles pour les peuples que la guerre dernière. Les souverains par une funeste expérience, ont appris à mettre en jeu tous les bras de leurs sujets. Dans les derniers siècles, ils soutenaient leurs querelles avec des troupes de dogues à figure humaine qu'ils appelaient soldats, et qui se vendaient pour ce métier ingrat et honteux; mais aujourd'hui ils armeront tous nos enfans. Nous n'aurons plus la douce espérance qu'ils pourront soutenir notre vieillesse; leurs mains ne fermeront pas nos paupières; ils finiront leurs jours loin de nous, sur des champs de bataille ou dans des cloaques pestiférés qu'on appelle hôpitaux; ils succomberont de fatigue ou de froid, et leurs corps dispersés resteront sans sépulture, exposés dans les champs ou sur les routes; ils seront la proie des animaux carnassiers.

Jadis les peuples ne risquaient dans la guerre qu'une partie de leur fortune; lorsque les souverains ne pouvaient plus trouver [11] dans leurs états l'argent nécessaire pour l'alimenter, ils faisaient la paix, ou plutôt une trêve qui laissait à leurs sujets le loisir d'amasser par leur travail et leur industrie de nouvelles richesses, qu'ils devaient leur arracher un jour pour alimenter une nouvelle guerre. La faiblesse des armées ne permettait pas de faire de grandes invasions, les coups se portaient sur les frontières; quelques lisières de pays étaient, à la vérité, impitoyablement dévastées; mais les revers et les succès ne faisaient perdre ou gagner que quelques milles de terrain.

Aujourd'hui des armées innombrables pénètrent dans le cœur des états; pour subsister, elles pillent tout sur leur passage, laissent derrière elles de vastes déserts couverts de cadavres, de débris et de cendres. Les femmes, les vieillards, les enfans dispersés, n'ont pour refuge que les antres des forêts; et lorsqu'après le passage du torrent dévastateur, ils sortent de leur retraite pour chercher leur habitation, ils ne trouvent plus que des ruines fumantes, un air pestiféré par l'exhalaison des immondices que [12] laissent après elles les armées nombreuses.

Peuples de l'Europe; tels sont les malheurs qui vous menacent, telle est la perspective effrayante qui se présente devant vous. Je cherche en vain quelque lueur d'espérance; l'avenir me paraît sombre et sinistre. Le seul remède contre ces maux, ce serait de donner à la civilisation une marche naturelle, de remplacer le joug arbitraire des princes par celui des lois; il n'y a que des peuples libres qui puissent vivre en paix. Lorsque tous les peuples auront adopté le gouvernement représentatif, et qu'ils auront une grande part dans leur législation, alors seulement les nations seront susceptibles de civilisation, alors elles pourront se lier entre elles par le code du droit des gens, alors l'Europe ne formera plus qu'une même famille, une seule confédération.

Avant d'unir les nations par des lois justes et égales, il faut que les hommes qui composent des nations n'obéissent eux-mêmes qu'à des lois justes et égales, fondées sur la nature et sur le vrai but de la civilisation. Aussi long-temps qu'ils seront soumis [13] à des lois arbitraires, quel espoir y a-t-il que les souverains veuillent se soumettre au code du droit des gens! Voudront-ils reconnaître entr'eux l'égalité qu'ils ne veulent pas admettre parmi leurs sujets! Le fort voudra-t-il être juste envers le faible! Renonceront-ils à leurs projets d'ambition! Changeront-ils enfin de nature? Non, qu'on ne se livre pas à cet espoir. Ce ne sont pas les peuples qui veulent la guerre, ce sont les rois. Eh! que leur importe que leurs maîtres soient vainqueurs ou vaincus, en sont-ils moins malheureux? Une province ajoutée au royaume leur procure-t-elle quelque diminution d'impôts? La gloire, les triomphes, les monumens, sont-ils destinés à flatter l'orgueil des sujets, ou celui des princes? Ceux-ci triomphent quand les autres ont acheté la victoire aux dépens de leur fortune et de leur sang; ils augmentent leur luxe et leurs dépenses, quand les peuples obérés se traînent dans la misère.

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§. III. Napoléon aurait pu établir la confédération d'Europe.

UN guerrier philosophe qui aurait eu dans ses mains la puissance de Napoléon aurait établi la civilisation de l'Europe sur ses véritables bases. Il eût introduit des institutions sociales et des lois bienfaisantes par-tout où il a porté ses armes dévastatrices; au lieu de présenter de nouveaux fers aux peuples, il leur aurait donné la liberté. Premier magistrat de la nation française, il n'aurait pas usurpé le pouvoir absolu, il eût au contraire employé sa puissance à la rendre libre. Arrivé sur le Niémen, ce guerrier philosophe aurait proclamé la liberté de l'Europe et lui aurait donné le code du droit des nations; il aurait assigné aux peuples les limites que la nature, les mœurs et leurs intérêts semblent avoir tracées; ils ne les aurait pas traités comme de vils troupeaux qu'on livre à des bergers pour les tondre et les égorger. [15] Il me semble entendre ce bienfaiteur de l'espèce humaine adressant ce discours aux peuples et aux rois:

« Peuples, rois de l'Europe, vous m'avez vu, jusqu'à ce jour, les armes à la main, répandre par-tout la mort et l'effroi; vous avez cru que j'étais un conquérant avide de pouvoir et de vaine gloire; vous m'avez comparé à ceux, qui, avant moi, ont ravagé la terre et n'ont laissé après eux qu'un nom abhorré; mais vous m'avez mal jugé. J'ai voulu acquérir, par la force des armes, la puissance de commander à l'Europe, non pour l'asservir, mais pour la rendre libre. Je vous ai fait la guerre pour établir un système de paix durable. J'ai formé le vaste et utile projet d'asseoir la civilisation de l'Europe sur ses véritables bases. L'art de l'imprimerie a éclairé les peuples, il leur faut une autre législation; le commerce les a rapprochés; il faut les réunir par le code du droit des gens: que la justice gouverne les nations comme les particuliers; que désormais il n'y ait plus de guerre entre nous; que les peuples aient une grande part dans [16] leur législation, ils se soumettront de bon cœur aux lois que leurs représentans leur auront données: ils seront contens et tranquilles: les rois seront plus affermis sur leurs trônes; ils auront le pouvoir de faire le bien et non celui de faire le mal. Chaque peuple doit avoir le choix de son association politique, de ses lois, de son gouvernement. La nature semble avoir distribué les fleuves et les mers pour que les nations participent également aux avantages du commerce maritime. Si quelqu'un ose nous disputer nos droits, qu'il soit déclaré l'ennemi de l'Europe. »

Une telle conduite eût excité l'admiration des peuples, et le guerrier philosophe aurait été proclamé le bienfaiteur de l'Europe. Mais les évènemens ont été bien différens. Napoléon abusant de son pouvoir s'est attiré la haine de toutes les nations qu'il opprimait; il a été vaincu, et sa puissance s'est dissipée comme une ombre.

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§. IV. La chute de l'empire de Napoléon doit nous donner de nouvelles guerres.

L'ÉCROULEMENT de l'empire de Napoléon doit faire naître de nouvelles discordes. Les limites des anciens états avaient disparu; les intérêts de plusieurs peuples s'étaient confondus. Chacun veut aujourd'hui se saisir de ce qu'il regarde comme ses anciens domaines: les plus forts veulent usurper sur les plus faibles: des rois chassés ou détrônés réclament leur ancien trône, qu'ils appellent l'héritage de leurs pères: les nouveaux souverains qui s'étaient détachés de Napoléon, veulent se maintenir. Les Anglais veulent avoir un vaste état sur le continent; ils veulent conserver exclusivement la souveraineté des mers et les avantages du commerce; ils font la guerre à leurs frères d'Amérique, parce que ceux-ci veulent jouir des droits que la nature paraît avoir donnés à tous les peuples. Dans cet état de choses, peut-on espérer la paix? Les [18] grandes puissances continentales accorderont-elles à l'Angleterre le domaine des mers et le commerce exclusif? Mais, dans ce cas, la puissance anglaise ne leur sera ni moins onéreuse, ni moins funeste que ne l'était celle de Napoléon. Peut-on se flatter que l'Angleterre renoncera à ses prétentions? Mais comment pourrait-elle soutenir son crédit et payer les intérêts de sa dette énorme?

D'ailleurs, a-t-on jamais vu qu'une puissance renonçât à ses avantages quand elle est à l'abri de toute atteinte? Si la guerre s'allume entre l'Angleterre et les souverains du continent, la première aura pour elle toute l'Italie. Le roi de Naples ne peut se maintenir qu'en s'unissant à elle. Gênes est entre ses mains; Corfou est occupé par une garnison anglaise. Les peuples de la Lombardie, mécontens, s'insurgeront quand elle voudra. Dans cette partie de l'Europe une armée de cent mille hommes combattra pour sa cause. Elle peut facilement mettre dans ses intérêts la Suède et le Dannemarck. Une armée prête à agir est rassemblée en Hollande et dans les Pays-Bas. La Turquie ne peut se maintenu [19] en Europe que par son alliance; les Turcs s'armeront encore avec elle. En Espagne, elle soutiendra le parti des cortès, et organisera la guerre civile. En France… ! Rois de l'Europe, vous redoutiez la puissance de Napoléon, vous l'avez renversé; mais votre situation n'en est pas devenue meilleure: vous n'aurez fait que changer de domination. Votre union seule pourrait vous sauver; mais elle est impossible; l'opinion est trop divergente et les intérêts trop divisés. Il n'y a que des peuples libres qui puissent se former en confédération. L'Angleterre aura le moyen de corrompre les ministres des souverains; elle divisera leurs intérêts; les armera les uns contre les autres; nous nous battrons sur le continent; nous nous appauvrirons, tandis qu'ils seront tranquilles dans leur île et qu'ils s'enrichiront. Les peuples tomberont dans le désespoir; ils ne verront d'autre remède à leurs maux que la révolte; ils seront poussés vers la liberté par l'excès de leur misère, et ils obtiendront, par les horreurs d'une révolution, ce que leurs souverains auraient dû leur [20] remettre par prudence et même par intérêt. Ce n'est donc que de l'excès de leur misère et de leur désespoir que les peuples peuvent attendre leur régénération sociale et la paix. O misérable condition de l'espèce humaine! le bien ne peut donc naître que de l'excès du mal!

§. V. Il n'y a que l’Angleterre qui puisse entreprendre de réunir l'Europe en confédération.

L'Angleterre, si elle était bien inspirée, et si elle sentait ses véritables intérêts, se mettrait à la tête de la confédération de l'Europe; elle se réunirait franchement à la France, qui vient d'adopter une partie de ses institutions; aux Etats-Unis d'Amérique, qui sont libres comme elle, et qui sont ses enfans; à la Hollande, aux Pays-Bas, à la Suède, à la Norwége, à l'Italie, et à tous les peuples de l'Europe qui voudraient être libres et se soumettre aux lois de la [21] confédération: elle devrait renoncer à son égoisme exclusif, et consentir à partager avec tous les peuples unis les avantages du commerce et des colonies. L'Angleterre éviterait par-là les malheurs que pourraient faire tomber sur elle les nations du continent, poussées par ses vexations, ses injustices et son affreuse politique, qui ne peuvent manquer de l'isoler un jour et de la séparer entièrement du reste, de l'Europe. Mais peut-on espérer qu'elle changera tout-à-coup de conduite? Cependant qu'elle pèse bien ses intérêts; et, portant ses regards sur ce qui vient de se passer, qu'elle examine le sort qu'a obtenu Napoléon pour avoir tenté de vexer et d'opprimer l'Europe; et qu'elle tremble pour sa destinée future, si elle ne sait pas être juste et généreuse. Si au contraire elle renonce au projet insensé de dominer les mers, de s'emparer de toutes les branches du commerce et de souffler la guerre en Europe par là seule vue de son intérêt, si elle veut être juste et généreuse, elle mérite l'honneur et la gloire de se placer à la tête des peuples libres confédérés; elle est la plus riche, la [22] plus puissante, la plus industrieuse; elle étend au loin ses relations: c'est elle qui a créé la véritable liberté en Europe, qui a perfectionné le système représentatif et calculé l'action des divers pouvoirs du gouvernement. Elle est libre depuis un siècle; tandis que les Français sont encore des enfans qui se traînent entre la liberté et le despotisme. Cette vérité est dure pour la nation; mais elle est trop évidente pour qu'on puisse la dissimuler.

§. VI. Projets des papes et des jésuites, de Henri IV, de Louis XIV et de Napoléon.

Les papes et les jésuites ont osé entreprendre autrefois de réunir les nations par le lien de la religion, et de gouverner le monde par la théocratie: ils commandaient à l'opinion des nations chrétiennes, et l'opinion commandait aux rois. Mais ce lien, fondé sur la superstition, ne pouvait exister plus long-temps qu'elle. Luther le [23] rompit, et le progrès des lumières a renversé tous ses appuis. Ainsi doivent tomber toutes les institutions qui ne sont pas fondées sur l'utilité réelle des peuples. Sous un pareil gouvernement les hommes auraient vécu en paix, comme des troupeaux de montons que des bergers font paître tranquillement, mais qu'ils tondent et qu'ils égorgent à volonté. Les peuples, abrutis par l'ignorance et la superstition, aurait traîné leur existence dans la misère au milieu des fantômes et des terreurs, sans activité, sans industrie, n'espérant de bonheur que dans la vie future. D'ailleurs, un pareil système ne pouvait s'adapter qu'aux peuples de la religion romaine, et la civilisation doit s'étendre sur tout le globe.

Henri IV avait formé le projet de réunir l'Europe; la mort l'enleva avant qu'il en eût tenté l'exécution. Il n'aurait pas réussi, parce qu'une confédération de rois est impossible, et qu'elle ne peut avoir lieu qu'entre des peuples libres qui ont un gouvernement représentatif, et qui peuvent, par ce moyen, établir hors d'eux un centre de gouvernement général [24] représentatif qui, réunissant les vues particulières, n'ait lui-même que des vues générales.

Après ce bon roi, ont paru deux ambitieux qui ont voulu fonder la monarchie universelle; l'un est Louis XIV, l'autre Napoléon. Le premier paya son extravagance par l'humiliation de la fin de son règne: il laissa la France épuisée, et mourut sans être regretté. On sait quel sort a eu Napoléon. Les malheurs qu'il a attirés sur la France se feront sentir pendant long-temps.

§. VII. Résultats probables du Congrès de Vienne.

Toutes les puissances de l'Europe discutent dans ce moment leurs intérêts respectifs: quel sera le résultat de leurs discussions? Pourra-t-on parvenir à s'entendre et à tomber d'accord? Chacun sans doute discutera ses intérêts particuliers, et aucun ne présentera des vues générales. La Russie, l'Autriche, la Prusse s'aggrandiront, chacune [25] selon leur-convenance; l'Angleterre obtiendra sur le continent ce qu'elle désire pour elle et pour la Hollande, qui n'est, à proprement parler, qu'une province anglaise. Le sort de la France est décidé. L'Espagne n'a rien à demander. Les intérêts des petites puissances pourront exciter quelques discussions; on finira par les fixer. Mais les puissances continentales ne voudront-elles pas obtenir la liberté du commerce et des mers, et ne sera-ce pas une pomme de discorde entre l'Angleterre et les puissances du continent?

Si on accorde à l'Angleterre la suprématie des mers, et par conséquent le commerce du monde, cette île, peuplée d'hommes libres, est la souveraine du globe, et toutes les autres nations ne sont que ses esclaves et les instrumens de sa fortune. Elle les divisera à son gré, les armera les unes contre les autres, selon ses intérêts, pour les affaiblir et les dominer.

Si l’Angleterre, ne voulant abandonner aucune de ses prétentions maritimes, s'attire la guerre, elle sera attaquée dans ses [26] possessions du continent. Pour se défendre, elle formera des alliances; mais quels alliés pourra-t-elle avoir? Elle aura l'Italie, la Suède, la Norwége, le Dannemarck, le Hanovre, les Pays-Bas et la Turquie. Elle peut avoir trois grandes armées sur le continent; elle n'a rien à craindre de la France ni de l'Espagne; elle peut même ne laisser à ces deux puissances que le choix entre son alliance et la guerre civile. Je ne chercherai pas à mettre au jour quels moyens elle pourrait employer; ils sont assez connus pour que je m'abstienne de les indiquer.

§. VIII. Quelle doit être la politique de la France et de l'Espagne.

SI la guerre vient à éclater entre l'Angleterre et les puissances du nord, l'intérêt de la France et de l'Espagne est de s'allier à l'Angleterre; mais cette alliance ne peut être durable et avantageuse à ces deux nations qu'autant qu'elle serait fondée sur une [27] çonfédération qui aurait pour base la justice, l'égalité, la modération, et le partage des avantages du commerce et des colonies. Cependant comme une confédération ne peut exister qu'entre des peuples libres, il faut que l'Espagne adopte une constitution rapprochée de la constitution anglaise. La France a déjà à-peu-près une constitution semblable. Il ne s'agit pour elle que de la suivre et de la maintenir. En prenant ce parti, la France se releverait de son affaissement; elle reprendrait ses limites du Rhin jusqu'aux frontières des Pays-Bas, les germes de dissension se détruiraient insensiblement, nous nous occuperions de commerce et d'établissemens coloniaux. Les partisans de la liberté ne craindraient plus l'empiétement de l'autorité absolue, et nous verrions s'ouvrir devant nous un vaste horizon pour donner un libre cours à l'activité nationale. La philosophie et la liberté de la presse ne seraient plus la terreur du gouvernement; l'une dirigerait la marche de la civilisation, qui doit s'étendre peu à peu sur le globe; l'autre, en donnant un libre essor à toutes [28] les idées, éclairerait le gouvernement et lui ferait connaître l'opinion publique que la législation doit toujours suivre de près.

§. IX. De l'organisation d'une confédération de peuples libres.

IL n'y a que des peuples libres qui puissent se réunir en confédération: il faut encore qu'ils aient des constitutions analogues pour qu'ils puissent procéder, d'une manière uniforme, à la création du gouvernement central qui doit les tenir réunis. Je ne m'étendrai pas sur la forme que l'on doit donner à ce gouvernement ni sur le mécanisme de sa constitution; je me bornerai à dire qu'il doit être représentatif, et de même nature que les gouvernemens particuliers de chaque état confédéré. Il doit avoir la puissance de tous les états, et n'en avoir aucune d'exclusivement propre. Il doit être placé de manière à n'avoir d'autres vues que l'intérêt général de la confédération. Les états particuliers ne doivent [29] disposer que de la force nécessaire pour faire leur police. Les lois intérieures et administives de chaque état doivent être réglées par les gouvernemens particuliers. Les affaires générales doivent être réglées par le gouvernement général. Il devrait être, sous plusieurs rapports, semblable au gouvernement des Etats-Unis d'Amérique.

§. X. Quel doit être le but de cette confédération?

LE but de la confédération doit être l'union, la paix, le bonheur, la prospérité de tous les états confédérés; car ce sont là les motifs qui sont cause de sa formation. Mais le gouvernement général doit avoir encore d'autres vues, telles que le commerce du monde, la civilisation du globe et les colonies.

Le commerce du monde peut seul entretenir l'activité, amener la richesse, faire fleurir les arts, étendre la civilisation en établissant des relations avec tous les peuples. Les colonies peuvent peupler les parties du [30] globe qui sont encore désertes. Elles sont nécessaires pour faire écouler le surcroît de population qui résulte infailliblement de la liberté des peuples; car, voyez l'Angleterre depuis près d'un siècle que cette île jouit de la liberté, sa population s'est accrue de plusieurs millions, malgré les guerres continuelles qu'elle a soutenues, malgré les pertes de la mer. Elle a peuplé les Etats-Unis d'Amérique, le Canada, plusieurs points sur les côtes d'Afrique, les côtes de l'Inde, depuis les bouches de l'Indus jusqu'au Bengale. Elle a plusieurs colonies en Amérique et des établissemens sur les côtes d'Afrique et d'Europe.

La guerre ne doit pas être le métier des peuples libres unis; ils ne doivent la faire que pour leur défense.

La confédération devrait s'occuper des grands travaux d'une utilité générale, établir les grandes communications, ouvrir des canaux, couper des isthmes, jeter des colonies au milieu des peuples barbares, pour hâter la civilisation et étendre les relations du commerce: tel devrait être le grand but d'une confédération de peuples libres.

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§. XI. Avantages de la liberté.

EN lisant l'histoire, on trouve que tous les peuples libres ont prospéré et que les gouvernemens despotiques ont dépeuplé la terre. L'Angleterre, libre depuis un siècle, a porté sa richesse et sa puissance au plus haut degré. Une population de treize millions d'hommes, qui n'occupe qu'un point sur le globe, est maîtresse du commerce du monde et dicte des lois à l'Europe. L'Amérique est libre depuis trente ans; et, dans cet intervalle, sa population s'est plus que triplée. Elle est riche et puissante et joue un grand rôle parmi les nations. La Hollande libre a pu lutter autrefois contre touts les forces d'Espagne, et contre Louis XIV qu'elle humilia. Peuples asservis, admirez le pouvoir de la liberté, et dites à vos maîtres: Pourquoi ne sommes-nous pas libres? nous serions riches et heureux!

Mais d'où vient que la liberté a tant d'influence sur la prospérité et la puissance des [32] états? C'est que les peuples ne se multiplient que lorsqu'ils sont riches et heureux; et ils ne le deviennent que quand leur propriété et leur liberté individuelle est protégée par les lois et à l'abri des caprices de l'arbitraire.

Les peuples libres sont puissans, parce qu'ils ont une grande part dans le gouvernement; que les lois sont censé être l'expression de la volonté générale; parce que l'autorité du gouvernement étant appuyée par l'opinion de tous, peut employer la force de tous.

Dans une monarchie absolue la législation n'a d'autre force que celle qu'inspire la crainte. Les peuples peuvent être soumis, mais ils sont sans énergie, sans patriotisme. Il leur est défendu de s'occuper de la prospérité de l'Etat: obéir et se taire c'est le devoir qu'on leur prescrit. Si les lumières et les connaissances pénètrent parmi le peuple, et qu'il vienne à apercevoir les vices du gouvernement, alors on voit naître le mécontentement, l'esprit de révolte et de sédition; l'Etat se divise; le gouvernement est obligé d'employer un partie de la puissance publique [33] pour contenir l'autre; il ne lui reste plus de force pour sa défense extérieure. S'il est attaqué, il est vaincu.

C'est par ces raisons qu'on explique pourquoi les peuples libres de la Grèce purent résister autrefois aux attaques des rois de Perse, pourquoi la Hollande put résister aux forces d'Espagne, la Suisse aux forces autrichiennes; pourquoi, au commencement de la révolution, la France a pu résister à toutes les puissances de l'Europe; par quelles causes Napoléon a pu faire de si glandes conquêtes, et par quelle cause il est tombé si vite lorsqu'il n'a plus été soutenu par l'opinion dû la France et la volonté générale. Si les rois méditaient bien l'histoire, ils préféreraient le règne des lois au règne de l'autorité absolue.

§. XII. Une confédération de rois serait monstrueuse. Elle est impossible.

ON a parlé d'une confédération des princes du continent, qui aurait pour but la garantie [34] mutuelle de leurs états contre toute attaque étrangère, et celle de leur trône contre les séditions et les révolutions des peuples. Mais quelle est la force qui ferait exécuter les réglemens de cette confédération? Les rois établiraient-ils un roi au-dessus d'eux pour en être le chef? Mais ce roi serait sans doute le plus puissant d'entre eux; il aurait toujours son intérêt particulier en vue, et il serait bientôt le maître des autres. D'ailleurs, une pareille monstruosité préparerait leur ruine; les peuples n'y verraient qu'une coalition contre eux. Un tel projet est trop révoltant et trop réprouvé par l'opinion du siècle. Quoi! si le roi de France traitait les Français de rebelles, parce que ceux-ci demanderaient le maintien de la constitution, des cosaques viendraient, la lance en avant, faire la police dans Paris et dans toute la France! Des esclaves viendraient river nos fers! Et si les paysans russes voulaient un jour devenir des hommes, une armée française irait les égorger chez eux! Si les janissaires faisaient tomber la tête du Grand-Seigneur, une croisade de toute l'Europe irait venger cet [35] assassinat! Le roi très-chrétien s'engagerait à maintenir en Prusse la religion de Luther! Si une bulle du pape était rejetée en France par l'opinion, contre le vœu du roi, un prince de Prusse viendrait la publier à la tête d'une armée de luthériens! Une armée ottomane irait soutenir l'inquisition en Espagne!

Je n'en dirai pas davantage pour prouver le ridicule d'une pareille association; d'ailleurs, dans cette hypothèse, les souverains n'observeraient pas plus fidèlement leurs traités qu'ils ne l'ont fait jusqu'à ce jour.

§. XIII. Quelle conduite devrait tenir la France si l'Angleterre ne voulait pas consentir à l'établissement de la confédération.

Cependant, quels que soient les évènemens, la France ne doit pas s'allier à l'Angleterre? si elle n'est admise au partage du commerce et des colonies; et ce n'est point par dos traités ordinaires qu'elle peut en avoir la garantie, ce n'est que par l'établissement d'une [36] confédération de peuples libres. Sans cela, l'Angleterre, suivant sa politique trompeuse, pourrait se servir des armes de la France contre les autres puissances du continent, et refuser de tenir ses promesses si son intérêt le lui conseillait; car quel moyen aurait-on de l'y contraindre? Elle est isolée, hors d'atteinte; elle a des forces de mer supérieures à celles du monde entier. Le faible ne peut avoir de garantie contre le fort, quand il n'est pas appuyé par une puissance intermédiaire chargée de faire observer la justice.

Mais si l'Angleterre, ne voulant pas consentir à l'établissement de la confédération, vient à avoir la guerre sur le continent, quel parti doit prendre alors la France?

Elle doit ménager avec la plus grande attention les parties belligérantes, sans prendre part à leurs querelles, travailler à restaurer ses finances, munir ses arsenaux, garnir ses places fortes, établir un mode de recrutement favorable à la formation d'une armée nationale, préparer des forces imposantes, et attendre l'occasion favorable pour entrer [37] en lice. Mais ce qui lui importe le plus, c'est de rallier tous les partis et de former un esprit public.

Mais pourquoi sommes-nous divisés, pourquoi n'avons-nous pas d'esprit public? Les ministres doivent le savoir mieux que nous. Il faut avoir émigré pour avoir suivi la ligne droite; c'est-à-dire, que les émigrés seuls ont fait leur devoir, et que dans le reste de la nation il ne se trouve que des séditieux. La liberté de la presse mettait au jour des vérités importantes: on établit la censure; et pour prouver qu'elle est dans l'esprit de l'ordonnance de réformation, on nous dit que prévenir et réprimer sont synonymes. Pouvait-on pousser à ce point le mépris et l'injure? Le gouvernement de Napoléon, était détesté à cause de son despotisme; mais ce qu'il faisait par violence, on l'a fait, depuis sa chute, par adresse. Il serait trop long de rapporter ici tous les actes du ministère qui ont choqué l'opinion; ils sont si nombreux, qu'il faudrait être aveugle pour ne pas s'apercevoir qu'on nous ramène à la monarchie absolue, et qu'on fait le procès à la révolution, c'est-à-dire, à la [38] masse de la nation qui l'a faite; car elle n'est pas, comme on veut le faire croire, l'ouvrage d'une poignée de factieux. Ne serait-ce que quelques factieux qui auraient vaincu toute l'Europe armée contre la liberté de la France? Toute la noblesse française aurait donc lâchement fui devant quelques séditieux, en abandonnant le roi; et elle serait allée, outre Rhin, se joindre à des prussiens et à des allemands pour venir avec eux soumettre une poignée de mutins.

Mais j'en ai dit assez. Pour faire cesser le mal, il faut en détruire la cause. Que les ministres la recherchent, qu'ils consultent l'opinion publique, et qu'ils la suivent; alors le mal sera bientôt réparé; et les Français unis ne formeront plus qu'une même famille, dont le roi sera aimé comme un bon père qui traite bien tous ses enfans, sans aucune distinction; car les préférences marquées divisent l'état comme elles divisent les familles.

La France réunie sous les Bourbons et guidée par la vraie politique, celle qui tend à rapprocher les peuples et à les rendre heureux, pourrait encore prétendra un jour à la [39] gloire immortelle de se mettre à la tête de la confédération européenne, qui seule peut entretenir la paix et préparer la civilisation de tout le globe.

§. XIV. Conclusion.

J'AI fait connaître la cause des guerres qui désolent l'Europe depuis tant de siècles; j'ai démontré qu'elle existe dans la forme de nos gouvernemens et dans l'autorité absolue des rois; qu'elle provient de l'état de nature dans lequel sont encore placés les peuples, qui n'ont entr'eux aucune règle de justice, et dont les différens se vident par la violence et la force.

Cet état ne peut changer que par la réforme des gouvernemens et par un grand plan de civilisation qui tienne les nations réunies; et il n'y a qu'une confédération européenne qui puisse atteindre ce but. Cet établissement merveilleux et bienfaisant qui maintiendrait le bonheur et la paix parmi les [40] peuples, et qui répandrait promptement la civilisation sur tout le globe, doit rencontrer l'opposition de tous les souverains. Comment peut-on espérer que leur volonté arbitraire et orgueilleuse se soumette au joug de la justice et de la législation?

Si Napoléon, enfant de la révolution française, n'avait pas été entraîné par son ambition, s'il avait connu ses véritables intérêts, s'il avait été humain, il aurait régénéré l'Europe et soumis les nations à la grande civilisation qu'elles doivent atteindre un jour, mais qui probablement ne sera enfantée que par la misère et le désespoir des peuples.

On n'ose se flatter que l'Angleterre, qui est la seule capable d'opérer ce grand œuvre, veuille renoncer à son égoïsme, à sa fausse politique, et à l'avantage que lui donne, en quelque sorte, sa position de pouvoir être injuste impunément, pour partager avec d'autres peuples ce qu'on ne peut espérer de lui arracher. Préparons-nous donc à des nouvelles guerres; ne soyons pas effrayés des évènemens malheureux que l'avenir nous laisse entrevoir, puisqu'il est décidé qu'il n'y a de [41] remède que dans l'excès de la misère et du désespoir.

Que les écrivains du siècle s'attachent à répandre dans l'opinion les idées qui doivent un jour réunir les peuples de l'Europe, et qu'ils leur montrent le port où ils seront en sûreté lorsqu'un vent favorable leur permettra de s'y réfugier.

 


 

Endnotes

[1] Article communiqué.