"T(hierry)", "Des factions" (1817)

[Created: July 28, 2013]
[Updated: 28 July, 2013]

Source

"T(hierry)", "Des Factions" Le Censeur européen, Tome 3 (1817), pp. 1-8.

Full title: Le Censeur européen, ou examen de diverses questions de droit public, et des divers ouvrages littéraires et scientifiques, considérés dans leurs rapports avec le progrès de la civilisation (Paris: bureau de l'administration, 1817-1819). The journal had the motto of "Paix et liberté." Le Censeur européen appeared in 12 volumes from February 1817 until April 17, 1819. Location: Au bureau du Censeur européen, rue Git-le-Coeur, no. 10.

 

About the Author

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Introduction

It is not clear who the author "T" might be (Harpaz says categorically it is Thierry). Pseudonymns and initials were commonly used to avoid identification and hence punishment by the censors. Authors whose names began with "T" and whose work was published in Le Censeur européen included Augusting Thierry (who was an editorial assistant to Comte and Dunoyer and who later became an historian) and General Tarayre (who wrote on military matters). Since they were prepared to use their own names it is therefore not likely that they would baulk at putting their name to this article. Hence, it is most likely to have been some other person whose identity we cannot determine.

This article is interesting because it was published at a time when Comte and Dunoyer had recently discovered the writings of Jean-Baptiste Say (in particular the expanded and revised 2nd and 3rd editions of the Traité d'économie politique) and were incorporating economic and sociological ideas into their theory of liberalism. Out of this combination of ideas was to come a new classical liberal theory of class analysis which predated the better known Marxist version by some 20 years. "T" writes an article where he is exploring the notion of class in interesting new ways. He uses the term "faction" which might be translated either as "class" or as "political party", but it should be noted that organised poltiical parties in the modern sense had not yet emerged in Europe at this time. There were only loosely organized groups whcih gathered around powerful individuals or aristocratic families and sat in the very narrowly representaive bodies such as the Chamber of Deputies or the Parliament. "T" begins by discussing the class structure of the ancient world which was divided into "maîtres" (masters or slave owners) and "slaves". What distinguished them in his view was the fact that the slaves produced the wealth with their labour and industry while the masters were idle economically but active in warlike pursuits. The slaves were not permitted to become property owners who could enjoy the fruit of their own labours. Like Benjamin Constant, "T" notes that what distinguished the moderns from the ancients was their attitude to productive labour: the former held it in high regard and so sought peace, freedom of communication, and free exchange in order to maximise the gains offree labour, whilst the ancients disdained labour and sought wealth by means of war and force.

In the modern world the nature of class had expanded to include other groups beyond the slave owning class. "T" argues in general that in the modern world "(l)es factions sont composées d'hommes parasites qui veulent vivre sans travail aux dépens de ceux qui travaillent." It now included those who sought jobs in government administration and the bureaucracies, the judiciary, and in the Army and Navy. They all shared a common feature in that that they lived off the productive work of the industrious class but they were rivalrous because they competed for control of the state. The parasitic class thus broke into at least two competing "parties" (the other meaning of "faction"), "les gens de cette espèce sont rangés sous deux bannières différentes," which competed to see who would control and exploit "la partie saine et laborieuse qui doit payer ces compositions." This three way struggle was the explanation he believed of the revolutions which had stricken France over the past 30 years.

"T" concludes his short essay with an attemnpt to form a political strategy which the industrious class could use to defend itself from these two predatory classes. The industrious class far outnumbered the parasitic classes but they are confused and mistaken in thinking that by preferring one of the factions over the other they might be able to lessen the burdens which are placed upon them. But what happens is that as soon as they feel oppressed by one faction they turn to the other, which oppresses them in turn. As "T' gloomily but presciently puts it: "Aussitôt qu'ils se sentent opprimés par une faction, ils ne voient rien de mieux à faire que d'appeler à leur aide la faction ennemie; et lorsque celle-ci a triomphé, ils se voient dans la nécessité de recourir à la première pour s'en débarrasser. Ils se constituent ainsi l'instrument de leurs ennemis, pour en être ensuite les victimes." He thus pithily sums up the nature of the modern democratic party state which oppresses us today. His only solution was to make the majority of government office holders ("la plupart des fonctionnaires") subject to election by the taxpaying industrious class which is the part of the nation which is most opposed to "faction" (either meant as ruling class or party) ("la partie de la nation qui est la plus opposée aux factieux").

 


 

DES FACTIONS.

Les peuples civilisés se trouvent aujourd'hui dans une position tout à fait neuve, et qui n'a aucune comparaison dans l'histoire des anciens temps. Le genre humain n'est pas, comme les autres espèces d'animaux, stationnaire par sa nature, il a des organes qui le rendent propre à se perfectionner; l'homme a pu s'emparer des forces de la nature; il a su, par ses progrès successifs, se faire un domaine de propriété matérielle et de propriété intellectuelle que les générations se transmettent en héritage, et qui s'accroît, par la succession des temps, par de nouvelles acquisitions, qui viennent sans cesse grossir le capital.

Le domaine matériel et intellectuel des anciens était infiniment petit, en comparaison du nôtre. Les peuples étaient isolés, sans communications, inconnus les uns aux autres. L'art de la navigation les a tous mis en rapport: le commerce a excité l'industrie, et le travail, autrefois honteux et réservé aux esclaves, est devenu de nos jours la vertu des peuples; la propriété en est la récompense. Les progrès des arts, les moyens d'échange ont rendu l'homme indépendant : il sait vivre de son travail, il n'est plus attaché à la glèbe, son existence ne dépend pas des caprices d'un maître; il fuit les persécutions, emportant avec lui sa propriété et son industrie, pour les transplanter partout où il trouve liberté, protection et profit.

Le domaine intellectuel s'est accru comme le domaine matériel. L'imprimerie est le moyen magique qui sert à conserver et à accroître ce trésor précieux; il le place à l'abri de toutes les tentatives du despotisme et de la barbarie. Cet art merveilleux met les peuples en conversation permanente; il est un organe nouveau, inconnu aux anciens, qui démasque l'erreur et proclame la vérité; il ne laisse perdre aucune invention utile, tout ce qu'il recueille devient un héritage pour la postérité.

Ces changemens établissent une différence très-grande entre les anciens temps et ceux où nous vivons; ils doivent influer sur les gouvernemens après avoir changé la situation des peuples.

Les peuples de l'antiquité étaient divisés en maîtres et en esclaves; ceux-ci, presque semblables aux bêtes, devaient travailler sans pouvoir acquérir; les autres, vivant dans l'oisiveté, ne connaissaient d'autre métier que la guerre, d'autre droit que la force, d'autre vertu que le courage. Chez eux le travail devait être honteux, puisque la force seule assurait la propriété. De là leur penchant pour la guerre, et leur grande estime pour la force physique et l'audace.

La passion des peuples modernes est d'acquérir par le travail, de conserver et de jouir. La force et le courage n'est plus leur vertu essentielle, c'est la travail et l'industrie; ils ne desirent pas la guerre si contraire à leur but, ils veulent la paix, la liberté des communications, et tout ce qui peut faciliter les échanges dans le monde entier. La France, placée pour ainsi dire à la tête de la civilisation de l'Europe, a ce vif desir plus qu'aucun autre peuple du continent, et le gouvernement qui voudra favoriser son penchant, s'emparera de la force et de l'opinion nationales ; il gouvernera avec ceux qui ont acquis, ceux qui veulent acquérir, ceux pour qui le travail est une vertu, et la conservation de la propriété un besoin; ce sont ces hommes qui forment le plus grand nombre et qu'on peut appeler la nation.

Les factions sont composées d'hommes parasites qui veulent vivre sans travail aux dépens de ceux qui travaillent. Il faut créer pour eux des places dans les administrations, dans la judicature, dans l'armée de terre et dans la marine. Si les gens de cette espèce sont rangés sous deux bannières différentes, ils menacent de troubler l'état. On est obligé de composer avec les uns et les autres, et c'est toujours la partie saine et laborieuse qui doit payer ces compositions. Si l'on veut gouverner avec une faction contre l'autre, on s'égare; la masse industrieuse reste neutre, et les factions sont aux prises, troublent l'état, et font des révolutions toujours nuisibles à la propriété, à l'industrie et au travail, c'est-à-dire à la masse de la nation; elles ne sont utiles qu'au parti factieux qui remporte la victoire, et qui use de son triomphe pour occuper toutes les places, qu'il regarde comme son domaine, et exploiter la nation qui est toujours la proie de la cupidité et de l'intrigue du vainqueur. Le seul moyen de gouverner la France est d'écarter les factions, quelle que soit leur bannière, et de gouverner dans l'intérêt de la partie productive et industrielle qui en est la masse, tandis que les autres ne sont qu'un chancre rongeur qu'il faut extirper.

Les factieux sont toujours en mouvement, ils s'agitent en tous sens : on croirait, par l'effet qu'ils produisent, qu'ils ont la force et le nombre de leur côté ; mais qu'on les compte, et l'on sera étonné de leur faiblesse. La classe des hommes laborieux qui veulent acquérir, posséder ou conserver, est au contraire fort nombreuse, et par conséquent très-forte; mais, par sa nature, elle est patiente, tranquille et pacifique; elle n'oppose au gouvernement qui la contrarie qu'une force d'inertie qui est terrible, parce qu'elle l'abandonne à la merci des factieux. Un gouvernement qui veut se conserver, doit tirer cette classe nombreuse de son état d'inertie et la mettre en jeu. Il n'y a qu'un moyen pour y parvenir, c'est de gouverner dans son sens et selon ses intérêts; il faut abandonner les factieux de tous les partis qu'on peut assimiler à des compagnies de brigands, qui, ne sachant pas travailler et produire, veulent vivre largement et à l'aise, aux dépens de la classe industrieuse et productive. Tant qu'un gouvernement, quel qu'il soit, ne suivra pas cette marche, il pourra être renversé par des révolutions ; et s'il se soutient pendant quelque temps, il ne le devra qu'à une force étrangère sur laquelle il ne peut pas toujours compter, ou à une force organisée prise dans le parti qu'il favorise, et qui coûtera à la nation des sacrifices énormes, qui l'appauvriront en la laissant sans défense contre un attaque extérieure. Le résultat d'un pareil gouvernement serait le despotisme, la pauvreté, la misère, l'humiliation et la dépendance politique envers les autres puissances de l'Europe, et toujours il resterait sur le cratère des révolutions.

Le gouvernement que desirent les hommes industrieux, qui veulent acquérir par le travail ou en conserver les fruits, est celui de la justice qui doit convenir également à tous; ils ne demandent pas des priviléges, ils ne veulent ni titres, ni places, ni pensions; ils veulent mettre leurs personnes et le fruit de leur travail à l'abri de toute violence, de toute exaction et de tout pillage, soit arbitraire, soit administratif, soit judiciaire. Ils ne refusent pas de contribuer pour les frais du gouvernement; mais ils demandent que leurs députés consentent l'impôt et qu'ils en vérifient l'emploi. Ils consentent à fournir, pour la solde de l'administration, les fonds absolument nécessaires; mais ils seraient révoltés qu'une classe privilégiée ne pouvant rétablir la féodalité territoriale, voulût fonder sur une échelle énorme la féodalité des places et des pensions, qui frapperait en même temps l'agriculture, l'industrie et le commerce, en établissant un pillage méthodique et organisé sur la fortune publique.

Si la partie industrieuse des peuples avait assez de capacité pour juger sainement de ses intérêts, et assez d'énergie pour les défendre, les factions n'auraient jamais une longue existence. Mais les hommes les plus laborieux, les plus utiles, sont presque toujours les seuls qui voient mal leurs intérêts, ou qui ne savent pas faire usage de leurs forces pour les faire respecter. Aussitôt qu'ils se sentent opprimés par une faction, ils ne voient rien de mieux à faire que d'appeler à leur aide la faction ennemie; et lorsque celle-ci a triomphé, ils se voient dans la nécessité de recourir à la première pour s'en débarrasser. Ils se constituent ainsi l'instrument de leurs ennemis, pour en être ensuite les victimes.

Le meilleur moyen de se débarrasser des factions, pour un peuple comme pour son gouvernement, c'est de mettre les élections de la plupart des fonctionnaires dans les mains de la partie de la nation qui est la plus opposée aux factieux, dans les mains des hommes qui s'adonnent aux travaux les plus utiles, et pour lesquels toutes les révolutions sont à craindre.